dimanche 22 mai 2016

Montand avant Macron



Arte nous a proposé dimanche dernier, en soirée, un beau documentaire, Yves Montand, l'ombre au tableau, de Karl Zéro et Daisy d'Errata (2015). Du parcours politique du comédien et chanteur, je savais tout, mais j'avais énormément oublié. Ce film constitue un utile rappel. Montand, j'ai beaucoup aimé : sa sincérité, ses engagements, ses coups de gueule. C'est lointain, d'il y a une bonne trentaine d'années, mais ce n'est pas non plus de l'histoire ancienne, ni une langue morte : Montand nous parle encore aujourd'hui, longtemps après sa disparition.

On ne peut pas, en politique, faire comme si on partait de rien, même si ça arrange certains : il y a la mémoire, l'expérience, les leçons de l'Histoire. Il y a aussi un passé qui ne passe pas, même lorsqu'il semble trépassé. Il y a des retours d'Histoire comme il y a des retours de flamme. Karl Marx, au début de son Manifeste, nous dit que le communisme est "un spectre qui hante l'Europe". Nous pouvons reprendre cette formule pour la France actuelle : avec les Mélenchon, les Nuit Debout, les anti-El Khomri et le succès éditorial d'un Alain Badiou, toute une nébuleuse vient hanter une partie de la gauche. Contre elle, il faut invoquer à notre bon souvenir l'esprit d'Yves Montand.

Montand a bien connu le communisme dans sa période glorieuse, les années 50 : son père était communiste, lui a été ouvrier, il a défendu cette idéologie, est allé chanter dans les pays communistes. Dans la décennie suivante, il s'en séparait, le dénonçait, de plus en plus violemment, avec raison. A l'époque, la gauche dans son ensemble était complaisante, complexée à l'égard du communisme, elle n'osait pas l'attaquer. Il faudra attendre les années 80 pour que la condamnation soit claire et nette. Yves Montand, dans son style à lui, a anticipé cette vérité : le communisme, c'est le mensonge le plus tragique du siècle dernier, c'est l'utopie la plus meurtrière et la plus antipopulaire. Au nom de la classe ouvrière, dans son respect le plus absolu, nul ne devrait se prétendre communiste aujourd'hui, quand on sait quel carnage ce mot et cette idée ont couvert. Et ceux qui donnent des leçons de socialisme aux socialistes mériteraient qu'on les gifle, pour leur faire honte de leur impudence.

La gauche a définitivement rompu avec le communisme lorsqu'il s'est politiquement écroulé, lorsque sa supercherie sanglante est devenue flagrante : en Pologne d'abord, dans les autres régimes ensuite, la classe ouvrière et l'ensemble de la population se sont soulevés contre la tyrannie. Il est banal de le dire aujourd'hui ; il y a 40 ans, c'était très mal vu. Yves Montand a popularisé, médiatisé la lutte contre le communisme, utilisant son statut de star. Il est allé jusqu'à condamner la présence de ministres communistes dans le premier gouvernement de François Mitterrand. Qui, à l'époque, dans la gauche, aurait osé ? Montand l'a fait avec l'excès de son personnage, mais surtout avec sa vérité, et il n'y a que cela qui compte.

Dans la France de 2016, le communisme n'est plus guère assumé, mais sa culture est toujours existante, camouflée, abâtardie et cependant identifiable : Mélenchon, Badiou, Nuit Debout, c'est bien lui, y compris inconsciemment, qui possède les esprits, tourne les têtes, génère des illusions. Le problème de la gauche, c'est qu'elle n'a pas théorisé, à tort, les mensonges et les crimes du communisme, se contentant du rejet des peuples et du jugement de l'Histoire. Sauf que les illusions sont tenaces, les préjugés ont la vie dure et les revenants ne vivent pas que dans les contes de fées. Le Parti socialiste paie aujourd'hui ce défaut de pensée. Il lui aurait fallu disqualifier intellectuellement le communisme, couper la tête du serpent pour que l'hydre ne repousse plus, ne renaisse plus des cendres refroidies de ses victimes. Yves Montand a fait en personne le travail. Il a été suivi par beaucoup de Français à cette époque, dans les années 80. Mais c'est à rappeler et à reprendre.

