mardi 19 juillet 2011

Une tragédie sans fin.

L'été, il nous arrive toujours, l'avez-vous remarqué ? quelque chose d'incroyable, d'extraordinaire, qui tranche sur le reste de l'année. Pour les uns, c'est une rencontre amoureuse ; pour les autres, c'est la découverte d'une région, d'un pays, d'un livre. Pour moi, l'évènement a eu lieu hier et aujourd'hui, et c'est encore autre chose, que je vais vous raconter, d'autant que mes lecteurs pourront en tirer quelques profitables leçons et utiles conseils. Je ne crois pas que je vivrai plus belle et terrible histoire dans les prochaines semaines.

Tout a donc commencé hier soir, vers 23h00, devant chez moi, où je promenais à bras mon chat, comme chaque soir vers 23h00. Sauf que ma bête était tout énervée, très agitée, que j'avais du mal à la maintenir contre moi. "Monsieur" (c'est le nom familier que je lui ai donné) ne cessait de regarder vers le ciel, ce qui n'est pas dans ses habitudes ; généralement, il observe le sol et le dessous des voitures.

J'ai à mon tour levé les yeux, et là, j'ai vu, j'ai compris : un oiseau s'agitait lui-aussi, au bord de mon toit, mais pas pour la même raison que "Monsieur" : l'animal était manifestement coincé dans un trou, il battait désespérément des ailes sans pouvoir en sortir, son probable refuge s'était transformé en piège.

J'ai d'abord cru que l'empêchement était momentané, que la bête en forçant allait finir par se tirer de cette sale affaire. A minuit, je suis ressorti : évidemment, l'oiseau était toujours retenu par je ne sais quoi, déployant en vain ses ailes, piaillant légèrement. La scène était pathétique à voir, renforcée par mon impuissance à faire quoi que ce soit pour y mettre un terme. Je suis bon citoyen, républicain éclairé et ami des animaux, je me devais d'agir, ma conscience morale me l'ordonnait, même à minuit.

Une image atroce s'est imposée à mon esprit : la pauvre bête allait passer la nuit à s'épuiser d'efforts inutiles, sous la pluie, dans de terribles souffrances entraînant une mort lente, de fatigue et de faim. La torture se poursuivrait sans doute au matin, peut-être sur plusieurs jours (combien de temps met un oiseau pour mourir dans de pareilles circonstances ?). Ma chambre est sous les toits, mon lit à quelques mètres du sinistre tableau : pouvais-je dormir dans de telles conditions, avec la douleur et la mort au-dessus de ma tête ?

Qu'auriez-vous fait à ma place ? J'étais gêné mais je l'ai fait, je ne voyais pas d'autres solutions : j'ai appelé les pompiers. Gêné de les déranger pour ça : après tout, ce n'était qu'une bête, il n'y avait pas mort d'homme . Et puis, on ne sait jamais, ce n'était peut-être pas si dramatique, l'oiseau pouvait se libérer au cours de la nuit. Mais j'ai toujours entendu dire que les pompiers se déplaçaient pour sauver un chat incapable de descendre d'un arbre. Alors, un oiseau coincé sous un toit, pourquoi pas ? Bon, faire venir la grande échelle et tout le cinéma, c'est vrai qu'on hésite. Mais passer un coup de fil pour connaître leur avis, ça m'a semblé raisonnable.

Savez-vous que lorsqu'on appelle les pompiers, votre message est enregistré ? C'est ce dont m'a prévenu le répondeur automatique, et j'ai presque regretté d'avoir décroché mon téléphone. Quand le vin est tiré, il faut le boire. Au bout du fil, la personne de service a été compréhensive, m'a posé des questions (notamment sur l'espèce de l'oiseau, à quoi je n'ai pas su répondre ; plus tard, sur internet, j'ai compris que c'était un martinet) et proposé de revoir ça le lendemain, au matin, une intervention n'étant pas immédiatement possible.

J'ai eu alors le sentiment que la sagesse l'emportait : ne pas se précipiter, attendre quelques heures, avec l'espoir que la tragédie se serait dénouée d'elle-même, ou plutôt à coups d'ailes. Mais la sagesse ne tient jamais très longtemps devant la pensée qu'une créature, même animale, se débat avec une injuste souffrance. Comment pouvais-je trouver le sommeil du juste ?

La nuit, des moments de folie gagnent l'esprit. J'en étais arrivé là. L'inévitable tentation m'a pris : monter sur le toit et délivrer l'oiseau. Celui-ci n'était pas très loin de ma fenêtre, le bord du toit est plat et relativement large, l'expédition était jouable : je pouvais ainsi faire l'économie d'une nuit d'inquiétudes, de reproches et de tourments et d'une intervention matinale des pompiers.

