vendredi 19 décembre 2014

Les modernisateurs



Chacun sent bien que le socialisme en France est à un tournant, que plus rien ne sera comme avant. C'est d'ailleurs toute la société, depuis quelques années, qui change : les références ne peuvent plus être les mêmes lorsque les repères sont en mouvement. Pas mal de choses ont déjà évolué au parti socialiste, dans son organisation et sa doctrine. Mais je crois que le rythme ira en s'accélérant. Je vois aujourd'hui deux modernisateurs en chef, pourtant très différents l'un de l'autre : le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, et la tête du parti, Jean-Christophe Cambadélis.

La fameuse loi Macron, qui est débattue en ce moment et qui n'a pas fini de faire parler d'elle, est un ferment de transformation sociale. On ne retient que la stupide querelle des dimanches. Mais il y a bien d'autres dispositions dans ce texte. Qui défilent dans la rue contre lui ? Pas les salariés ou les chômeurs, mais les professions protégées, souvent aisées, qui n'acceptent pas qu'on mette fin à leurs privilèges. En vérité, ce sont les conservatismes, de gauche ou de droite, que recèle notre société qui se lèvent, qui résistent à la loi Macron.

Cette loi, il faut la comprendre dans son esprit général, et ne pas se perdre dans le détail de ses articles. Quelle est l'intention ? Redonner de l'énergie, du souffle, de la liberté à la société française, qui en manque singulièrement. C'est de là que repartira la croissance, et donc l'emploi. Qu'on ne s'y trompe pas : Macron est populaire, Valls aussi, et ils le seront de plus en plus, parce que leurs idées sont en phase avec les attentes des Français. En revanche, il n'y a rien à espérer d'une ligne politique plus à gauche, que les résultats électoraux régulièrement condamnent.

La bataille d'opinion que doit mener le PS, c'est en direction des milieux populaires, ouvriers (car il y en a toujours, et des millions !), employés, exclus : eux, dans la précarité ou la mouise, sont prêts à entendre un discours de réalisme économique. Mais il faut laisser tomber les bobos-écolos-petits-bourgeois, qui refusent tout grand projet, qui se fichent de la reprise de la croissance, qui ne pensent qu'à la défense de leur confort, de leurs rentes. Ceux-là manifestent contre le barrage de Sivens, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, le Center Parks je ne sais plus où, le canal Seine-Nord chez nous, les Jeux olympiques ou l'Exposition universelle à Paris. Ils sont hostiles à tout idée de développement économique, à toute sorte de grands travaux : c'est une classe sociale qui vit sur sa propre prospérité, qui ne se pose pas la question de celle des autres.

Après Macron et le gouvernement, Cambadélis et le parti, le second modernisateur. Celui-ci veut s'attaquer aux clans, aux féodalités, aux clientèles protégées au sein de PS, comme Emmanuel Macron le fait dans l'économie. Il y a analogie. Le PS, depuis pas mal de temps, s'est balkanisé : plus vraiment de débats idéologiques comme dans les années 70 et 80, mais des sections aux effectifs squelettiques, qui verrouillent pour vivre sur leurs rentes électorales, dans le confort des gens installés, soucieux de contrôler les investitures aux élections, délaissant tout travail de recrutement, de formation et de communication (la réflexion, je n'en parle même pas). Je résume, avec mes mots à moi, l'admirable discours de Jean-Christophe Cambadélis, lors du Conseil national du parti, qui s'est tenu à Paris samedi dernier.

Notre premier secrétaire s'est donné un objectif ambitieux : faire du parti socialiste un parti de masse, dans lequel les sections ne seraient plus repliées sur elles-mêmes à ne rien faire ou à se regarder le nombril. Nous en sommes très loin ! Mais qui aurait dit, dans les années 60, que la vieille SFIO, avec ses notables, ses élus alimentaires et ses adhérents employés municipaux, se transformerait, sous l'influence de François Mitterrand, en un parti jeune, moderne, dynamique, en adéquation avec son temps, capable de gagner de nombreuses élections ? C'est vers cela que nous devons aller aujourd'hui, bien sûr dans un tout autre contexte qu'alors.

Le gouvernement ne peut convaincre que s'il est soutenu par un parti fort. Le parti ne peut se développer qu'en s'appuyant sur le travail du gouvernement. La modernisation ne se fera (et elle a commencé) que dans ces deux directions concomitantes. Ce sera long et difficile. Même dans un parti progressiste, il y a des esprits conservateurs, nostalgiques du bon vieux temps, qui ne souhaitent pas remettre en question leurs habitudes de penser, qui résistent à voir disparaître leurs avantages acquis. Mais cette modernisation se fera : sinon, ce sera la mort ou l'extrême droite, ce qui revient d'ailleurs au même.

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