mardi 26 juillet 2011

Gobert, hommage et musique.

Il y a des gens qu'on connaît sans les connaître. Pascal Lenglet, disparu dimanche, était pour moi de ceux-là, un visage familier, quelqu'un que je ne connaissais pourtant pas, que j'ai sans doute salué mais avec qui, autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais discuté. Il était professeur au conservatoire de musique, directeur et chef d'orchestre de l'Harmonie de Saint-Quentin, plus trivialement appelée fanfare municipale. A ce titre, Pascal Lenglet était visible dans les défilés et cérémonies de la ville, officiels et patriotiques. C'est ainsi qu'il était connu et reconnu des saint-quentinois.

A Saint-Quentin comme partout ailleurs, il y a les personnalités de premier plan, grands élus, sportifs de renom, responsables de grosses structures, qu'on voit souvent dans les pages des journaux, qui font généralement tout pour ça, et c'est normal. Et puis il y a les personnages publics tels que Pascal Lenglet, qui font le job, qui ne communiquent pas mais s'imposent naturellement sur la scène locale. Leur décès ne se contente pas d'un simple faire-part dans la rubrique nécrologique ; il est accompagné d'un article de presse qui signale leur importance.

L'Harmonie que dirigeait Pascal Lenglet n'est pas une fanfare comme les autres, même si parfois on les confond, comme Pascal Cordier, speaker du dernier défilé du 14-juillet, s'excusant d'annoncer à tort les Stimulants, groupe musical joyeux et festif, d'un genre très différent. L'Harmonie, c'est incomparable, c'est une institution. Une commune a besoin protocolairement d'un maire, d'un drapeau et d'une musique.

La République marche au pas dans ses célébrations. Pascal Lenglet tenait ce rôle-là. Il donnait de la cadence, de l'allure, de la ferveur et de la solennité à des cérémonies qui sans lui resteraient tristes et mornes. Le pouvoir n'est muet que dans ses minutes de silence ; sinon, il parle ou bien il avance aux sons des tambours et trompettes, y compris en temps de guerre, lorsque ses soldats montent au front. Mais les hommes de Pascal Lenglet constituent un pacifique et sympathique bataillon.

Fidèle de ces rendez-vous républicains, je m'y ennuie parfois ferme, et c'est logique : le style est répétitif, convenu. Mais ni plus ni moins que je ne me lasse dans une réunion politique ou professionnelle. Ça n'enlève rien à l'utilité et à la valeur de toutes ces rencontres, c'est plutôt un problème personnel que je dois certainement partager avec pas mal d'autres personnes. Pour surmonter l'ennui, il y a une règle infaillible, que je recommande à tous ceux qui se trouvent dans cette situation : fixer son attention sur quelque chose ou quelqu'un qui fera passer le temps.

Dans les honneurs rendus à la République, Pascal Lenglet m'aidait à me concentrer. Outre les sons, comme ceux du canon, qui tiennent en éveil, il y a les gestes, les mimiques, la direction du chef d'orchestre. Je ne suis pas musicien du tout, c'est pourquoi je suis fasciné par l'ascendance d'un homme sur un groupe, à partir de quelques signes et regards qui créent un ensemble, un ordre, précisément une harmonie. Je suivais sans la comprendre dans le détail la connivence qui s'opérait entre Pascal Lenglet et ses musiciens et cela donnait tout son intérêt à l'événement.

Le patron de l'Harmonie avait le visage sévère des meneurs d'hommes qui savent ne pas avoir droit à l'erreur, quand la foule est là, des chefs militaires et un ministre. On peut dire de lui qu'il était suivi, oserais-je dire obéi, au doigt et à l'oeil, quand il n'avait pas sa baguette pour insuffler le rythme. Mais cette prééminence magistrale ne lui donnait manifestement aucun esprit de supériorité.

Souvent, ceux qui sont en tête prennent la grosse tête. Pas dans un orchestre. Il arrivait à Pascal Lenglet de rejoindre le rang, de redevenir simple trompettiste, de se fondre dans le bleu de la fanfare municipale. Un chef modeste, c'est très rare, c'est même antinomique. Il faut croire que la musique, en effet, adoucit les moeurs et rabote les vanités. La politique, que Pascal Lenglet croisait par métier, produit exactement l'effet inverse.

De lui et de son Harmonie, je retiens aussi mes passages devant le palais de Fervaques, où l'on entend régulièrement monter les notes des répétitions. Francis Crépin, président de l'Harmonie, révèle que tous les deux avaient le projet d'un "ciné concert". Tiens ! Comme le "ciné philo", mais avec accompagnement musical ? Peut-être que nous aurions pu faire des choses ensemble ...

J'apprends aussi, dans le faire-part, qu'il se faisait appeler "Gobert", celui que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas, mais dont j'étais pourtant, depuis des années, l'un des fidèles et anonymes spectateurs, admirateur à ma façon. A sa mémoire, hommage et musique !

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