Sauf qu'il y avait un blème : je suis accablé d'un vertige maladif, la tête me tourne dès que je monte sur un escabeau et ma maison comporte deux étages ! Il fallait pourtant que quelqu'un se sacrifie pour éviter le sacrifice de l'oiseau : j'ai délégué cette tâche héroïque à ma compagne, qui n'a peur de rien, pas même du vide. Elle a d'ailleurs parfaitement effectué sa mission, comme un vrai chat de gouttière qui irait sauver les oiseaux au lieu de les croquer. Vous croyez peut-être que mon histoire d'été arrive à son (heureux) terme ? Erreur fatale.

Il ne suffisait pas de monter sur le toit, décision valeureuse en soi mais incomplète : il fallait soustraire l'oiseau à sa prison. Ma compagne s'y est reprise à plusieurs fois, sans réussir. Se saisissant du corps de l'animal, elle ne parvenait pas à le tirer de son mauvais pas, quelque chose résistait, bloquait, probablement une patte sévèrement retenue dans une crevasse ou une fissure. Le mal restait donc invaincu et notre sommeil promis à bien des cauchemars.

L'opération n'était pas sans risque, non de chute mais de réputation : se retrouver à minuit sur un toit rue Jean-Jaurès, alors que la plupart de mes voisins bourgeois sont en vacances, c'est se faire passer pour ce qu'on n'est pas, un cambrioleur ! Je tiens à mon image, j'ai quelques responsabilités publiques et j'espère en un avenir politique : la bonne intention pouvait se retourner en fâcheux scandale. Heureusement, à cette heure, les honnêtes gens ne sont pas à leur fenêtre.

Au matin, ce matin, l'option des pompiers m'est revenue, mais une autre aussi, tant il est vrai que la nuit porte conseil : puisqu'un animal était en danger, pourquoi ne pas contacter la maison de la nature, dans le parc d'Isle, habituée à s'occuper d'oiseaux ? Mais l'appel débouchait sur un sifflement désagréable qui indique en général la présence d'un fax. Raté !

A quel saint alors se vouer ? Quand un croyant rencontre une difficulté, il prie son dieu ; quand un saint-quentinois est dans le même embarras, il téléphone à la mairie. C'est ce que j'ai fait. A l'accueil, j'ai été transféré dans un service qui m'a mis en communication avec un homme, l'homme de la situation, mon sauveur : monsieur Modderman, du service environnement de la communauté d'agglomération, responsable du centre de sauvegarde de la faune sauvage et de la maison de la nature. Au bout d'une heure, le temps pour lui de trouver un véhicule pour venir jusqu'à chez moi et il était sur mon toit. Ce monsieur Modderman, c'est Spiderman !

Il a saisi l'oiseau très naturellement, comme s'il avait fait ça toute sa vie (peut-être a-t-il fait ça toute sa vie ?) et l'a mis tout simplement dans sa poche ! Il fallait inévitablement forcer pour le libérer, une patte a été endommagée, la bête devait être soignée. Ce dénouement a suffi à ma joie une bonne partie de la journée, ma conscience allégée d'un poids. Merci, merci, merci monsieur Modderman. Comment pourrais-je remercier cet homme, qui certes n'a fait que son devoir et son métier, mais qui mérite tout de même ma reconnaissance ? Peut-être lui offrir un oiseau ... en cage.

Happy end ? J'aurais tant aimé ... Dans l'après-midi, après une nuit tourmentée et tant d'émotions, je me suis allongé et rapidement assoupi. Et savez-vous ce que j'ai entendu au plus profond de mon sommeil ? Des cris de détresse, des cris d'oiseaux ! Je me suis réveillé brutalement, dans l'angoisse et la sueur : croyez-moi si vous voulez, j'étais persuadé n'avoir pas rêvé, que ces appels au secours étaient réels. J'ai fait alors ce que je fais toujours et que je réussis plutôt bien : réfléchir. Et voilà le cheminement de ma pensée :

Pourquoi l'oiseau de cette nuit était-il prisonnier sous mon toit ? Qu'est-ce qui l'avait conduit jusque-là ? Visiblement, le haut du mur est percé d'un trou qu'utilisait l'animal pour s'abriter, se cacher. Voyez-vous où je veux en venir ? Cet endroit, c'était probablement le nid du martinet, dans lequel il venait approvisionner ses petits, qui à l'heure actuelle se sentent abandonnés, en attente d'une nourriture qui ne viendra jamais, mourant peu à peu d'inanition. J'ai sauvé un oiseau et j'ai peut-être sacrifié quatre ou cinq oisillons. Le pire, c'est que je ne saurai jamais. Ces piaillements plaintifs dans la nuit, sont-ils le produit imaginaire de mes angoisses ou les gémissements réels d'une tragédie sans fin ?

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