mercredi 4 février 2015

Monstrueuse gauche FN



La première fois que j'ai vu Jean-Marie Le Pen, à la télévision, c'était il y a 41 ans exactement, lors des élections présidentielles où il était (déjà) candidat : bandeau de pirate sur l'oeil, mâchoire de para d'Indo, voix tonitruante mussolinienne, discours d'extrême droite, gueule de facho incontestable. Je me disais que la République était bonne fille d'accepter un anti-républicain évident dans la course à l'investiture suprême. C'était l'époque où nous ignorions la discussion byzantine sur la nature républicaine ou non du Front : ce parti était un ramassis de fachos, son chef le portait sur sa tête. 41 ans après, je n'ai pas changé d'avis. Mais pourquoi tant d'autres ont-ils changé d'avis, acceptent-ils le FN sur les fonds baptismaux de la démocratie, votent-ils désormais pour la bouffonne néo-fasciste, parfaite fille de son père ?

Il y a 41 ans, à la présidentielle de 1974, Le Pen faisait 1%. Même les gens de droite les plus à droite, les plus réacs n'osaient pas voter pour l'arrogant facho. Qu'est-ce qui s'est passé en France, en moins d'un demi-siècle, pour que l'évidence ne soit plus admise ? Ce n'est pas le nouveau discours social du FN qui peut tromper l'électeur, permettre une forme d'exutoire à ceux qui sont en souffrance : déjà, il y a 41 ans, cette tonalité anticapitaliste existait dans les rangs du FN, et elle est fondatrice des différences fascismes et du nazisme : reprendre des thèmes de gauche pour les transplanter à l'extrême droite. L'explication n'est donc pas là.

On m'aurait dit, il y a 41 ans, que ce petit gang d'extrême droite deviendrait le premier parti de France le temps d'une élection, que la fille du chef ferait figure de présidentiable, j'aurais éclaté de rire, crié à l'absurdité et à la folie. Et si l'on avait ajouté qu'une part non négligeable de l'électorat de gauche se retrouverait dans les discours du facho, j'aurais tout de suite conclu à l'imbécilité du propos. Mais l'imbécile, 41 ans après, c'est moi : il y a désormais en France, depuis quelques années déjà, confirmée ce dimanche lors du premier tour de la législative partielle dans le Doubs, une absurde, contradictoire et monstrueuse gauche FN, qu'il faut bien tenter d'imaginer, tant il est vrai qu'on n'imagine pas l'eau se mêler au feu ou la carpe s'accoupler au lapin.

A Saint-Quentin, nous avons la chance, ou plutôt le malheur d'avoir un spécimen de cette gauche FN, que nous pouvons donc étudier in vivo,, pister sa mutation idéologique, examiner de près sa monstruosité. Comme ses propos sont rendus publics sur un blog depuis bientôt 10 ans, l'analyse est facilitée. Il s'agit de Jean-Claude Le Garrec, qui se pose la question, dans le titre de son billet du 30 janvier, "pourrai-je voter FN ?" et qui répond par l'affirmative dans les dernières lignes. Intéressons-nous d'un peu plus près à ce cas révélateur d'une pathologie politique, être de gauche et voter FN.

Assurons-nous d'abord du personnage (je répète que tout ce que je vais en dire a été rendu public par lui sur son blog). Depuis 30 ans, il votait socialiste, c'est lui qui l'affirme. Culturellement, Jean-Claude Le Garrec affiche à l'évidence un profil de gauche. Dans les années 1960-1970, quand la mode est aux voyages et aux hippies, notre homme se fait globe-trotter. Dans les années 80, à la suite de l'élection de François Mitterrand, il participe activement au mouvement des radios libres sur Saint-Quentin. C'est aussi un fin connaisseur du jazz, musique progressiste s'il en est. Electeur socialiste, il franchit comme beaucoup la barrière de l'adhésion au PS en 2007, séduit par la campagne présidentielle de Ségolène Royal. Sur son blog ouvert en 2006, il se présente comme un écologiste modéré. Bref, l'homme de gauche complet, insoupçonnable.

Jean-Claude Le Garrec a commencé à mal tourner quand il s'est fait exclure du PS, en 2008. Il n'a probablement pas su surmonter cette blessure narcissique. De là à envisager de voter FN, il y a un gouffre, pourtant franchi dans les années qui vont suivre. Les défenses immunitaires se sont relâchées. Pourtant, après le court épisode socialiste, Le Garrec a été attiré par la gauche radicale, le vote Mélenchon, tout en affichant localement sa préférence pour Xavier Bertrand. Dans le fumier des incohérences poussent parfois des plantes vénéneuses. J'avais remarqué, depuis un certain temps, que quelques billets étaient sans tendresse pour les "assistés", les femmes voilées, les immigrés qui ont beaucoup d'enfants. Mais nous étions encore dans le non dit, le refoulé qui devait finir un jour par éclater.

