samedi 24 octobre 2015

Réflexions sur la discrétion



La discrétion est une vertu privée qui n'est pas trop cotée, à l'époque des réseaux sociaux, des selfies et des tweets. Autrefois non plus : on lui préférait des qualités morales jugées supérieures, le courage, l'honnêteté, la tolérance par exemple. Pourtant, la discrétion est une belle figure de vie, une forme d'élégance, un raffinement : ne pas se mettre en avant, se retenir, s'effacer devant autrui, qui refuserait une haute valeur humaine à cette attitude ? Nous savons bien, d'expérience, que le m'as-tu vu est un grossier personnage. L'indiscrétion est une vulgarité et même une obscénité. La discrétion est une humble pratique du respect, de l'attention dont nous ne pouvons que regretter aujourd'hui le déclin.

Mais si la discrétion est une estimable vertu privée, elle n'est pas du tout une vertu publique, et au contraire un défaut. A l'école, l'enseignant reprochera à l'élève d'être trop discret, c'est-à-dire de participer insuffisamment à la vie de classe, de ne pas faire ses preuves à l'oral. La critique peut aller jusqu'à l'euphémisme : la discrétion caractérise alors un manque de travail, une forme de paresse ou bien une limite dans les capacités. En politique, on n'imagine pas un élu, un responsable ou un candidat qui seraient discrets, puisque c'est antinomique avec l'activité publique, qui consiste à parler, se montrer, aller vers les autres, agir, représenter, diriger. C'est d'ailleurs pourquoi la politique est difficile, pas naturelle : il faut rompre avec la discrétion, qui est quand même l'état le plus normal, la timidité spontanée de tout être humain.

Cependant, en y réfléchissant bien, nous pouvons aussi constater que la discrétion n'est pas si étrangère que ça à l'univers politique. C'est en effet un monde compliqué, exigeant, où l'on ne peut pas tout dire, où il faut savoir se contenir, où il est judicieux de taire ses ambitions, où il est nécessaire d'être discipliné et obéissant. En ce sens, la discrétion est recommandée à qui veut réussir en politique : ne pas se faire remarquer, parler comme tout le monde, attendre discrètement son heure. Ce n'est plus alors une vertu morale, mais une habileté.

N'est-ce pas contradiction avec la dimension publique très démonstrative, extravertie de l'homme politique ? Je ne crois pas, si l'on prend soin de distinguer ceux qui veulent remporter collectivement une victoire et ceux qui veulent obtenir individuellement une place (les deux démarches sont légitimes, même si l'une semble moins honorable que l'autre). Au premier, la discrétion n'est pas possible : c'est un combattant, un conquérant. Au deuxième, la discrétion est indispensable : c'est un second couteau, une petite main, un soutien. De la politique, on ne retient que la catégorie héroïque, celle des leaders. Mais sa réalité ordinaire, c'est la masse des supporters, qui recherchent moins le pouvoir dans toute sa gloire que ses miettes, en toute discrétion.


(l'idée de ce billet m'a été inspirée à la lecture de L'Aisne nouvelle, du jeudi 22 octobre, l'article page 2 de Mariam Fournier, intitulé "Les socialistes assument leur discrétion en campagne")

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