mercredi 25 février 2015

Querelles de mots



La politique, c'est l'art de la parole, la maîtrise du discours, l'attention et la valeur accordées aux mots. Mais la politique ne peut pas non plus se réduire à ça : ce sont aussi et surtout des analyses, des idées et des projets. J'ai connu une époque, pas si ancienne, où les idées jouaient un rôle essentiel dans le débat politique, où c'était projet contre projet. On parlait même alors d'idéologie. Aujourd'hui, on a presque l'impression que c'est un gros mot. Depuis quelques années, mon sentiment est que le combat politique se réduit à des querelles de mots, des soucis de vocabulaire, sans grand rapport avec la grande rhétorique d'autrefois.

Ces derniers temps nous en ont donné quelques exemples. Manuel Valls utilise à juste titre le terme "apartheid" pour dénoncer la discrimination qui frappe de nombreuses banlieues françaises et leurs populations. Le mot déclenche une polémique. Quelques jours plus tard, le Premier ministre emploie avec raison l'expression d'"islamo-fascisme" pour lutter contre la barbarie fanatique. C'est le tollé. Ces indignations langagières sont d'ailleurs aussi vite disparues qu'apparues.

François Hollande, au dîner du CRIF, a parlé des ""français de souche, en précisant qu'il empruntait cette formule au langage courant, c'est-à-dire avec des guillemets (qui ne se voient pas quand on parle, mais qu'on comprend lorsqu'on respecte le sens de la phrase du chef de l'Etat). Mais non, le lait est sur le feu, le procès est lancé, le président de la République est quasiment rendu responsable de complicité avec l'extrême droite, familière de ces mots-là. C'est idiot, ça n'a pas de sens, mais ce qui est dit est dit, sans qu'on ait l'honnêteté de voir ce qu'il y a derrière les mots, dans quel contexte ils se situent et ce qu'ils veulent signifier.

Un mot est juste ou faux, voilà la seule question qu'il faut se poser en politique. C'est pourquoi le président du CRIF est critiquable lorsqu'il affirme que Marine Le Pen est "irréprochable". Car, à l'évidence, elle ne l'est pas. Si la France se préoccupe aujourd'hui avec angoisse d'identité nationale, si elle raisonne souvent en termes d'origines ethniques, c'est parce que le Front national a réussi à imposer ces thèmes dans le débat public, et c'est déplorable. Non, Marine Le Pen, à la tête d'un parti nationaliste et xénophobe, est tout sauf "irréprochable".

Autrefois, dans l'affrontement politique, on sortait ses arguments. Maintenant, il faut sortir son dictionnaire.

2 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

"Le front national a réussi à imposer ces thèmes". Sans le front national pour canaliser toute la colère sur ce thème, qui ne serait qu'un "fantasme", houellebecq lui-même dit que les identitaires seraient plus virulents, donc plus meurtriers comme Breivik en Norvège. Arrête de te voiler la face, il y a un vrai problème d'immigration en France, depuis quelques années, et un vrai problème de démographie. Les populations avec de la religiosité font beaucoup plus d'enfants, c'est un fait. Et quelles sont les populations en France qui ont un fort sentiment de religiosité ? Pas les "français de souche" pour reprendre le terme de François Hollande. Mais il est vrai que dire une certaine forme de vérité est tenu par l'intelligentsia pour une forme de simplisme, cela aussi est un fait. Tu ne pourras pas empêcher un vieux peuple de mourir sans résister.
Le message de la minorité musulmane est très clair, par la voix d'Abd al malik notamment : "foutez-nous la paix", sinon il y aura des représailles (ce que ne dit pas Abd Al Malik, il est trop fin pour ça). La bande à Charlie plus Houellebecq comme cerise sur le gâteau, c'était trop, et cela a explosé comme on l'a vu. Et finalement ce qui va ressortir de cette histoire, c'est que l'on donne raison aux musulmans. Oui laissez-les tranquilles ces braves gens, vous voyez bien qu'ils ne demandent qu'à vivre en paix dans le respect mutuel et sans arrières pensées. Ah ah ah, je ricane devant le spectacle de la lâcheté de nos élites, qui comme le dit Houellebecq "ne sont pas à la hauteur de la situation".
Tout à l'air si simple à te lire, il y a les méchants et les gentils. Pour être "moussien", il devrait suffire de faire preuve de bonne volonté, obéir au chef qui a toujours raison et respecter ses petits camarades, qui ne raisonnent en termes "moussien" jamais collectivement mais toujours individuellement de façon kantienne : ce qui est un raccourci et faire preuve peut-être à son insu de simplisme. Car je crois plus aux responsabilité collectives qu'à l'individuelle. Pour moi l'individu n'existe pas, c'est une illusion, je suis plus jungien que freudien : inconscient collectif, archétypes tribaux contre morale individuelle ; ou encore Céline contre Proust. Et je suis du côté de Céline l'impur, contre la quintessence de la littérature française, c'est-à-dire la trop grande pureté. Ce que croit être l'individu, pur, alors qu'il fait toujours parti d'un peuple, toujours coupable, toujours impur. Et tout peuple est impur, a sa part de crime. Pour reprendre le terme de Melville dans le "cercle rouge", on naît innocent, mais en vieillissant on devient coupable, forcément coupable, donc impur ; ce sont les faits qui le prouvent, les faits que nous exécutons à notre insu, emprisonné dans notre destin, c'est-à-dire notre inconscient collectif : comme lorsque les Allemands ont dit à Hitler de tuer les juifs, Hitler s'est exécuté. Il a compris ce que le peuple attendait de lui : mais ceci est le cas le plus extrême, et n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de ce que le collectif fait subir à l'individu.
Oyez, oyez braves gens, le troll est de retour. Personne n'a l'air de rigoler, mais en réalité c'est toujours le troll qui fait fantasmer les foules. Et les foules ont un grand besoin de fantasmer pour faire ce qu'elles n'ont pas le courage de faire individuellement.
Le troll, c'est moi, le troll c'est Hitler, le troll c'est Jésus, c'est toujours celui à qui on dit de faire ou de dire ce que l'on n'a pas le courage de faire ou de dire soi-même : c'est le bouc émissaire.

Emmanuel Mousset a dit…

Erwan, jamais notre société n'a eu autant besoin de simplicité, je dirais même de simplicité "biblique". Nous vivons dans la névrose de la complexité, en amour, en politique, à l'école, dans n'importe quoi. "C'est plus compliqué que ça" est une formule idiote : tout est simple, terriblement simple.