On ne peut pas non plus justifier la tentation FN de Jean-Claude Le Garrec par sa détresse sociale : il verse régulièrement une larme sur sa petite retraite et ses gros impôts, mais ce n'est tout de même pas un misérable, simplement un petit-bourgeois de la classe moyenne, comme il en existe des millions. Alors quoi ? Laissons-lui la parole, qui a le mérite d'être limpide, au terme de son mémorable billet du 30 janvier, son coming out frontiste :

" Pourrai-je voter FN ? (...) Oui, sans aucun scrupule, ce ne serait pas un vote d'adhésion mais un vote anti-système, contre les partis qui, depuis 30 ans, ont toujours échoué et surtout contre le PS qui a renié les valeurs de la gauche".

Voilà, tout est dit. A moi maintenant de commenter :

- "sans aucun scrupule" : la nécessité d'apporter cette précision qui ne s'imposait pas prouve que le scrupule a dû exister en lui, le faire hésiter, en vieil homme de gauche qu'il est. On le comprend aisément. Rallier ce qu'on a toute sa vie rejeté ne va pas sans une forme de réticence morale.

- "pas un vote d'adhésion mais un vote anti-système" : oh le bel hypocrite ! Il y a des putains qui se cachent derrière des certificats de virginité. Le Garrec s'apprête à voter FN, mais ne vous inquiétez pas, il n'en partage pas les idées ! J'aurais plus de sympathie pour lui s'il assumait au moins ses choix politiques avec courage. Tout vote, quel qu'il soit, est un vote d'adhésion. Prétendre qu'on vote contre, mais pas pour, c'est une lâcheté.

- "les partis qui, depuis 30 ans, ont toujours échoué" : comme si rien ne s'était fait en politique depuis une trentaine d'années ! Comme si les gouvernements, de droite ou de gauche, n'avaient jamais obtenu aucun résultat ! C'est une vision de fanatique. Même en admettant ce point de vue, pourquoi Jean-Claude Le Garrec, qui est "anti-système", ne vote-t-il pas à l'extrême gauche, qui est beaucoup plus "anti-système" que l'extrême droite ? C'est sans doute que quelque chose le chatouille et l'excite dans les discours de Le Pen ...

- "contre le PS qui a renié les valeurs de la gauche" : ce jugement se discute. Je dirais plutôt que le PS est passé d'un socialisme traditionnel, antilibéral, à la social-démocratie, qui ne conteste pas l'économie de marché. Une évolution (à mes yeux bénéfique et fidèle aux valeurs fondatrices de la gauche) peut-elle être confondue avec un "reniement" ? En tout cas, Le Garrec sait de quoi il parle : quand on a été toute sa vie un homme de gauche, songer à voter FN, c'est le plus bel exemple de reniement que je connaisse.

A Jean-Claude, mon ex-camarade, pour ne pas finir sur une note pessimiste et désespérée, je ferais remarquer qu'il s'exprime au futur et au conditionnel pour nous parler de son vote monstrueux. Rien n'est donc perdu, il peut encore changer d'avis. Je ne lui demande pas de voter PS, je comprends son rejet. Qu'il choisisse qui il veut, sauf le FN. Car vieillir en facho, ce n'est pas très beau.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Mon cher Monsieur MOUSSET : les effets de la ou des dettes publiques sont désastreux , les élus pour leur plus grande gloire ont alignés sans compter des salles des fêtes , des piscines , des patinoires , des kilomètres de routes , boulevards , autoroutes agrémentés de lampadaires sans autres fonctions que de la décoration sur des pelouses à faire pâlir la reine d'Angleterre et en face que se passe - t - il ; les impôts ne rentrent plus , parce que l' industrie disparait et que l' évasion fiscale et les délocalisations sont organisées , le prix de l' énergie grimpe , les services publiques sont souvent pléthoriques , redondants et mal utilisés ... Et l' aide sociale subit de graves fraudes et un manque de gestion évident ... Or les français sont assez informés et observateurs pour y voir clair et se rebeller de toutes les façons possibles contre une classe politique quasi intouchable et sourde ...
.Enfin que penser des subventions et avantages aux clubs sportifs dont les joueurs ont des salaires sans limites et complètement hors normes , par exemple comparé à ceux de brillants chirurgiens ou de chercheurs de talents ……… Nier tout ça c’est participer à cette fraude organisée et sans fin qui se fait évaporer l’ argent publique sans aucun contrôle que celui de quelques potentats qui se garnissent les poches au passage ………..
.

Emmanuel Mousset a dit…

Mon cher Monsieur, votre tableau est sans nuance. Il y a du vrai, mais il y a aussi de l'exagération et des omissions. Où voulez-vous en venir, sans le dire ? Rien de tout ce que vous prétendez ne justifie que l'on vote FN, puisque tel est le sujet de mon billet.