lundi 24 février 2014

Déjeuner en ville



J'ai déjeuné à midi avec Pierre André, dans un restaurant du centre-ville au nom très stendhalien. Il y a des années qu'on devait le faire. A la sortie de mon livre "Les Saint-Quentinois sont formidables", le maire m'avait invité au Sénat. Mais ce jour-là, grève des trains (ça ne s'invente pas !) : je n'ai pas pu faire le déplacement. Aujourd'hui, aucun problème de ce côté-là, ni d'un autre : tout est clair entre nous, il n'a rien à me proposer et je n'ai rien à lui demander. Lui est à l'UMP et soutient Xavier Bertrand, moi au PS et je soutiens Michel Garand.

Mais pourquoi se rencontrer ? Parce qu'il m'intéresse et je crois que je l'intrigue : il lit chaque jour mon blog, depuis le début, il doit se demander ce qui me motive à écrire autant. Un jour, il m'a traité de "phénomène", mais dans sa bouche c'était un compliment (pas comme lorsque le capitaine Haddock traite le professeur Tournesol de "zouave" dans Objectif Lune). Mon mystère à ses yeux, c'est d'être connu et apprécié un peu partout en ville ... sauf chez mes camarades socialistes !

Pierre André en vient à se demander si j'aspire vraiment à la réussite politique (oui !). Il m'adresse un seul reproche : "l'auto-dérision" dans mes billets. "Ca ne se fait pas en politique", me dit-il. Mais justement : je le fais parce que "ça ne se fait pas". Nos concitoyens sont désabusés des militants excités et des leaders qui se prennent le melon : j'assume la distance, l'auto-dérision, qui n'empêchent pas d'ailleurs l'analyse et la proposition sérieuse.

A vrai dire, je n'avais pas l'intention, en acceptant son invitation, de parler politique, mais plutôt littérature, philosophie, histoire, pourquoi pas spiritualité. Ce qui m'intéresse chez Pierre André, c'est ce qui n'est pas le "Pierre André" qu'on connaît, maire, sénateur, président de la communauté d'agglomération, mais la personne, ses goûts, sa vie, ses références (intellectuelles, morales, etc). Mais non : nous sommes très vite retombés dans la politique, comme Obélix dans son chaudron de potion magique (peut-être aussi par pudeur). Pierre André a commencé la politique active à l'âge de 17 ans, c'est dire. Nous avons passé en revue les sujets du jour : la campagne des municipales, Bertrand, Garand, Tournay, le FN, les pronostics, tout ça sans ordre, par petites touches, avec autant d'intuitions que de réflexions. On a même parlé de franc-maçonnerie (pas trop son truc, même s'il a été lui aussi sollicité).

Sur la politique nationale, je le laisse s'exprimer, en l'écoutant attentivement, car ce n'est pas lui que je vais convaincre (et réciproquement) : le cumul des mandats, il est pour, parce qu'un parlementaire peut beaucoup apporter à sa ville ; mais il est favorable à une limitation dans la durée. La réforme des élections cantonales (la parité titulaire/suppléant) : une "connerie", selon lui. Les impôts, Pierre André pense que les municipalités ne pourront que les augmenter, à cause de la diminution des dotations d'Etat (la politique de la Ville). Là, le point de vue mérite qu'on y réfléchisse sérieusement.

Ce que je veux surtout savoir, c'est quelles leçons il tire de sa longue vie politique, éventuellement quelle sagesse en ressort. Ce qui est original chez lui, c'est qu'il a fait le chemin inverse à beaucoup d'autres : il a commencé par la politique nationale, dans les années 70, au sein des ministères, repéré par Jacques Chaban-Delmas, et c'est ensuite qu'il a souhaité un enracinement local. Paris, ce n'était pas fait pour lui (même s'il y revient quelques décennies plus tard, par le palais du Luxembourg, en sénateur).

Ce que j'en retiens : en politique, il faut s'enraciner, durer, surmonter les difficultés. Au bout du bout, je crois percevoir en lui une petite pointe de lassitude, la politique étant devenue si difficile aujourd'hui (mais il a ses bébés André : Bertrand, Lavrilleux, Gruny). Quoi qu'il en soit, c'est un homme libre et qui apprécie sa liberté, comme j'apprécie dans mon assiette le croustillant de saumon au basilic et son beurre nantais, suivi d'un crumble minute aux fruits de saison (que je vous recommande vivement).

En jetant un coup d'oeil dans la rue (lui et moi sommes installés derrière la vitre), nous apercevons de l'autre côté Aurélien Walti et Gaël Hérissé passer. On s'amuse de la photo et du commentaire qu'ils pourraient faire, mais cette fois-ci, les observateurs, c'est nous, et ils n'en savent rien ! En sortant du restaurant, après deux heures de conversation, je fais quelques pas avec lui, pour le raccompagner jusqu'à l'Hôtel de Ville. Il n'y a que quelques dizaines de mètre à parcourir, mais déjà trois personnes viennent le saluer. Sans que Pierre André ait besoin de me dire quoi que ce soit, j'ai la réponse à ma question sur la réussite en politique.

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