mardi 18 février 2014

14-18, c'est parti



L'auditorium de l'Ecole nationale de Musique, à Saint-Quentin, complètement rempli, au point de devoir rajouter des chaises, j'ai rarement vu ça. C'était pourtant hier soir, à l'occasion du lancement du centenaire de la Grande Guerre : la salle était pleine d'anciens combattants, de responsables associatifs, de membres de l'Education nationale, de lycéens ... et de Saint-Quentinois de toute génération (en vignette).

Après l'allocution du maire, Rémi Dalisson, professeur d'histoire à l'université de Rouen, a fait une magistrale, passionnante et très vivante conférence sur la commémoration du 11-novembre. J'en ai retenu quatre idées fortes :

1- L'officialisation incertaine. On croit toujours qu'une cérémonie officielle l'est depuis le début. Pour le 11-novembre, non. D'abord, l'idée de commémorer la Der des Der (qui hélas ne l'a pas été) apparaît ... au milieu de la guerre, à travers des journées de solidarité censées rapprocher l'arrière du front. Et puis, il y a la fête de la victoire de la Marne (les fameux taxis) qui, alors que le conflit n'est pas terminé, dessine déjà très nettement ce que sera la commémoration ultérieure. La paix a beau être proclamée, le 11-novembre n'est pas encore officialisée : décréter un jour férié coûte cher pour un pays ruiné. Beaucoup estiment alors que la grande fête de la victoire, qui a rassemblé deux millions de personnes le 14 juillet 1919, se suffit à elle-même, est un événement unique qui n'a pas besoin d'être réédité. Néanmoins, une fête est créée, celle de Jeanne d'Arc, qui aura vite une autre signification. Il faut attendre 1922 pour que la commémoration du 11-novembre ressemble à ce que nous connaissons.

2- La guerre comme référence. Ce qui est étonnant dans l'histoire de cette commémoration, c'est de constater à quel point la guerre est une référence constante dans la réalité nationale. La première commémoration de ce type (rituel patriotique, défense des valeurs, visée pédagogique) remonte à la guerre de 1870. Pourtant, c'est une défaite militaire ! Mais son souvenir alimente l'idée de revanche. Après la première guerre mondiale, il y en aura une seconde, puis la guerre d'Algérie, jusqu'aux récents conflits auxquels la France a participé, Koweit, Afghanistan et aujourd'hui Afrique. La guerre n'a jamais cessé d'occuper l'espace ou l'horizon politique de notre pays, alors même qu'on croit vivre en paix depuis longtemps. A l'extérieur, au loin, la guerre reste la guerre.

3- L'enjeu idéologique. On pourrait penser que le 11-novembre a toujours été une cérémonie consensuelle, chaque sensibilité pouvant s'y reconnaître. Faux ! La commémoration est au coeur des conflits politiques, les forces en présence voulant la récupérer pour leur propre compte. La République veut en faire un moyen de légitimation du régime, mal accepté dans les milieux ruraux. En 1920, le 50e anniversaire de la IIIe République et la célébration de la victoire de 1918 sont jumelés. Les ligues d'extrême droite, qui sont anti-républicaines, veulent d'un 11-novembre strictement nationaliste. Les communistes, au contraire, en profitent pour condamner l'impérialisme et le capitalisme. Les pacifistes demandent à ce qu'on érige des monuments aux morts avec l'inscription "Maudite soit la guerre" (il y en aura seulement 5 sur 35 000 !). Ces divergences ne sont pas seulement théoriques : des bagarres se déclenchent pendant les cérémonies officielles, des monuments sont vandalisés (20% d'entre eux), il y a des morts. Remi Dalisson a souligné à quel point les sifflets adressés à François Hollande lors du dernier 11-novembre n'ont rien d'exceptionnel, sont même peu de choses par rapport aux incidents du passé. Notons enfin que De Gaulle autant que Pétain ont célébré leur 11-novembre.

4- Le rituel laïque. La IIIe République, laïque et anticléricale, peut sembler très éloignée de toute forme de ritualisation. Et pourtant, elle va mettre en place un cérémonial, une sorte de liturgie républicaine. Une religion cohabite avec une autre, à défaut de s'y substituer. Ainsi, le 11-novembre inaugure la minute de silence, la sonnerie aux morts, la lecture de la liste des disparus. On remet des diplômes et des décorations, on défile devant les monuments aux morts au pied desquels on dépose des gerbes, les enfants des écoles sont présents, les bâtiments officiels sont pavoisés. Mais il n'y a pas de parades militaires, ni de discours politiques : la cérémonie est centrée sur les anciens-combattants, les vivants et les morts. Elle a une dimension de recueillement : on rappelle les sacrifices, les souffrances et les victimes.

Je ne peux que vous inviter à lire les ouvrages de Rémi Dalisson, qui est le spécialiste française de l'étude de la commémoration. J'ai dû partir hélas quelques dix minutes avant la fin de la conférence, et des élus de Saint-Quentin de même, mais nous n'allions pas au même endroit : eux à la dernière séance du conseil d'agglomération présidée par Pierre André, moi à la réunion de bureau de Rencontre Citoy'Aisne. Mais quel beau moment ! Je souhaite bien sûr que les Saint-Quentinois s'investissent dans ce centenaire 1914-1918, tant il est vrai que la Grande Guerre fait partie de l'histoire et de l'identité de notre ville.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous visitez souvent les nécropoles civiles et parisiennes mais jamais vous n'avez pensé à montrer l'uniformité mais aussi les différences des deux cimetières militaires de la ville, le français vers AUCHAN , l'allemand à la chaussée romaine ; sans oublier les américains à BONY ou les anglais nombreux autour de SAINT QUENTIN comme à SERAUCOURT LE GD , SAVY ou au tout petit cimetière de CAULAINCOURT niché dans le bois du domaine ...

Emmanuel Mousset a dit…

Désolé, je suis spécialiste des cimetières civils, pas militaires. Mais je vous promets que lorsque j'aurai un peu de temps, je m'y mettrai.

Anonyme a dit…

Bonjour,
Suite à l'intérêt que vous semblez porter à la question, permettez-moi de vous faire connaître la parution récente du seul ouvrage de synthèse actuellement disponible sur le monument aux morts :
Comprendre le monument aux morts - lieu du souvenir, lieu de mémoire, lieu d'histoire, co-édition DMPA - Editions Codex
http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/comprendre-le-monument-aux-morts

Construit sur les acquis récents de la recherche mais destiné à un large public, il répond à la curiosité croissante vis à vis de cet édifice mal connu ou souvent mésestimé.
Plusieurs recensions en ont souligné les qualités et de très nombreuses sollicitations ont suivi sa publication : conférences, documentaire du CNRS Images à paraître en septembre, contributions sur le site de la Mission du Centenaire, articles ou collaboration au site de l'université de Lille III dédié au recensement des monuments aux morts.
http://monumentsmorts.univ-lille3.fr/blog/actualite/279/bibliographie-sur-les-monuments-aux-morts/

Richement illustré, il propose en quelques 130 pages et pour un prix abordable un bon outil de lecture et de redécouverte du monument aux morts.

Il me semble donc que cet ouvrage peut retenir votre attention.

Salutations distinguées,

Franck DAVID
https://www.facebook.com/comprendrele.monumentauxmorts