Qui se souvient que 38% des électeurs, à l'approche des élections présidentielles de 1988, se disaient prêts à voter pour Yves Montand ? Le phénomène était profond. Mais ce n'était pas seulement une critique du communisme : Montand renouvelait la gauche, la réconciliait avec l'entreprise, le marché, l'argent, l'économie, l'Amérique, la géopolitique. Ce n'était pas un intellectuel, mais une vedette qui menait un travail d'intellectuel. En ce temps-là, c'était complètement nouveau, pour beaucoup presque ahurissant. Aujourd'hui encore, il y a des ahuris, sincères ou non.

Ce combat n'a pas cessé. C'est celui que mène, dans la jeune génération, Emmanuel Macron. Son sens idéologique est très clair : installer définitivement une gauche libérale, au sens plein et positif du terme, contre une gauche communiste qui perdure, même si elle ne revendique plus forcément le mot taché de sang. Nous avons un Macron, c'est bien ; mais il nous faudrait un Montand pour dénoncer les Mélenchon, Badiou et Nuit Debout, mener contre eux la guérilla idéologique, rabattre leur caquet, leur rentrer devant. Marx avait raison : il faut que des spectres viennent nous réveiller dans la nuit de nos illusions, de nos mensonges et de nos oublis.

18 commentaires:

Anonyme a dit…

Je n'ai pas attendu les années 80 et Monsieur Montand pour savoir que le communisme soviétique était intrinsèquement pervers, malfaisant et meurtrier. Les formations trotskystes nous ont averti avant, ainsi que l'Eglise catholique. Lisez donc Ante Ciliga et son témoignage "Au pays du mensonge déconcertant". Au cours des années 60 et 70 les dissidents nous prévenaient et mettaient en garde contre le communisme. Le choc fût Soljenitsyne et son colossal ouvrage "l'Archipel du Goulag" en 1974 à tel point que le mot "goulag" est passé dans le langage courant. Je me souviens d'une émission de Bernard Pivot où Jean-Daniel, l'éditorialiste du "Nouvel Observateur" l'hebdomadaire de la gauche anti-totalitaire osa critiquer en public Soljenitsyne en raison des effets dévastateurs sur la gauche française de son témoignage massif et incontournable.
J'ai toujours constaté qu'il n'y avait de plus anticommuniste que des communistes repentis qui, parfois, ont changé de camp (passés à droite ) mais avec la même structuration mentale, le même mode de pensée dont l'exemple le plus criant fût André Glucksman devenu néoconservateur comme Alexandre Adler, Pascal Bruckner, notamment. Je ne suis pas sûr qu'Yves Montand aie échappé à ce travers, il est mort prématurément ou était d'une génération qui n'a pas eu le temps de se dévoyer ainsi. En tout cas je me souviens d'une émission "Vive la crise" où quelques intellectuels et journalistes de sa sensibilité "anti-totalitaire" ne soit tombé dans son double inversé: le tout marché de la concurrence et non faussée. Cette émission eût lieu en 1982 quelques années après l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 en Grande-Bretagne puis de Ronald Reagan en novembre 1980 aux USA. Ce qui a donné en France le virage libéral de la droite façon Jacques Chirac.

Il est donc évident que le libéralisme économique a été porté par des gens de droite auxquels quelques personnalités de gauche se sont ralliées par paresse et conformisme intellectuels. C'est bien pratique, cela évite de penser, de se livrer à toute réflexion intellectuelle poussée.
Entre temps nous avons eu un regain légitime du libéralisme politique qui perdurera s'il se différencie du libéralisme économique qui, s'il a des origines communes, n'en est pas forcément et même pas du tout indissociable.
C'est bien pourquoi le jeune banquier Emmanuel Macron opportuniste et le vieux prof de philo de Saint-Quentin se rallient alors que la méga-crise financière qui nous guette, alimentée par la politique monétaire des Banques centrales censée résoudre celle qui a éclaté depuis 2007, et non résolue parce que c'est le libéralisme de la déréglementation financière qui en est la cause. Ils n'ont pas encore conscience d'être le vieux monde, ou du moins d'un monde en train de mourir dont l'UE n'est qu'un avatar.

