jeudi 15 octobre 2015

La politique est-elle maudite ?



Que nous dit Jérôme Lavrilleux dans L'Obs ? Rien que nous ne sachions déjà. D'abord, que la politique, c'est la recherche du pouvoir à tout prix : coup fourré, mensonge, manipulation, violence, haine, ingratitude, trahison ... Oui, c'est le pain quotidien, peu ragoûtant, de cette activité publique. Et c'est comme ça depuis que la politique existe. C'est pourquoi la plupart des gens ne l'aiment pas : ils sentent que c'est plus volontiers le règne du mal que du bien.

Ensuite, Jérôme Lavrilleux déplore et condamne la présence et l'usage de l'argent en politique. Là aussi, l'histoire est vieille comme le monde. On ne fait pas de politique sans moyens, et le principal moyen, c'est le fric. Et il en faut beaucoup pour arriver au pouvoir ou pour se maintenir au pouvoir. Alors, l'homme politique n'est pas regardant. La fin justifie les moyens, les moyens sont tellement énormes qu'ils éclipsent la fin.

De toute façon, l'homme de pouvoir aime trop le pouvoir pour s'intéresser à l'argent. Il laisse ça à d'autres, qui se débrouillent comme ils peuvent et paient, après, les pots cassés. C'est l'épreuve découverte et vécue par Jérôme Lavrilleux. François Mitterrand n'avait jamais d'argent dans ses poches : au café ou au restaurant, il laissait toujours les autres, les proches, les fidèles, régler la note. C'est sans commune mesure avec l'affaire Sarkozy, mais c'est une identique psychologie.

Enfin, et c'est la dimension tragique de la politique, cette activité a un rapport avec la mort. Il s'en dégage quelque chose de morbide et de mortifère. Rares pourtant sont ceux qui mettent fin à leurs jours : quand on aime le pouvoir, on ne va pas se flinguer. Mais la politique détruit les relations humaines les plus ordinaires et les meilleures : la confiance, la sincérité, l'honnêteté, l'amitié ... Jérôme Lavrilleux en fait l'amère et douloureuse expérience. Il a songé au suicide, il n'exclut pas qu'on puisse attenter à sa vie ...

Est-il au moins guéri de la politique, de ses illusions ? En partie oui, mais pas complètement. Lavrilleux garde sa fidélité à Jean-François Copé, il est persuadé que celui-ci ne le lâchera jamais. On le sent prêt à reprendre du service à ses côtés. Et moi je dis que si le maire de Meaux, au nom d'un intérêt supérieur et suprême, doit sacrifier son premier et meilleur lieutenant, il le fera, sans états d'âme. Parce que la politique est faite ainsi, depuis des millénaires.

Et puis, je trouve que Jérôme Lavrilleux est encore prisonnier d'une ultime illusion : celle qui lui fait croire qu'il pourrait maîtriser sa vie, comme il a cru pouvoir maîtriser la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Il nous dit, dans L'Obs, que son avenir est planifié. Non, l'existence est une suite d'incertitudes, de hasards, de rencontres. Le malheur de Jérôme Lavrilleux, c'est qu'il croit pouvoir tout contrôler. C'est sans doute le fantasme de l'homme politique, mais la réalité, c'est qu'un homme de pouvoir n'a pas prise sur grand chose : les plus habile, les plus malins font semblant. Le drame de Jérôme Lavrilleux, c'est qu'il n'a pas su faire semblant jusqu'au bout. La vérité, chez lui, a fini par devenir plus forte que le mensonge. Mais ce chemin de croix sera peut-être une rédemption, s'il en finit vraiment avec toutes ses illusions.

La politique est-elle maudite ? On pourrait le penser, en écoutant Jérôme Lavrilleux, en lisant ce billet. Et pourtant non : la politique est AUSSI une belle et noble chose, qui ne demande qu'à être sauvée. D'honorables vertus y sont à l'œuvre, chez certains grands, chez beaucoup d'obscurs et d'anonymes : convictions, courage, persévérance, dévouement, bien commun ... Allez, Jérôme, rien n'est perdu, la vie continue.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble que vous amalgamer put être deux choses qui ont peu à voir l'une avec l'autre.
La politique que l'on dit politicienne, celle dont vous parlez, affaire des boutiques appelées chez nous partis politiques.
Le politique c'est à dire agir pour ou tendre vers le bien commun qui est quasi incompatible avec "la politique" sous peine d'être viré du parti auquel on a adhéré très rapidement.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, je ne partage pas votre point de vue, bien connu, qui consiste à distinguer une politique noble (LE politique) de la politique dite "politicienne" (LA politique). Si vous observez attentivement notre histoire, vous constaterez que les deux se confondent. La distinction est tout à votre honneur, mais peu réaliste.

Anonyme a dit…

"la politique, c'est la recherche du pouvoir à tout prix : coup fourré, mensonge, manipulation, violence, haine, ingratitude, trahison ..." ?
Non, pas la politique !
Seulement les politiciens !
La politique, en régime démocratique, c'est la façon de vivre ensemble à la recherche du mieux vivre ensemble en déléguant à certains pour des mandats à durée limitée.

Anonyme a dit…

"Alors, l'homme politique n'est pas regardant"...
Surtout si ce n'est pas "son" argent !

Anonyme a dit…

"Allez, Jérôme, rien n'est perdu, la vie continue" ?
De quoi ? Cet homme paraît avoir truqué des comptes ou participé à des trucages de comptes dans des proportions hors norme pour le citoyen lambda...
La vie continuera pour lui après qu'il aura pu soit se disculper soit payer sa dette envers la société.
Les sommes en question n'ont rien à voir avec celles correspondant à un vol de poulet au supermarché ou autre menu larcin dont les auteurs "paient" cash s'ils sont pris la main dans le sac...

Emmanuel Mousset a dit…

1- La politique n'est pas une matière abstraite. On ne peut pas la dissocier des hommes politiques.

2- L'argent est une matière abstraite. Elle n'appartient à personne en particulier. C'est un système de circulation de valeurs. Il n'y a que les biens matériels qui sont l'objet de possession individuelle. "Notre" argent, ça n'a pas de sens.

3- La vie continue, parce que la politique continue, pas si négative que la perçoit Lavrilleux. Quant à son affaire, c'est à la justice de se prononcer. L'exemple du poulet est stupide, puisque ce vol est plus facilement remboursable que plusieurs millions détournés.


Anonyme a dit…

L'exemple du poulet est stupide, puisque ce vol est plus facilement remboursable que plusieurs millions détournés ?
Donc l'adage "Qui vole un oeuf, vole un boeuf" n'est pas valable pour vous...
Poursuivons...
Ainsi vaudrait-il mieux détourner beaucoup que dérober peu au motif que ce ne serait plus remboursable...
Je me demande si je vous confierais en toute confiance mon enfant à éduquer...

Emmanuel Mousset a dit…

Je confirme, comme vous, l'adage populaire de l'œuf et du bœuf : un vol est un vol, quelle qu'en soit l'ampleur. C'est pourquoi je n'encourage pas plus à voler un bœuf qu'un œuf.

Quant à l'éducation de n'importe quel enfant, elle revient uniquement à ses parents ou tuteurs. Vous me faites beaucoup d'honneur en songeant à me confier cette mission. Mais si vous vous posez la question, c'est que vous doutez de vos propres obligations pourtant naturelles.