dimanche 10 juillet 2011

Le ticket qui pousse.

Qui a eu cette idée géniale ? Le président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, Pierre André ? Une tête pensante de ses services administratifs ? Les responsables du réseau de bus Pastel ? En tout cas, je suis enthousiaste ! Hier, en achetant mon carnet de tickets, on me donne un drôle de petit carton, à la dimension d'une carte de visite, de texture bizarrement granulée, avec cette inscription encore plus bizarre : "le ticket qui pousse". Au début, je n'ai pas compris. Pour moi, les tickets, de bus, de restaurant ou de cinéma, ça ne pousse pas, hélas. Mais celui-ci oui, manifestement !

J'ai compris en retournant le carton et en découvrant les explications, agrémentées de petites illustrations : "Des graines de fleurs ont été intégrées dans le papier ! Prendre le ticket ensemencé, le faire tremper 30mn, le planter dans du terreau léger. Arroser, exposer au soleil. Planter à l'intérieur ou à l'extérieur à l'abri du froid". Et voilà ! Génial, je vous dis. Ça me fait penser à ce que je trouvais, quand j'étais enfant, dans Pif-Gadget. Ce dimanche, je m'y suis mis, je me suis occupé de mon "ticket qui pousse". Et ce n'est pas si facile que ça, pour l'urbain, le citadin que je suis.

D'abord, il m'a fallu de la terre. C'est bête : nous vivons sur terre ; normalement, on devrait facilement trouver de la terre un peu partout. Rien de plus simple, basique, banal que la terre. Eh bien non, j'ai été embarrassé, ne sachant pas où aller la chercher. Dans un jardin public, c'est interdit. Dans un jardin privé, il faut solliciter un ami qui a peut-être autre chose à faire. Aller à la campagne, dans un champ ? Ça m'a semblé compliqué, incertain. J'ai posé la question, on m'a répondu : la terre, ça s'achète. Je n'y avais pas songé ! Tout s'achète aujourd'hui, même la terre, alors qu'on pourrait penser qu'il suffirait de se baisser pour en extraire gratuitement ...

Je me suis donc rendu dans un magasin où l'on vend de la terre, sous plastique bien sûr, comme la viande. A nouveau, j'ai été confronté à un problème qui m'a rendu perplexe : les catégories de terre sont nombreuses, avec des noms que je ne connais pas, des qualificatifs compliqués. Jusqu'à ce jour, je pensais que la terre était comme la République, une et indivisible ; je constate qu'il y en a de multiples sortes. Mais ce n'est pas de la terre banale, vulgaire, celle qu'on trouve sous nos pas, sur cette planète. Non, c'est de la terre de luxe, de bourgeois, du terreau plus exactement, travaillée, enrichie, vitaminée, qui fait pousser très vite n'importe quoi.

J'ai finalement fait mon choix, un peu au hasard, à défaut de bien connaître les critères. Je pensais en avoir terminé avec les difficultés. Erreur ! De retour chez moi, des problèmes techniques se sont posés (au bout du compte, ce "ticket qui pousse", ce n'est peut-être pas si génial que ça !). J'ai mis dans un verre d'eau le ticket ensemencé, biodégradable, m'attendant à ce qu'il se décompose dans le liquide au bout d'une demi-heure, libérant les graines enfermées dans le papier, n'ayant plus alors qu'à les récupérer.

Le délai passé, j'observe : rien à la surface, rien au fond. Où sont passées les graines ? Idiot que je suis ! Il m'a fallu plusieurs longues minutes pour comprendre que les semences demeurent incrustées dans le carton imbibé, que c'est lui qu'il faut enfouir dans la terre. Planter du papier pour récolter des fleurs, c'est nouveau pour moi.

Mais mes petits ennuis ne sont pas finis. J'ai déniché dans ma cave un beau pot bien rond, couleur brique, ni trop gros, ni trop petit, dans lequel j'ai déposé ma terre. Mon grand-père disait en se plaignant : "la terre est basse". Les jardiniers d'appartement que nous sommes devenus pourraient dire : "la terre est sale". Même le terreau, qui est une terre plutôt propre, sans bestioles dégoûtantes, salit les mains et la moquette.

Une fois ce pot rempli, je me suis demandé à quelle profondeur il fallait enterrer le ticket : trop bas, je crains que mes petites pousses n'apparaissent jamais, ou difficilement, ou tardivement, comme l'épave au fond des mers y reste ou met du temps à remonter ; trop près de la surface, je crains que les semences ne lèvent pas, n'ayant pas l'humus suffisant pour nourrir leur croissance. Dans l'incertitude, j'ai opté pour le moyen terme, quoique plus près de la surface que du fond. Je ne sais pas si mon raisonnement est vrai, mais il est rassurant.

Une fois toutes ces tâches achevées, j'ai légèrement arrosé puis disposé le pot dans un endroit lumineux, sous une véranda. J'ai suivi scrupuleusement toutes les étapes et recommandations du mode d'emploi, tout de même moins complexe que le montage d'un meuble Ikea. A l'heure qu'il est, rien n'a poussé, aucun plant n'est encore sorti de terre. Je n'ai aucune idée du temps que ça prendra, je pars complètement à l'aventure (plusieurs jours, plusieurs semaines ?).

Je porte autant d'attention à mon pot qu'à mon chat. Je scrute, j'attends, je suis impatient : quand viendra le miracle de la vie, l'éclosion des fleurs ? J'aurai d'ailleurs la surprise de découvrir quelle fleurs sont enfermées dans mon "ticket qui pousse". Seront-elles belles, grandes, volumineuses, nombreuses ? J'espère que mon pot sera à la hauteur ... Mes amis bourgeois ne partageront pas ce plaisir, eux qui ne prennent pas le bus, n'auront donc pas droit à leur "ticket qui pousse", n'apprécient de toute façon que les fleurs coupées et réduisent le jardinage à une activité prolétarienne.

François Mitterrand aimait à regarder pousser ses rosiers. Ce n'était pas chez lui qu'une préoccupation de jardinier mais un exercice politique : l'apprentissage du temps qui passe, de la longue durée, de la patience nécessaire, de la persévérance qui va avec, de l'espoir quant au résultat. Je me demande si la communauté d'agglomération de Saint-Quentin n'a pas voulu, mine de rien, délivrer un message en distribuant ce "ticket qui pousse" : faire de la politique, c'est semer modestement puis attendre, parfois longtemps, la récolte. Qui n'a pas compris ça ne réussit pas en politique. J'ai compris.

Et puis, en dehors de toutes considérations politiques, planter et cultiver des fleurs développent en soi une sorte de sagesse, des qualités morales d'attention, de précision, d'anticipation : si on ne prend pas soin d'une plante, qui est un être fragile, elle meurt. Le petit jardinage nous rend meilleur. Il faut lire là-dessus Jean-Jacques Rousseau, dont nous fêterons l'an prochain le 300ème anniversaire de la naissance. Il a fait de la botanique une philosophie. "Le ticket qui pousse", je suis sûr qu'il aurait aimé.

Aucun commentaire: