mardi 27 août 2013

Pétition de principes



Jean-Marc Ayrault a terminé aujourd'hui ses consultations avec les partenaires sociaux en vue d'une réforme des retraites dont nous connaîtrons le contenu demain ou dans les prochains jours. Pour le gouvernement, pour le parti socialiste, pour la gauche, ce sera l'heure de vérité, le dossier le plus chaud depuis la victoire présidentielle de l'an dernier, le rendez-vous qu'on ne peut pas rater, pour lequel nous sommes attendus. Sur ce coup-là, nous le savons, la gauche radicale risque de se cabrer. La bataille de l'opinion, dès la rentrée, sera rude : les socialistes ne peuvent pas caler là-dessus, c'est leur avenir, leur crédibilité qui sont en jeu.

Je ne sais pas ce que seront les arbitrages de l'Etat, les choix fondamentaux : allongement de la durée de cotisation, hausse des cotisations sociales, augmentation de la CSG ... Ce que je sais, c'est que le dialogue social a joué à plein, que le gouvernement est ouvert au compromis, y compris avec le patronat, que l'orientation choisie sera réformiste, qu'en tant que telle, tout socialiste aura le devoir de la soutenir. Je le dis avec solennité parce que je pense que ce genre de dossier est apte à faire tomber le gouvernement, si son projet n'est pas soutenu et expliqué (dans le même ordre d'idées, j'ai en tête ce qui s'est malheureusement passé en son temps avec la réforme des 35 heures).

Parmi les socialistes, les propositions sont multiples, le débat est animé, comme il est normal dans une organisation démocratique aux diverses sensibilités. Mais quand le chef de l'Etat aura tranché, il ne devra plus y avoir qu'une seule voix. Au nombre des contributions, je viens de recevoir un texte à signer, intitulé "Socialistes pour les retraites", dont le contenu m'a sauté aux yeux, tant il est aberrant, indigent et surréaliste, rédigé pourtant par d'éminents camarades, responsables nationaux, Marie-Noëlle Lienemann, Emmanuel Maurel, Gérard Filoche, Julien Dray (dont les positionnements politiques divers et variés me sont devenus illisibles), Anne Ferreira. Cette pétition est initié par le courant "Maintenant la gauche" (à ne pas confondre avec "Un monde d'avance" d'Hamon et Emmanuelli, qui ne sont heureusement pas sur cette ligne radicale), c'est-à-dire l'aile gauche de l'aile gauche.

Attention, il y a plein de choses dans ce texte avec lesquelles je suis d'accord, car on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre : maintien de l'âge légal de départ à 60 ans, sauvegarde du système par répartition, défense du niveau des pensions, prise en compte de la pénibilité, égalité hommes-femmes, etc. C'est en vérité une pétition de principes, sur lesquels on ne peut que s'accorder quand on est socialiste. Tout ça pour ça ? Tout ça pour quoi ? Car derrière les constats unanimes, les analyses évidentes, les chiffres incontestables, quel message veut faire passer cette pétition ? Il est génialement contenu dans la formule de titre : "Pas un trimestre de plus, pas un euro de moins".

Voilà qui a le mérite de la clarté, mais d'une clarté insoutenable à l'oeil et à la pensée. Que revient-elle à dire ? Il ne faut pas bouger, il ne faut rien changer, il faut écarter toute réforme des retraites. Et ça, c'est politiquement insoutenable. Car à quoi servent les consultations du Premier ministre, à quoi servent les intentions et les directives du président de la République si c'est pour prétendre, finalement, que notre système de retraites n'a pas besoin d'être réformé ? Il y a des phrases dans cette pétition qui sont définitives : "Rien n'oblige à reculer l'âge de départ, rien n'oblige à augmenter les annuités, rien n'oblige à baisser le niveau des pensions". Non, en effet, rien n'oblige à rien quand on veut tout conserver.

Mais alors, on fait comment pour régler le problème du financement des retraites ? Simple comme bonjour : on nie qu'il y ait un problème, comme les lambertistes nient que la Sécurité sociale soit en déficit (le fameux "trou", pour eux, c'est en réalité une montagne, celle des exonérations patronales, qu'ils veulent supprimer d'un trait de plume, à coup de décret : ils ont au moins une excuse, ce sont des révolutionnaires). C'est encore une fois écrit noir sur blanc : "Il n'y a pas d'urgence à une nouvelle réforme des retraites". Oui, vous avez bien lu, et retenez-le : la réforme des retraites que s'apprête à dévoiler le gouvernement n'a pas lieu d'être, quel que soit son contenu. Imaginez un peu dans quel embarras sont plongés le Premier ministre et le chef de l'Etat, avec un tel positionnement de militants issus de leurs rangs, censés au contraire les soutenir ?

A vrai dire, la pétition "Socialistes pour les retraites" est beaucoup plus d'inspiration syndicale que politique. Elle ne dégage aucune perspective nouvelle, elle ne propose pas de réforme alternative des retraites (et pour cause, elle pense que la réforme n'est pas nécessaire !). Je l'ai dit : elle répète des principes, elle rassemble autour de leur défense. Mais l'action politique ne consiste pas en un rappel de principes, aussi excellents soient-ils : c'est une prise de décisions en fonction de l'avenir, et c'est ce que va faire dans les prochaines heures ou les prochains jours le gouvernement.

Le 10 septembre, une journée d'action syndicale en faveur des retraites est prévue. C'est un mouvement parfaitement légitime au regard des mandats que défendent les organisations interprofessionnelles participantes. Mais les syndicats réformistes ne seront pas présents, parce qu'ils estiment qu'on ne peut pas échapper à une réforme de notre système de retraites. Je ne conçois pas que des socialistes, responsables ou militants, participent à cette journée de mobilisation. S'ils le faisaient, ce serait contribuer à troubler l'image de la gauche auprès de l'opinion. Ce serait entrer en contradiction avec leur parti et leur gouvernement. Sur des sujets mineurs et secondaires, les désaccords sont admissibles, moi-même j'en ai parfois quelques-uns. Mais sur la question fondamentale des retraites, qui engage la responsabilité et la crédibilité du gouvernement socialiste, aucun militant ne doit manquer à l'appel.

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