vendredi 26 décembre 2014

Angoulême sans crèche



Le maire d'Angoulême a pensé bien faire, mais il a mal joué. Installer, la veille de Noël, des grilles autour de bancs publics pour empêcher les mendiants de séjourner, c'est contredire l'esprit de la Nativité : Joseph et Marie ont quand même trouvé une crèche pour les héberger ! Les pauvres d'Angoulême ne savent plus trop où crécher aujourd'hui. Notre société a beau être déchristianisée, elle a un peu de christianisme en tête. Le maire s'est défendu comme il a pu, en visant les dealers et pas les mendiants. Mais c'est raté : chacun a compris que ce sont les pauvres qui sont incriminés. Non loin d'un centre commercial, leur présence est gênante, donne mauvaise conscience, dérange la clientèle. Et puis, un pauvre, c'est mal habillé, ça boit beaucoup, ça mange n'importe comment, ça parle fort, ça ne sent pas bon et ça embête à tendre la main, à demander de l'argent alors que ça ne fiche rien. Ce n'est pas un modèle pour notre société.

Ne montrons pas du doigt les élus d'Angoulême : ils sont le produit de toute une société qui méprise désormais les pauvres. La faute à qui ? A la morale libérale qui s'est imposée depuis une vingtaine d'années, qui affirme que le bien, c'est de travailler beaucoup et de gagner beaucoup d'argent et que le mal c'est de ne rien faire et d'être pauvre. Pour cette morale-là, très répandue aujourd'hui, dans tous les milieux, la victime (de l'impôt) c'est le riche, le coupable (d'assistance) c'est le pauvre. Autant vous dire que je ne partage pas ce point de vue : je suis libéral en économie (au sens où je suis favorable à la concurrence et au marché), mas pas libéral en morale (les riches ne sont pas les gens bien, les pauvres ne sont pas des salauds de fainéants). Si on me pousse, j'aurais tendance à penser que les profiteurs sont du côté des riches (même si tous les riches ne sont pas des profiteurs) ; en revanche, à mes yeux, un pauvre est toujours une victime, à ce titre toujours défendable. L'inconscient du maire d'Angoulême nous dit qu'il ne peut pas voir les pauvres en peinture, qu'ils font tache sur le tableau de sa ville, qu'il préfère les voir ailleurs ou derrière des grilles ...

Les bancs publics ont bien changé depuis l'époque où Brassens les chantait. Les amoureux n'en font plus usage ; les adolescents se retrouvent ensemble dans leur chambre à se bécoter, les parents étant devenus tolérants. Les vieux ne s'y reposent plus, depuis qu'ils voyagent en charter ou en croisière au bout du monde. Il n'y a plus que les pauvres qui s'en font un refuge. Laissez-leur au moins ça ! Il paraît que le maire d'Angoulême a décidé d'enlever les grilles du scandale, de façon provisoire, pour les réinstaller plus tard. Après l'ignominie, l'hypocrisie. S'il a eu droit au joyeux Noël, je ne sais pas si on lui souhaitera une bonne année.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

L'ARCHITECTE CHEMETOFF concepteur des bancs est scandalisé et dans un long article il expose ses idées et ses opinions :
Extrait :
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Mais ils n’ont pas été utilisés comme il le faudrait ?

L’espace public est fait pour être approprié par tous. La réponse, c’est d’organiser et de permettre ce partage. Il serait paradoxal de rendre les bancs inconfortables pour que les gens ne s’y asseyent pas. Même les gens pauvres. Cette façon d’emprisonner les bancs pour les rendre inaccessibles est un détournement d’une oeuvre qui a été faite, je le rappelle, avec les élus de l’époque. De plus, les socles sont en béton car ils sont aussi destinés à protéger les verrières qui se trouvent derrière et qui sont assez fragiles. Il sont solides et ce n’est fort heureusement pas évident de les démonter. Ils résistent.
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