vendredi 21 février 2014

La surprise du chef



Pour une fois, le titre de ce billet ne vient pas de moi : je l'ai trouvé hier, dans l'annonce faite par L'Aisne nouvelle d'une liste LO à Saint-Quentin. La formule m'a plu, je l'ai empruntée. La surprise de ce jeudi n'était pas dans la candidature de Xavier Bertrand, ni même dans celle du FN : seuls les ignorants, les sceptiques ou les angoissés pouvaient douter de l'une et de l'autre. La vraie surprise, c'est la candidature d'Anne Zanditenas et de ses camarades de Lutte ouvrière. Vous auriez, la veille, questionné un responsable de gauche sur la probabilité de voir le parti d'Arlette présenter une liste complète, il vous aurait très sérieusement répondu que non, que ce n'était guère envisageable. Moi-même, je n'y croyais pas : comme quoi on peut être assez bien informé, mettre son nez un peu partout, avoir une oreille attentive et ne pas savoir anticiper quelque chose d'important. C'en dit long aussi sur les cloisonnements qui existent dans la gauche locale, qui empêchent de percevoir un fait politique, un dépôt de liste, qui est loin d'être mineur.

La surprise du chef, soit, mais de quel chef ? Bonne surprise pour Xavier Bertrand, mauvaise surprise pour Michel Garand : trois listes de gauche (PS, PCF, LO) à Saint-Quentin dans une élection municipale, c'est du jamais vu. Il ne manque plus que le POI à l'appel ! Cet éparpillement des voix est évidemment préjudiciable à un seul, le candidat socialiste, qui a besoin d'un rassemblement fort pour passer le premier tour. Notre partenaire habituel, le PCF, va lui aussi pâtir de la concurrence LO, puisque leurs thématiques de campagne sont à peu près les mêmes. Or, le PS a besoin d'un PCF fort, qui dépasse au moins les 5%, pour pouvoir s'allier avec lui en vue du second tour et espérer l'emporter. Sinon, c'est fichu. Bref, la liste LO complique une situation déjà compliquée et compromet une chance de victoire déjà incertaine.

Bien sûr, je réagis ici en socialiste. LO a le droit et, de son point de vue, le devoir de se présenter. S'il y a une chose qu'on ne peut pas leur contester, c'est la rigueur et la cohérence de leur démarche. Humainement, je trouve même très bien que des militants droits, honnêtes, désintéressés soient présents dans le débat. Mais politiquement, dans l'intérêt de mon parti et de mon candidat, je ne peux que le craindre et le déplorer, parce que c'est la qualification du PS pour le second tour qui est en jeu.

Arriver à trouver 44 noms pour constituer une liste, avec la contrainte que représente la parité, ce n'est pas de la tarte ! Qu'un groupe d'extrême gauche, très minoritaire dans le pays et dans la ville, puisse y parvenir, voilà qui étonne et fait réfléchir. Anne Zanditenas bénéficie incontestablement de son statut d'élu municipal, qui crédibilise son action politique, qui lui assure une petite notoriété. En séance de conseil municipal, pendant six ans, elle a fait régulièrement entendre sa voix singulière, très autonome par rapport au reste de l'opposition : des interventions brèves, précises, sérieuses, qui ne cherchaient pas à séduire (Olivier Tournay), à faire rire (Jean-Pierre Lançon) ou à convaincre (Michel Aurigny). Xavier Bertrand lui a accordé une forme de respect, ne tournant pas en dérision ou ne rejetant pas brutalement ses prises de parole (je pense à l'attitude presque déférente qu'avait Pierre André à l'égard d'Alix Suchecki, ancienne adjointe communiste). Anne Zanditenas a un côté austère propre aux trotskistes de Lutte ouvrière, qui ne donne pas prise à l'ironie ou à la légèreté.

Mais une liste n'est jamais le produit d'une seule personne : LO a à son actif une présence militante considérable et persévérante. Ils ont su tenir par exemple le marché du centre-ville, le samedi matin, alors même que les autres partis l'avaient depuis longtemps déserté. Et puis, il y a tout ce travail patient, obscur, invisible dont seuls sont capables un Témoin de Jéhova ou un militant révolutionnaire, et qui aboutit, pour ce dernier, à récolter 44 noms d'une liste municipale, là où d'autres, plus connus, ont pourtant plus de mal.

Enfin, LO a régulièrement organisé à Saint-Quentin des réunions publiques en présence de son leader national, présentement Nathalie Artaud. Les scores de Lutte ouvrière ont beau être modestes, le parti sait remplir des salles. La fréquentation de ce type de rencontre ne dit rien de l'influence électorale, mais beaucoup sur la capacité de mobilisation des militants, qui sont, à gauche comme à droite, le noyau dur (ou mou) d'une possible (ou impossible) victoire. Un meeting de LO, c'est réglé comme du papier à musique, même si on connait la chanson.

Pour un socialiste, le débat avec Olivier Tournay est concevable, propositions contre propositions, et l'alliance par conséquent envisageable, par une série de compromis et de concessions mutuelles. Avec Anne Zanditenas, c'est impossible : non pas parce qu'elle serait fanatique et fermée (je ne le pense pas), mais parce qu'elle se situe dans une perspective strictement nationale, de dénonciation du capitalisme et de la social-démocratie, à partir de laquelle il est difficile d'évoquer les questions proprement saint-quentinoises. En effet, nous dit L'Aisne nouvelle, elle n'aura "pas de programme local en tant que tel". Personne d'ailleurs ne songera à le lui reprocher : quand on a en ligne de mire la révolution et l'instauration d'une société communiste, est-ce qu'on perd son temps à débattre de trottoirs à refaire ou de plan de circulation à modifier ?

