mardi 10 février 2015

Etes-vous Piketty ou Todd ?



Thomas Piketty fait beaucoup parler de lui en ce moment. Il passe à la télé, a été reçu par Obama, voyage dans le monde entier et son gros bouquin de 1 000 pages se vend très bien. Mais quelles idées valent un tel engouement, national et international ? Que pense vraiment Thomas Piketty ? Je n'avais pas trop aimé sa petite polémique autour d'une Légion d'honneur refusée : l'économiste jouait un peu au vaniteux qui dénonce la vanité, ce qui est déplaisant. Surtout, il en avait profité pour régler ses comptes avec le gouvernement, ce qui était inélégant : la décoration honorait simplement son travail d'intellectuel. Il était malvenu d'en faire tout un foin.

J'étais d'autant plus surpris et chagrin que ce que je sais de Piketty me renvoie à un penseur social-démocrate, pas à un adversaire du réformisme ou à un agitateur révolutionnaire. Le titre de son livre, "Le capital", est peut-être un clin d'oeil à Karl Marx et à son ouvrage de référence, mais ça n'a strictement rien à voir. Marx est un philosophe qui expose une pensée nouvelle, utilise des concepts inédits et annonce une autre société, communiste. Piketty compile des statistiques sur le capitalisme, ne prédit nullement sa disparition et se propose de corriger ses inégalités. Tout ça, politiquement, me convient, mais ça n'a rien non plus de novateur, ça ne justifie pas un succès planétaire et la sollicitude des grands de ce monde.

Samedi soir, Piketty était chez Ruquier, sur France 2 : j'ai regardé, pour en savoir un peu plus, l'émission ayant l'avantage de durer longtemps, de laisser le temps à l'invité de développer ses idées et de répondre aux questions. Autant vous le dire, j'ai été très déçu. D'abord, j'ai eu la confirmation que Thomas Piketty ne défendait pas une pensée très originale, aussi juste et intéressante soit-elle. Ai-je besoin de me taper 1 000 pages pour savoir que les riches s'enrichissent, que les pauvres s'appauvrissent, qu'il faut défendre l'impôt, réformer le système fiscal et taxer beaucoup plus l'héritage ?

Mais il y a plus embêtant. Piketty affiche sa sympathie pour la gauche radicale en Espagne et en Grèce, alors que sa réflexion ne débouche aucunement sur des solutions radicales. C'est un social-démocrate fâché avec la social-démocratie. Quand on lui demande s'il soutient, en France, en toute logique, Jean-Luc Mélenchon, il devient évasif, ne tranche pas. Ce qu'il aime chez les Espagnols et les Grecs, c'est la fraîcheur et la jeunesse du mouvement de contestation. Ce n'est pas un point de vue très rigoureux pour un intellectuel. Finalement, Piketty ne prend pas vraiment position : il livre à notre lecture une somme de données et nous invite à y réfléchir. C'est très gentil, mais ce n'est pas la conception que je me fais d'un penseur, qui doit exposer des lignes d'analyse profilées et des propositions fortes, engagées. Ce n'est pas le cas.

Du coup, je comprends mieux le succès du bouquin, précisément pour les raisons qui me semblaient au départ énigmatiques : la réflexion est descriptive, factuelle, indéterminée, ouverte à toutes les interprétations. Gauche et droite peuvent s'y retrouver. J'ai l'impression que Piketty veut plaire à tout le monde, ce qui est tout le contraire de la mission de l'intellectuel. Pour juger de la valeur d'un propos public, je me livre à un petit test : après avoir écouté, je prends une feuille pour noter ce que j'ai retenu, ce qui m'a frappé. Avec Piketty, ma feuille est restée blanche.

Ce qui est curieux, c'est qu'entre ces deux intellectuels de gauche que sont Thomas Piketty et Emmanuel Todd, je devrais normalement me sentir plus concerné par le premier, proche de ma sensibilité. Pourtant, c'est Todd que je préfère, dont la valeur intellectuelle me semble supérieure, les idées plus novatrices, plus puissantes. Je n'adhère pas à son protectionnisme économique ni à sa critique de l'euro et de l'Europe, mais sa pensée est marquée, tracée. J'apprécie sa virulence, ses partis pris, son peu de souci de plaire, de s'inscrire dans les schémas à la mode. Quand il parle, on écoute, on en retient quelque chose, dans la mesure même où l'on est en désaccord. Todd fait réfléchir et réagir. Piketty ne suscite qu'une molle approbation. Alors, vous aussi, êtes-vous Piketty ou Todd ?

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