lundi 25 juillet 2011

Le monstre et les anges.

J'ai assisté samedi après-midi, dans l'abbaye de Saint-Michel en Thiérache, à une représentation théâtre un peu particulière, une interprétation revue et corrigée du Malade imaginaire de Molière, par la troupe L'Etoile du rire, composée d'adultes en difficulté intellectuelle ("déficients mentaux", comme on disait autrefois avec quelque désobligeance), membres de l'association soissonnaise Arts Culture Sport, avec laquelle la Ligue de l'enseignement de l'Aisne travaille. Il a fallu beaucoup de temps (deux ans), beaucoup d'effort et de volonté aux dix-neuf comédiens pour dépasser leur handicap, apprivoiser le texte et leur parole, affronter le regard du public. Le théâtre est aussi pour eux une forme de libération.

Si j'évoque cette manifestation, c'est parce que j'y ai repensé durant tout le week-end, sur fond de tragédie norvégienne relayée par les médias, avec cette question qui s'est imposée à moi : où est la normalité, où est la folie ? Le jeune meurtrier d'Oslo est tout à fait normal, presque monstrueusement normal, physiquement, socialement et mentalement, du moins pour ce qu'on en sait jusqu'à présent. On cherche le fou furieux, on ne trouve que l'assassin méthodique. C'est un homme qui réfléchit, écrit, argumente, c'est un être rationnel, sans doute intellectuellement supérieur à la moyenne, dont les opinions ne sont pas si éloignées de celles de bien des gens autour de nous, les conséquences criminelles en moins.

Par comparaison, les personnes que j'ai rencontrées à Saint-Michel ne sont pas considérées comme "normales". Les visages sont parfois marqués, les propos ne sont pas entièrement maîtrisés, la mémoire fait par moments défaut, l'allure est lente ou au contraire trop vive, les regards ne rencontrent pas toujours votre regard ou le fixe avec insistance. Mais qui oserait parler de "folie", même douce ? Ce sont des hommes et des femmes autres, différents, qui ne sont simplement pas en phase avec les petites normes convenues de la sociabilité ordinaire.

Et alors ? Pacifiques et sensibles, peut-être plus humains que le commun des hommes, ils se rapprochent des anges, si l'on en croit une vieille expression russe. En Norvège, un homme normal s'est transformé en monstre en passant à l'acte, en appliquant des idées monstrueuses. Les catégories modernes de normalité et de folie sont finalement inopérantes, n'expliquent pas grand-chose. Il y a des fous dont le comportement est civilisé à défaut d'être conforme, il y a des individus normaux dont les attitudes sont barbares, démentes, cruelles. Je préfère distinguer entre les monstres et les anges.

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