lundi 10 octobre 2016

Le temps des aidants



C'était samedi la première Journée des aidants, organisée à Saint-Quentin au palais de Fervaques. Aidants : quel drôle de nom, assez vague, pas très joli ! Surtout, c'est un terme récent : on connaissait le verbe aider et le substantif aide, mais le vocabulaire ne prévoyait pas un mot spécifique pour désigner ceux qui aident. Je pinaille inutilement ? Peut-être, mais je crois en l'importance du langage humain, toujours porteur de sens. A chaque fois qu'un mot nouveau apparaît, c'est qu'il se passe quelque chose de nouveau dans la société (puisque c'est elle qui est productrice de vocabulaire).

Les aidants, phénomène nouveau ? Eh bien non, justement ; ce qui renforce son étrangeté. Par aidant, on désigne une personne qui en aide une autre, de la même famille, parce qu'elle est malade, handicapée ou très âgée. Rien de nouveau : l'humanité a toujours connu ça. C'est ce qu'on peut aussi appeler la solidarité familiale. Autrefois, quand le système hospitalier et la médecine étaient beaucoup moins développés, c'est dans les familles qu'on vieillissait, souffraient et mourait. Et pourtant, on ne ressentait pas la nécessité de parler d'aidant. L'expression aurait étonné, sans doute fait sourire. Que se passe-t-il donc aujourd'hui ?

Je crois que la vogue des aidants vient précisément du fait que la solidarité familiale a perdu l'évidence d'autrefois. On a recours aux mots lorsque les faits font défaut. Dans un monde hyper-individualiste, cette solidarité-là ne va plus de soi. Le vocabulaire devient alors invocatoire. Et puis, il y a le besoin de reconnaissance sociale, désormais généralisé à toutes les couches de la population, et la compensation financière qui va avec. A quoi s'ajoutent aussi la dimension professionnelle (toute activité réclame une forme de spécialisation, de technicité) et la dimension juridique (quels sont les droits des aidants ?)

Ce qui surprend, c'est qu'on n'imagine pas une seule seconde que ces tâches familiales puissent être essentiellement motivées par l'amour, le devoir, la pitié, la gratitude, dans l'anonymat dans la vie intime. Non, nous en faisons quelque chose de politique (la société est sollicitée, prise à témoin) et de problématique (au lieu d'évoquer la joie qu'on peut trouver à aider une personne qu'on aime, on souligne surtout les difficultés que cela entraîne, dont la fameuse fatigue, qu'on retrouve aujourd'hui partout, et pas seulement chez les aidants ; il ne m'étonnerait pas que le désormais célèbre burn out les frappe à leur tour).

Cette réaction inédite renvoie certainement à de profondes et contemporaines angoisses. La quête du confort et le rejet de la notion quasi religieuse de sacrifice aboutissent à une sorte de culpabilisation à l'égard de nos anciens mal en point. L'aide silencieuse, humble et gratuite n'est plus envisagée. Remarquez bien qu'on ne se représente jamais un aidant comme quelqu'un de jeune, mais plutôt sous les traits d'un quinquagénaire ou sexagénaire auprès de ses vieux parents septuagénaires ou octogénaires. La société de consommation nous a promis une retraite libre, longue et heureuse, une fois les enfants ayant quitté la maison et fait leur vie. Et voilà que ces seniors, comme on les appelle, se retrouvent à devoir prendre en charge des vieillards ou des malades, au détriment de leur propre existence.

J'en viens à me demander si les aidants ne se considèrent pas eux-mêmes comme des victimes, appelant à leur tour à l'aide ! Le slogan de la journée de samedi le confirmait : aider les aidants, comme on parle de formateur de formateurs, formules qui me paraissent étranges, pour ne pas dire contradictoires. Une société qui rêve de jeunesse, de santé et de dynamisme est confrontée à tout ce qu'elle refoule, sinon nie : la vieillesse, la maladie et l'inactivité, et au bout du bout, l'horreur des horreurs : la mort, qu'on voudrait aussi douce que possible, notamment à travers l'euthanasie. Mais comment échapper au spectacle du délabrement et de la mort quand on est aidant ?

Il y a environ un an, faisant une conférence philosophique sur le thème de la vieillesse, une dame approchant les 70 ans est venue me voir, à la fin. Elle était préoccupée par cette vieillesse dans laquelle elle était déjà engagée, mais encore sans grande difficulté. Je lui demande quel est son souci principal. Je m'attendais à ce qu'elle me réponde par la peur de la mort, l'angoisse de la dégradation physique, l'inquiétude de la maladie, l'épreuve de la souffrance. Je n'y étais pas ! Son unique problème, c'était la crainte de la dépendance : elle ne voulait pas devenir une charge pour sa famille !

J'ai essayé de lui expliquer que la dépendance était une tendance inévitable de la vie, que nous étions tous, à un moment ou à une autre, et peut-être à tout moment de l'existence, à la charge de quelqu'un ou de quelque chose. Mais non, la hantise de la dépendance était plus forte que nous. Les aidants sont l'expression de cette contradiction : une société qui fait de l'autonomie un idéal et qui se trouve confrontée à une tranche d'âge qui a besoin d'être aidée, en opposition avec l'idéal proclamé. Quoi qu'il en soit, dans la douleur et dans l'espoir, nous sommes entrés dans le temps des aidants.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Moi suis aidant pour mes trois fils atteint d un handicap.ils sont ts les trois bac plus cinq .des travaillent un en recherche.c pas un choix d être aidant .la société doit évoluer pour la prise en charge des malades .il y a une évolution depuis la loi du 11 février 2005 il reste tant à faire .et crois moi emmanuel je sais de quoi je parle .

Anonyme a dit…

En tout cas,un aidant c'est utile pas comme un consultant...

C a dit…

Ce qui est surprenant (du moins, j'en suis surpris), c'est cette apparition telle une source ne tarissant pas, de jours dédiés à ceci ou à cela... Bientôt, il manquera de jours au calendrier pour toutes ces journées "particulières" et déjà attribuées à des saints reconnus du Vatican ou autres assez farfelues du calendrier républicain.
Les "aidants", ça aide 365 jours par an, les grands mères le sont tous les jours à partir de la naissance de leur premier petit enfant et les mamans et les papas et les voisins et l'Europe et même Dieu ! etc...
Quant au travail, ça se fête en chômant...
Comprenne qui pourra...