Je n'encourage pas à voter LO, sauf dans un cas de figure, celui du citoyen qui veut faire "péter le système", dont l'élan protestataire lui fait rejeter la social-démocratie qu'il juge trop libérale et la droite qu'il trouve trop laxiste, et qui croit se défouler en votant FN : à celui-là seulement, irréconciliable avec les partis installés, je conseille de voter LO, à défaut de voter PS. Je préfère qu'il passe sa colère en s'en prenant aux patrons et aux bourgeois qu'en tapant sur les immigrés et les "assistés". Et s'il prend à cet électeur contestataire de revenir à la raison, d'être un peu plus réaliste, qu'il n'oublie pas que le seul vote qui peut avoir des effets démocratiques, qui peut lui donner des représentants au conseil municipal et éventuellement un maire, c'est quand même le vote socialiste.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

La machine à perdre ??? Y a - t - il encore un restant de l'esprit programme commun ??? Pourtant cela devrait logiquement être plus facile sur le plan local où on se connait mieux ou alors est ce plus difficile parce que on se connait ?? Un sujet de débat .... Presque philosophique et qui se confirme puisque on voit beaucoup d'adjoint qui mènent des listes contre leur ancien maire ??

Emmanuel Mousset a dit…

Le phénomène des adjoints se présentant contre leur maire est peut-être favorisé par la nouvelle loi qui interdit le panachage.

Plus on se connaît, plus c'est difficile, parce que la dimension personnelle et affective est alors très forte et l'emporte sur le rationnel. C'est pourquoi la politique est plus difficile au niveau local qu'au niveau national. Quand j'étais socialiste à Paris, c'était plus simple qu'à Saint-Quentin.

Erwan Blesbois a dit…

Pourquoi une fois pour toutes ne pas abandonner l'apprentissage du français à l'école et imposer l'anglais comme langue maternelle, puisque l'emprise de l'impérialisme américain va si loin et sans résistance, que nous ne sommes même plus conscients des bouleversements qu'il entraîne sur nos existences intimes, notamment la balkanisation non seulement géographique des nations, mais également la balkanisation des modes de vie, morcelés en autant d'entités qu'il existe de tribus, le plus souvent réparties en corporations, les informaticiens, les profs, les jeunes, les vieux, les femmes, les enfants, les chiens ...
Tribus qui se reconnaissent entre elles le plus souvent par des éléments de culture anglo-saxonne. Je reconnais bien là le petit bourgeois lambda qui a reçu une éducation trop policée, qui parle un langage irréprochable dans sa vie professionnelle, mais qui dans le cadre de la "vraie vie" ne veut plus entendre parler de la France, cette vieille ringarde, au demeurant pas très sexy je l'accorde. Pour ma part je préfère la variété française au rock, Claude François aux Beatles ou autres illustres inconnus "underground", dont le seul intérêt est d'être underground. Je conseille la lecture de Michelet (trop ringard?), qui décrit la Bretagne comme l'élément résistant de la France, la plupart des Bretons ont aujourd'hui oublié leur héritage et sont des traîtres (mais inconscients, dépassés par le système) au fond acquis à l'idéologie des droits de l'homme et à l'individualisme entraîné par le libéralisme économique d'origine anglo-saxonne (qui nous apporte confort et bien-être), et à la balkanisation des comportements humains, en autant de tribus qu'ils existent de styles de musiques anglo-saxonnes qui composent autant d'entités séparées ; et ceci un héritage du protestantisme, qui est au fond une tentative réussie du torpillage du catholicisme qui se voulait une religion universelle, contre la "liberté" des consciences prônée par le protestantisme, qui aboutit en fait à l'épanouissement des égoïsmes (où chacun se croit le centre de monde, pense que la nature a été créée pour lui, par l'intermédiaire de biens de consommation aimables, taillés dans le sens de notre désir) où Adam Smith voyait en bon visionnaire, le triomphe de l'idéologie du libéralisme économique (qui aboutit par la somme des égoïsmes particuliers à la destruction de la nature, qui au fond n'est pas aimable, puisqu'elle s'oppose à nos désirs). L'idéologie des droits de l'homme est peut-être bonne individuellement, mais collectivement ne risque-t-elle pas de déboucher sur une immense catastrophe écologique ?
Je constate juste que le progrès, aujourd'hui porté principalement par la puissance américaine, débouche sur le bouleversement des modes de vie traditionnels, notamment ruraux, qui existaient encore avant la seconde guerre mondiale. Je ne nie pas que la France fut en son temps un impérialisme, qu'en tant que tel il ne valait pas mieux que l'américain, il était même je crois plus cruel et plus mesquin, car moins puissant.
Je reconnais aussi que le catholicisme est une religion qui place après tout l'homme au centre du monde, et qu'il fait de la nature la servante de ce dernier : ce qui est une faute. Le seul intérêt du catholicisme et l'héritage qui est à préserver, est dans les modes de vie traditionnels qu'il a contribué à conserver durant des siècles, et qui sont aujourd'hui en voie de disparition, face au bombardement continue que nous impose en objets manufacturés de toutes sortes, le libéralisme économique, et qui débouche sur la dissolution du lien traditionnel, au profit de l'hégémonie d'un impérialisme. Les autres impérialismes, russes et chinois ne sont pas des alternatives, puisque de toute façon ils se battent avec les armes des Etats-Unis : l'économie de marché.