dimanche 15 février 2015

La solitude du philosophe



C'était hier la journée portes ouvertes dans les lycées de Saint-Quentin. Les parents et les enfants viennent en nombre, curieux, avisés. Chaque discipline est représentée par ses enseignants dans une salle de classe. Certaines sont pleines de monde, mais la philosophie n'attire pas beaucoup. C'est loin, la terminale, pour qui entre en seconde. Peut-être aussi que la philo fait peur ? Il n'y a pas de quoi, pourtant.

Toujours est-il que j'étais bien seul, hier matin, dans ma salle. Dans les autres disciplines, on se retrouve entre collègues, on discute. A Henri-Martin, comme dans bien des établissements, il n'y a que deux profs de philo. L'après-midi, c'est mon collègue qui prenait la relève. Heureusement, je ne m'ennuie jamais, j'ai toujours quelque chose à faire, à lire ou à écrire. Mais peut-être que j'ennuie les autres avec ma philo ?

Dans le couloir, les passages étaient fréquents. Je me suis installé au bureau, la porte ouverte, pour qu'on me voit bien, comme les ours et les lions au zoo. Mais peu de gens sont entrés dans la cage ... pardon, dans la classe. Fréquemment, mon nom a été murmuré : "c'est monsieur Mousset, c'est monsieur Mousset", suscité sans doute par ma petite notoriété, via mon blog et la presse locale depuis une quinzaine d'année ...

Un prof de philo, c'est un peu une bête curieuse, qu'on approche de loin, sans s'arrêter. Il faut dire que je n'ai rien de très sexy à proposer : je suis venu avec des copies d'élèves, pour donner une petite idée du travail qui attend les futurs lycéens (et pour en profiter pour faire des corrections). A part ça, je n'ai à montrer que mes pauvres idées et mon cerveau tourmenté. Les ours et les lions ont mieux que ça pour le plaisir des yeux.

Dans la salle d'à côté, ma collègue d'histoire-géographie a eu une idée originale : offrir des plats comme on en mangeait au Moyen Age. En face, les profs d'italien font écouter de la musique et proposent des petits gâteaux. En économie, ils ont fait fort : un écran sur lequel défilent des statistiques, des tableaux, des schémas, ce qui plait beaucoup aujourd'hui, ce qui est très moderne. Mais la philosophie a 2500 ans d'âge, rien à manger et tout dans la tête : on ne séduit personne avec ça. A la limite, on se fait mépriser, parce qu'on croit que le prof de philo joue au supérieur, alors qu'il ne joue à rien du tout.

Un collègue m'a offert un café, un autre m'a fait porter un biscuit au chocolat, par pitié je crois bien, à la façon du prisonnier à qui on apporte des oranges. Si j'étais un singe (puisque j'ai parlé tout à l'heure de zoo), les jeunes, qui sont d'un naturel cruel, me lanceraient des bananes, j'en suis certain. Voilà ce qui arrive quand on choisit philosophie. Maths, langues vivantes, ça fait beaucoup plus sérieux.

Par bonheur, ma discipline présente quand même certains avantages, dont le premier est de pouvoir se sortir de n'importe quel mauvais pas, par un retournement dialectique de la situation. De la solitude du philosophe, j'en ai tiré une philosophie de la solitude et quelques réflexions : qui peut s'intéresser aujourd'hui à cette matière ? Le présent et l'avenir sont entre les mains des juristes, des banquiers, des médecins, des entrepreneurs, pas des philosophes, qui seront dans peu de temps aussi utiles à la société que les théologiens.

Bien sûr, il y a une mode philo, café philo, ciné philo, rando philo, etc., à laquelle d'ailleurs je contribue, mais sans illusion : les bonnets à pompon aussi sont à la mode, et ça n'en fait pas quelque chose de glorieux (voir mon billet du 29 janvier). Après tout, je m'en moque : j'aime la philo, j'essaie de la faire aimer, c'est mon métier, est-ce que ça n'est pas suffisant ?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

La prochaine fois , présentez vous dans un tonneau comme DIOGÈNE et le succès sera au rendez vous !!
Vous n'allez pas déprimer pour cet épisode !! Demain sera un autre jour !!

Emmanuel Mousset a dit…

Pas mal, l'idée du tonneau. Mais le cynique aboyait après les passants et se masturbait devant eux. Je ne crois pas que mon proviseur sera d'accord.

Anonyme a dit…

Il ne faut pas confondre deux situations n'ayant rien en commun.
Il y a transmettre des notions de philosophie à des élèves (jeunes au lycée, âgés au café philo, c'est à dire être professeur de philosophie.
Il y a le "philosophe" c'est à dire celui qui crée des concepts philosophiques susceptibles de répondre à des problématiques qui titillent la société de son époque.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce n'est pas bête du tout, votre distinction. Je n'y avais jamais pensé.

Anonyme a dit…

Le philosophe rémunéré est il un philosophe indépendant ou un citoyen comme les autres .... Nuance aussi ...........

Emmanuel Mousset a dit…

Les deux, mon capitaine.