dimanche 14 décembre 2014

Les livres aussi ont un destin



Philippe Lacoche était hier matin en séance de dédicace chez Cognet, notamment pour son récent ouvrage "Les dessous chics", un recueil de ses chroniques du dimanche dans le Courrier picard, de 2005 à 2010. A Emmaüs, j'ai découvert, il y a peu, un livre de Philippe déjà ancien d'une vingtaine d'années, "Des petits bals sans importance", avec une longue dédicace de sa main, sur un ton familier et tutoyant, adressée à un certain Fred. J'ai acheté, me disant que je pourrai le lui montrer. Et puis, je me suis repris : un livre qu'on a pris soin de faire dédicacer, on le garde précieusement chez soi, on ne s'en débarrasse pas, ni ne le donne. Bref, la curiosité amusante pouvait sans le vouloir vexer son destinataire. Et si la personne était décédée ? Cette autre hypothèse n'était guère plus réjouissante. Bref, j'hésitais, je verrai bien sur place, devant lui.

Un argument m'a décidé à sortir le roman dédicacé de mon sac : Philippe Lacoche est un écrivain de la nostalgie, sans cesse tourné vers son passé. Je me suis dit qu'un tel homme ne pouvait pas être gêné par mon geste, quoi qu'il arrive. J'ai bien fait de renoncer à mes préventions : Philippe Lacoche a ouvert timidement le livre, relu
ses mots écrits en 1997, surpris et ému par une telle découverte. Fred, c'était un cher copain à lui, aujourd'hui disparu. Surprise dans la surprise : "Les dessous chics" évoquent sa mémoire, p. 98, "So long, Fred ...".

Je n'ai jamais cru à ces histoires de naufragés qui jettent une bouteille à la mer dans le golfe du Mexique, qu'on retrouve des années plus tard sur les plages de la côte picarde. Il y a un peu de ça dans notre histoire. Par quelle suite de hasards et de coïncidences, entre quelles mains ce bouquin est-il passé pour venir jusqu'à moi, et de moi jusqu'à lui, Philippe Lacoche ? N'ai-je pas été l'intercesseur d'une incroyable providence ? Nous savons que les (bons) livres ont une âme ; mais ils ont aussi un destin. Ils ne meurent que par la destruction. Sinon, ils continuent leur vie, on ne sait trop où, jusqu'à ce local d'Emmaüs à Saint-Quentin.

C'est bête à dire, encore plus à écrire : une larme a discrètement coulé sur la joue de Philippe, une seule, une vraie, comme je n'en vois jamais, surtout pas sur mon visage. Après ça, on a envie de se taire. Mais je suis là pour vous parler : Philippe Lacoche fait partie de ces hommes qui pleurent, comme cet autre écrivain dont je suis un admirateur inconditionnel, Gabriel Matzneff, rencontré samedi dernier à Paris, à l'Institut Saint-Serge (il m'a donné son adresse électronique, on doit se revoir).

Quel rapport pourtant entre le petit prolo communiste de Tergnier et le russe blanc orthodoxe ? Une même sensibilité : la mélancolie du passé, le sens de l'amitié, l'amour des femmes, le goût de la liberté, la critique de la société contemporaine ... Je ne connais pas tout Lacoche, mais c'est en lisant "Des rires qui s'éteignent" que la proximité entre les deux écrivains m'a frappé. Leur sensibilité, c'est une sensualité très fine, très prenante (le chapitre 9 des "Rires qui s'éteignent" est plein d'odeurs). Sensations, odeurs, pleurs, tout ça va ensemble.

Quand Philippe Lacoche a terminé de me faire sa dédicace, je me suis dit que ce livre que j'emportais chez moi aurait lui aussi, un jour, son propre destin, lorsqu'il m'aura échappé, que je ne serai plus de ce monde. Alors, peut-être que quelqu'un le découvrira quelque part, avec sa dédicace, qu'il sera intrigué, qu'il essaiera d'en savoir plus ... Jusqu'où iront-ils, nos livres dédicacés qui voyagent ainsi à travers les années et les lieux ? Ces quelques phrases, souvent banales, prennent au fil du temps une valeur inestimable. N'oubliez pas, à Emmaüs ou chez un bouquiniste, de regarder les premières pages d'un livre que vous feuilletez : elles vous raconteront peut-être toute une histoire.

4 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Il y a peut -être des choses qui doivent rester intimes. Je comprends qu'en politique on puisse tout dire, la politique c'est le contraire de l'intimité. Mais alors là, tu étales des choses que le concerné, je pense, n'aimerait pas voir publiées ; et puis une petite dose de fanfaronnade concernant ta "relation" avec Matzneff. Je crois que tout cela peut amener à décrédibiliser quelque peu ton image, ce dont tu te plains régulièrement et dont tu sembles souffrir. Les gens n'aiment pas les fanfarons, or ta cible ce sont bien "les gens" ; ce sont eux qui peuvent ou non te confier des responsabilités. Ceci dit avec mes gros sabots, et mon goût de la provocation mal assumé, donc mal maîtrisé, je suis très mal placé pour faire la leçon à qui que ce soit.

Emmanuel Mousset a dit…

Mon cher Erwan,

Je fais état d'un moment d'émotion lors d'une rencontre publique : serait-ce malséant ? Je ne crois pas.

Quant à Matzneff, je dis que nous nous sommes parlés : où est la fanfaronnade ?

Enfin, je ne me plains pas, je ne souffre pas, je ne suis pas en quête de "crédibilité", ni soucieux de mon "image" : j'essaie de relater des émotions et des rencontres qui peuvent intéresser les lecteurs. C'est tout.

Bonne journée à toi

D. a dit…

Quoi ?
Frayer avec quelqu'un qui jadis se vantait de faire les sorties de lycées de jeunes filles ?
On ne choisit pas les siens mais ses amis et ses interlocuteurs, si !

Emmanuel Mousset a dit…

Vous vous offusquez de pas grand chose.