mardi 27 octobre 2015

Un jour de deuil



Nous ne connaissions pas les victimes de la tragédie, mais nous sommes aujourd'hui frappés comme si c'était nos proches. Nous avons vu les images, lu ou entendu les témoignages, qui nous ont émus. Nous pensons bien sûr aux disparus, mais à tous ceux qui restent, qui sont meurtris par le malheur, ces familles qui ont été touchées et qui seront marquées à jamais. Ce qui élève cette catastrophe à la tragédie, c'est le nombre important de personnes que la mort a emportées. C'est surtout le caractère injuste, imprévisible, inexplicable de ce qui s'est passé : pourquoi eux, pourquoi là, pourquoi à ce moment ? La souffrance provient aussi de notre propre impuissance : on se dit qu'on est en sécurité nulle part et qu'on n'y peut strictement rien. Oui, devant tous ces corps désormais sans vie, il faut s'incliner et méditer.

Nous avons perdu cette habitude de réfléchir à la mort, à quoi nous avaient préparé les religions d'autrefois. Il est sans doute plus difficile de "faire son deuil", de "se reconstruire", pour employer les mots de notre époque. Jadis, la catastrophe qui nous invite en ce jour au recueillement aurait suscité des pensées de philosophes. Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, en leur temps, ont disserté sur une tragédie analogue, qui avait marqué la ville de Lisbonne, faisant beaucoup plus de victimes. Ils se sentaient le devoir, par leur travail de réflexion, d'apaiser la peine des hommes, d'apporter des explications à ce qui apparaissait déjà comme un scandale, un destin cruel.

J'aimerais aussi, à mon petit niveau, méditer sur ce que pourrait nous apporter ce jour de deuil, pour que les pensées succèdent aux pleurs. Notre tort, c'est d'abord de nous croire tout puissants. Nous avons l'impression que nous pouvons prévenir les drames et y échapper, alors qu'ils sont inscrits dans le fil de l'existence. Par le passé, nous n'avions pas cette prétention, nous étions beaucoup plus humbles devant le malheur. D'ailleurs, savons-nous encore désigner le mal ? J'ai le sentiment que nous mettons toutes les souffrances au même niveau, sur un pied d'égalité, ne sachant plus rien distinguer, hiérarchiser.

Le tort de notre époque, c'est aussi que nous vénérons la sécurité, que nous pensons que rien ne pourrait nous arriver, mais surtout que la nature est bonne, qu'aucune tragédie ne peut venir d'elle. Il n'y a que les hommes que nous considérons capables de méchanceté, pas ce qui est inerte, qui pourtant parfois se retourne contre nous et fait très mal. Nous mettons trop d'espoir dans la technologie, croyant naïvement qu'elle pourrait nous protéger, alors qu'elle ne peut pas grand chose. Oui, je crois que le temps de silence qui sera le nôtre durant cette journée devra nous inciter à ces pensées et à d'autres, pour ne pas rester muets devant la fatalité, pour tenter de surmonter notre douleur.

L'ampleur de la tragédie l'exige : 300 morts connus à ce jour, des milliers de blessés, des milliers de personnes jetées dans les rues, ayant tout perdues, puisque la catastrophe n'a épargné ni les hommes, ni les bêtes, ni les bâtiments, offrant le pire spectacle de désolation qu'on puisse connaître, comme si une guerre avait dévasté des régions pourtant en paix. C'est le bilan provisoire du tremblement de terre qui a endeuillé hier l'Asie du Sud, particulièrement l'Afghanistan et le Pakistan, d'une violence que les hommes n'avait pas subie depuis 10 ans (alors, au Pakistan, il y avait eu 75 000 morts !). Devant une telle horreur, ce jour de deuil, non seulement national mais mondial, s'imposait.

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