mercredi 11 février 2015

La victoire de DSK



Que se passe t-il en ce moment, pas très loin de chez nous, à Lille ? Tribunal moral, procès en sorcellerie ou battage médiatique ? Restons-en aux faits : DSK a-t-il participé, en tant que client ou qu'organisateur, à une entreprise de proxénétisme ? Voilà ce que la loi condamne, voilà sur quoi la justice doit se prononcer. Or, les commentaires laissent souvent croire à tout autre chose : c'est la moralité d'un homme qui serait en question, l'état de sa psychologie, la convenance ou pas de ses pratiques sexuelles. Ne comptez pas sur moi pour entrer dans la tête ou le slip de DSK.

DSK est-il coupable ? Je n'en sais rien, c'est le jugement final qui le dira. Ce que je sais, c'est qu'il y a une différence entre le libertinage et la prostitution, entre les parties fines et l'amour vénal. Je regardais hier soir, sur France 3, Thierry Ardisson sur le divan de Fogiel : lui aussi a fréquenté des clubs échangistes, et je crois que nous serions sans doute surpris si nous connaissions tous les noms de la clientèle. Mais voilà : DSK voulait devenir président de la République, et forcément la politique, qui est aussi une affaire de symbolique, s'en mêle.

Ce que je sais aussi, bien que n'étant pas spécialiste, c'est qu'en matière de sexualité les choses ne sont pas tranchées, les frontières sont floues, les faits passent par la moulinette de la subjectivité. Rapport consenti ou pas ? Violence ou non ? Assurance ou incertitude d'être entre les bras d'un amatrice ou d'une professionnelle du sexe ? C'est probablement difficile à dire. La nuit, tous les chats sont gris, et c'est pire à l'intérieur d'une alcôve. Sauf bien sûr si DSK a sciemment menti.

J'ai entendu une ancienne prostituée se plaindre de lui et tenter de nous apitoyer. Non, je veux bien verser des larmes sur les pauvres filles qui vendent leur corps dans des camionnettes cradingues sur le bord des routes, mais pas sur les putes de luxe du Carlton, "escort girl" comme on les appelle pudiquement. On ne joue pas les victimes quand on a décidé de s'adonner à ce genre d'activité. J'ai entendu aussi, un avocat je crois bien, dire que DSK était froid, distant, qu'il manquait d'empathie. Faut-il alors se laisser guider par le Code pénal ou par un manuel de psychologie ?

En politique, ce qu'on est une fois, on l'est toute sa vie. Il n'y a que les irresponsables qui n'assument pas, qui font semblant d'oublier. Ce qu'on dit et ce qu'on fait, c'est pour l'éternité. Rien ne s'efface. Je suis strauss-kahnien pour toujours. Tant pis ou tant mieux pour moi. Mais je suis républicain, donc respectueux des lois : si l'homme est condamné (il ne l'a encore jamais été), ce verdict sera aussi le mien, puisque rendu au nom du peuple français. En attendant, je reste fidèle.

DSK aurait fait un très bon président pour la France, c'est mon intime conviction. Meilleur président que François Hollande ? La comparaison n'a aucun sens, est purement hypothétique. Ce qui est certain, c'est que DSK est un social-démocrate assumé, qui a ouvert, dans les années 2 000, la voie à ce que nous connaissons aujourd'hui, au gouvernement et au sein du parti : la social-démocratisation de la gauche, sur laquelle plus personne à l'intérieur du PS ne reviendra. La victoire de DSK, c'est celle-là. Les plus belles victoires en politique, les plus paradoxales aussi, ce sont celles qu'on obtient sans conquérir le pouvoir, sans exercer les plus hautes responsabilités : la victoire des idées. A contrario, il y a des succès qui ne débouchent sur rien. Prendre le pouvoir ne suffit pas : il faut en faire quelque chose.

3 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Il y a un excellent film sur DSK : "Welcome to New York", d'Abel Ferrara, DSK interprété magistralement par Depardieu, ce film a beaucoup fait pour faire remonter dans mon estime cet acteur, par ailleurs il en dit beaucoup plus sur DSK que tous les discours. Après on aime ou on aime pas ce style de personnage, personnellement je le trouve assez abject, mais avec une grande lucidité et une grande intelligence sur ce qu'il est et sur l'état du monde, qu'il vomit en tant que responsable, témoin de l'abjection libérale économique, en première ligne. Ses frasques pourrait être la compensation d'un cynisme qu'il voyait à l'œuvre dans les rapports économiques entre le hommes ; et tout son dégoût il l'a recraché dans ses rapports avec les femmes. Un homme aussi meurtri narcissiquement, et donc aussi cynique, avant même l'affaire Nafissatou Diallo, aurait évidemment fait un très mauvais président de la république, à moins que l'on ne fasse du cynisme et de la perversion sexuelle une vertu morale. Après tout "vice privé, vertu publique", disent les libéraux.
Quand les Américains font des films sur l'Amérique, et qu'ils dépeignent sans concession la réalité la plus sordide mais réelle sur leur propre pays, comme ils savent le faire, on crie à juste titre au génie, ce que les Français ne savent pas faire. Les Français ont du mal à montrer au peuple la réalité, seules les élites savent et ne disent rien. Quand un Américain comme Abel Ferrara appuie là où ça fait mal dans un film comme "Welcome to New York" on crie au scandale, on l'accuse de bassesse voire bien pire, là où si il avait parlé de l'Amérique on aurait salué sa lucidité. N'oublions pas que son film comme toute œuvre d'art ne prétend pas traduire la vérité mais se vante d'en être une interprétation de la vérité, car il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations ; c'est pour cela que la loi qui ne prétend s'appuyer que sur les faits pour appliquer son jugement est moins puissante que l'art, et surtout objectivement beaucoup plus injuste, mais passons. C'est là tout l'hypocrisie française, notre spécialité ; et là où les Américains auraient des leçons de démocratie à nous donner. Les Américains parce que ce peuple est plus "populaire" que le vieux peuple de France, d'origine aristocratique (une origine à proprement parler, non partagée par le peuple, mais qui en tant que faisant partie d'une société aristocratique en a pris les habitudes), malgré son récent pédigrée républicain, ont un côté "fouille-merde" ; qui comme aurait dit Nietzsche des Français, répugne à nos vieilles mœurs aristocratiques.

Anonyme a dit…

Il me semble que le tournant social démocrate date de 1984 avec le gouvernement Fabius ensuite l'évolution sur 30 ans (d'alternance en alternance) se fait progressivement vers le social libéralisme.

Anonyme a dit…

Très belle analyse d'Erwan Blesbois
Pour avoir vu le film je partage son avis.