Anonyme a dit…

Macron-Montant même combat ! Il fallait oser et Monsieur Mousset a osé ! Comme disait l'autre les cons on les reconnait à ce qu'ils osent tout ! Montand à 38% pour la présidentielle de 1988, une bulle médiatique comme Macron ! Décidément Monsieur Mousset aime les bulles médiatiques, pour un prof de philo, c'est pas très sérieux. On est en droit d'en attendre bien mieux que cela.
Il invente un combat fictif entre une gauche libérale contre une gauche communiste pour justifier son conformisme néolibéral qui est surtout populaire à droite. Il se réclame du libéralisme sans savoir ce que c'est parce que s'il le savait il saurait que c'est une auberge espagnole où l'on trouve tout et son contraire.
Il ne veut pas voir que ce qui reste du communisme c'est surtout un goût profondément enraciné dans la culture politique française à savoir le goût pour l'égalité puisqu'il fait partie de notre devise "Liberté Egalité Fraternité" depuis la Révolution française. Cela est étranger à l'homme de gauche que se prétend Emmanuel Mousset qui a brillamment défendu les patrons du CAC 40 et leurs salaires exorbitants et qui s'accommode très bien d'un chômage en progression constante et d'une pauvreté également.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Si l'on part du présupposé que le libéralisme, c'est la jungle, évidemment le débat s'arrête tout net. Mais, en comparaison avec le totalitarisme communiste, c'est une doctrine de progrès social, perçue comme telle au XIXème siècle.

2- Le combat entre gauche libérale et gauche communiste est peut-être théorique, mais il n'est pas "fictif". La gauche radicale est la première à dénoncer ce qu'elle appelle le "social-libéralisme".

(dans l'un et l'autre des commentaires, je ne relève pas les remarques personnelles, psychologisantes ou moralisatrices. J'en reste aux réactions strictement politiques, comme je l'ai toujours fait sur ce blog, pour maintenir sa bonne tenue et ne pas tomber dans les errements des réseaux "sociaux")

Anonyme a dit…

Monsieur Mousset, vous devriez lire les commentaires qui vous sont adressés cela vous éviterait des réponses fictives à des commentaires fictifs comme sur la question du libéralisme.

Anonyme a dit…

Le libéralisme, une doctrine de progrès social ? Une vision bien singulière qui fait preuve d'une belle myopie ! Mais pourquoi donc le socialisme est apparu dès le 19è siècle quasiment en conséquence du libéralisme ?
Il faudrait que vos analyses soient moins superficielles pour être crédible.

Emmanuel Mousset a dit…

Socialisme et libéralisme partageaient alors un même rejet de l'Ancien Régime corporatiste, aristocratique et féodal. La loi Le Chapelier, inventée par les révolutionnaires de 89, est d'essence libérale. Je pourrais multiplier les exemples. Lire à ce sujet les travaux très éclairants de Monique Canto-Sperber.

Maxime a dit…

Je vous ferez remarquer que la seule égalité que l'on trouve chez l'extrême-gauche, c'est l'égalité face à la mort quand on se retrouve dans les bureaux de la police politique...

Le libéralisme n'est peut-être pas le meilleur système mais c'est le moins mauvais...

Erwan Blesbois a dit…

Est-ce que Macron t'a promis des femmes pour te récompenser de ta fidélité ? Ou alors préfères-tu de l'argent en bon puritain libéral ?

Anonyme a dit…

Voir également " retour d'URSS " d'André Gide.

Anonyme a dit…

L'animateur de ce blog s'accommode fort bien de la situation actuelle. Ses prises de positions s'apparentent à des postures. Classer M Mélenchon parmi les communistes, ce n'est pas sérieux. M Mélenchon, c'est un rouge, un socialiste, ce que n'est plus, s'il l'a un jour été, M Mousset qui n'est à tout peser pas plus rouge que les radicaux valoisiens. Mais il est vrai que M Mousset prend bien garde de se dire rouge, tout au plus, il se targue d'être de gauche, comme ses références, M Strauss-Kahn avant-hier, M Valls, hier et M Macron aujourd'hui...

Anonyme a dit…

Vos propos du 22 mai à 22H16 montrent bien votre archaïsme! Depuis 1789 il s'est passé beaucoup d'évènements politiques historiques avec une constante culturelle et une mentalité qui indiquent que la greffe libérale ( en économie) n'a pas pris ce dont il vous faudrait faire votre deuil. Le libéralisme économique a montré non seulement ses limites mais aussi ses défauts que vous passez sous silence parce que cela vous arrange. Aucun des penseurs, à ce jour, ni les faits n'ont démontré l'existence de la main invisible que postule Adam Smith, ni l'efficience des marchés (qui n'existent que dans un cadre défini par une puissance publique).

La réalité de la crise financière en cours traduit le caractère néfaste du néolibéralisme en vigueur depuis que les hommes politiques de droite comme Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont mis en pratique. Dans l'idéologie néolibérale en vigueur il n'est pas dit que votre statut ne soit pas un privilège qui ne doive disparaître pour que vous connaissiez, à votre tour, les bienfaits de la concurrence que vous préconisez pour les autres.

