mercredi 24 décembre 2014

Et Chancel dans tout ça ?



On se forme par petites touches : éducation, école, lectures, films, fréquentations, ... Dans ce que je suis, je dois une partie à Jacques Chancel. Ce n'est pas tant son émission "Le Grand Echiquier" qui m'a formé : je n'ai jamais été très musique. Non, c'est sur les ondes, par "Radioscopie", que je l'appréciais, que j'ai été influencé par lui. J'attendais, quand c'était possible, 17h00 avec impatience, pour pouvoir l'écouter. Pendant une heure, un invité était soumis à des questions très personnelles, graves, métaphysiques, qui sortaient complètement de l'exercice ordinaire.

Au final, la personnalité était vue tout autrement. C'était passionnant, un régal, un vrai moment d'intelligence. Chancel avait le chic pour poser des questions osées qui pourtant ne le paraissaient pas, parce qu'elles étaient prononcées sur un ton très doux, patient, bienveillant. Depuis, je n'ai rien vu de tel. Jacques Chancel était sans doute l'un de nos derniers journalistes de radio et de télévision disposant d'une large culture, méritant sans doute le titre d'"intellectuel".

"Le Grand Echiquier", je regardais beaucoup moins, mais j'étais également épaté : l'émission durait trois heures, sinon plus, et on avait l'impression qu'elle aurait pu durer toute la nuit, tant les invités étaient des passionnés ( à l'époque, l'image s'arrêtait vers minuit). Là encore, Jacques Chancel prenait son temps, chose inimaginable aujourd'hui, où tout doit aller très vite. Il faisait venir sur son plateau des artistes que je ne connaissais pas toujours, mais dont je sentais que c'étaient des grands. Il y avait du jazz, de la musique classique, mais aussi des copains à lui, comme Brassens ou Lino Ventura. Chancel, en ce temps-là, c'était l'anti-Guy Lux, et ça me plaisait. En le suivant, on avait un peu l'impression de faire partie de l'élite ...

Une vanne courait sur son compte, jusqu'à aujourd'hui : c'est le fameux "et Dieu dans tout ça ?", que je ne l'ai jamais entendu prononcer, qui est probablement une légende, mais à la dimension de l'homme, de sa hauteur de vue. Pourtant, comme nous tous, il avait sans doute son petit côté obscur. Qui se souvient aujourd'hui que, dans les années 70, Jacques Chancel avait invité à son "Grand Echiquier" celui qui, depuis, s'est fait appeler Raël, un sinistre chef de secte loufoque (qui a d'ailleurs copiner aussi, ces récentes années, avec l'écrivain Houellebecq) ? A la télé, Chancel l'avait présenté, je m'en souviens, comme un doux rêveur, presque un poète (le type prétendait entrer en contact avec des extra-terrestres !), un personnage digne d'intérêt. Résultat : des milliers de lettres ont été adressées à Vorillon (son nom réel), qui a lancé à partir de là son mouvement "raëlien". Chancel, c'est aussi celui qui a fait la bringue avec Gabriel Matzneff, dans les années 60 (certifié dans le journal intime de l'écrivain).

Une autre circonstance me rattache à Jacques Chancel. J'ai été deux ans interne dans un lycée des Hautes-Pyrénées, région où il est né. J'avais comme prof de philo un ami à lui, Joseph (Jo pour les intimes) Comets, avec qui il faisait des randonnées en montagne (Chancel l'évoque d'ailleurs dans l'un de ses bouquins). Evidemment, cette amitié était très commentée par mes camarades de classe. Un bruit courait sur Chancel, que je n'ai jamais pu vérifier (mais quelle importance ?) : il aurait été patron de boîte de nuit au Vietnam. Ce genre d'anecdote assez surprenante, qui ne cadrait pas avec l'image que Jacques Chancel donnait de lui, faisait causer dans les couloirs et à la récré les ados que nous étions.

Si j'avais à retenir quelque chose de symbolique en ce moment de sa disparition, je n'hésiterais pas : ce serait le court générique de "Radioscopie", cette petite musique qui installait le climat de l'émission, où l'invité se présentait lui-même. Sacré Chancel, vous allez nous manquer !

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