Les travaux intellectuels, confidentiels, de Madame Canto-Sperber de philosophie politique font l'impasse sur l'histoire politique, sociale, économique, culturelle et intellectuelle de notre pays depuis 2 siècles.Il y a, en matière de libéralisme, avec toutes ses ambiguïtés la revue "Commentaire" dont vous devriez faire votre miel. La gauche libérale a existé mais sans la connotation actuelle voir et lire à ce sujet l'excellent livre de Jacques Julliard " Histoire des gauches françaises de 1762 à 2012. Dans les circonstances actuelles, économiques et sociales cela me parait une vue de l'esprit de penser sinon la ressusciter voire d'en recréer une.
Permettez-moi de vous suggérer ausi la lecture de la revue "Le débat" du philosophe Marcel Gauchet et de son dernier livre, très éclairant, "Comprendre le malheur français" et celui du sociologue Jean-Pierre Le Goff et son dernier livre " Malaise dans la démocratie" d'inspiration tocquevillienne.

Anonyme a dit…

Le socialisme n'est apparu qu'après le libéralisme en rejet, correction de ses effets négatifs. Il a mis longtemps à être pris en considération puisque ce ne fût qu'en 1864 que les ouvriers ont pu se coaliser pour défendre leurs intérêts face à une bourgeoisie libérale toute puissante. Puis lors de la IIIè République la bourgeoisie libérale a consenti à reconnaître le fait syndical. C'est in penseur libéral (politiquement ) Guizot qui, dans ses cours et écrits de professeur avant d'être l'homme politique connu, a admis l'existence de la lutte des classes, concept que Marx a repris et donné le sens commun.

Emmanuel Mousset a dit…

J'aime beaucoup le "confidentiels", pour qualifier les travaux de Monique Canto-Sperber ...

Philippe a dit…

EM dit : "La loi Le Chapelier, inventée par les révolutionnaires de 89, est d'essence libérale."
Je formulerait le propos autrement.
La loi Le Chapelier, inventée par les révolutionnaires de 89, est d'essence petite et moyenne bourgeoisie surtout citadine.
En général le "bourgeois" de l'ouvrier/compagnon était le propriétaire de l'atelier artisanal en ville (il n'était pas forcèment ancien compagnon). La loi laissait cet ouvrier sans intermédiaire (le rouleur de la cayenne) pour discuter de son salaire avec le bourgeois.
Mais à l'époque le prolétariat était essentiellement rural constitué surtout de journaliers louant leurs bras dans les fermes à la journée.
Ce prolétariat rural est passé ensuite dans les mines la sidérurgie etc.La loi Le Chapelier n'a rien changé pour eux à l'époque !
Ce retour à un clone du journalier me semble être l'idéal du libéral (ex bourgeois) actuel.
Au fait ... ben çà existe ... c'est l'auto-entrepreneur.
On peut en idéal "libéral/bourgeois" concevoir de faire travailler des auto-entrepreneurs en philo dans les écoles.
Je ne vois pas pourquoi ce statut serait dévolu aux seuls travailleurs dits manuels !

Anonyme a dit…

Je persiste à qualifier de confidentiels les travaux de Monique Canto-Sperber, en effet étant un "rat" de librairie je n'ai jamais vu sa production intellectuelle, ses livres sur le moindre présentoir de librairie depuis des décennies. Seule ma curiosité personnelle me permet de connaître la pensée de cette dame, par quelques passages aussi dans l'émission confidentielle "Bibliothèque Médicis" sur la chaine LCP du journaliste et laquais de tous les puissants du jour Jean-Pierre Elkabbach.

Emmanuel Mousset a dit…

Ni votre ignorance, ni votre mépris ne sont des arguments.

C a dit…

Est-ce par les écrits ou par les actes qu'on peut mieux cerner une personnalité ?
Mme Canto-Sperber... J'ai eu loisir de l'écouter longtemps sur France Culture. Et du coup de la lire... Pour en retenir quoi ?
Elle a dirigé un établissement de grand renom et ça s'est terminé comment ?
Les références à cette femme me laissent donc peu enthousiaste à son sujet.
Mais que chacun trouve les héros et les héroïnes qu'il peut ou qu'il veut.
Cela n'influencera guère ceux qui ont déjà forgé leur opinion.

Anonyme a dit…

Macron par ci, Macron par là....
Vous ètes tombé amoureux de lui, ma parole !!