mardi 6 août 2013

Le voile sur nos yeux



La préconisation d'interdire le port du voile dans l'enseignement supérieur est folle, dangereuse, liberticide. Mais elle est dans la logique de la mauvaise loi de 2004 : à partir du moment où le voile, musulman, traditionnel ou quoi que ce soit, est déclaré incompatible avec la République, on ne pouvait pas se contenter de l'interdire à l'école, la mesure ne pouvait que s'étendre dans les facs, demain dans les services publics, bientôt dans la rue, dans toute la société, peut-être à domicile. C'est fou, ce n'est pas républicain, c'est anti-laïque. Il est politiquement désastreux de constater que la République et la laïcité ont été récupérées, dénaturées, perverties par l'extrême droite, qui en matière de signes religieux a réussi à imposer ses idées dans le débat.

C'est d'autant plus fou qu'aucuns problèmes majeurs ne se posent dans les universités, aux dires mêmes de leurs présidents. A nouveau, c'est une machine de guerre contre la communauté musulmane qu'on met en place, pour complaire à la partie xénophobe (électoralement importante) de l'opinion publique. Quelle faiblesse, quelle lâcheté, quelle erreur ! Un seul homme politique a eu sur ce sujet une opinion claire, juste et équilibrée : c'est Lionel Jospin en 1989, demandant à ce que les difficultés (parfois réelles) provoquées par le port du voile ou du foulard dans les écoles soient traitées au cas par cas, avec discernement et intelligence, dans la discussion et le compromis, sans passer par la loi, forcément réductrice, simplificatrice et répressive.

La France est le pays des droits de l'homme et la République est le régime de la liberté, y compris de la liberté religieuse, du droit de manifester ses opinions de la façon qu'on veut, pourvu qu'on respecte les opinions d'autrui, qui ont un droit égal à exister et à s'exprimer. J'en ai un peu marre de ces faux républicains et de ces laïques de circonstances, qui viennent nous administrer des leçons de tolérance trompeuse. Il faudrait se souvenir des vrais laïques, nos instituteurs d'autrefois, qui étaient intransigeants sur les principes républicains, mais savaient faire preuve de bon sens, de compréhension et d'humanité.

Pendant longtemps, les signes religieux n'étaient nullement prohibés dans les écoles, mais quand une croix était trop voyante, provocatrice, "ostentatoire" comme on dit aujourd'hui, l'enseignant demandait tranquillement à ce qu'elle se fasse plus discrète, par respect, pas par anti-christianisme. Il ne l'enlevait pas, ni n'interdisait rien. Quand venait le vendredi, les cantines proposaient du poisson au menu, parce que le poisson c'est bon et sain, et que ça arrangeaient les petits catholiques d'en manger ce jour-là. Ca ne soulevait alors aucun problème, parce que la société savait s'arranger ; aujourd'hui, c'est fini : au moindre problème, et même quand il n'y en a pas, on a tout de suite recours à la loi, sans autre procédure amiable. C'est un état d'esprit désolant et lamentable.

Je crois que le fond de cette affaire est lié à l'évolution de notre civilisation. Les laïques d'autrefois connaissaient bien l'univers religieux, parce que celui-ci était très présent autour d'eux. Ils fréquentaient les curés, parfois les affrontaient, parfois devenaient copains (sans renoncer à leurs convictions respectives). Aujourd'hui, les églises se vident, les curés viennent d'Afrique et la sainte trinité du monde moderne, c'est santé-confort-vacances. Du coup, la moindre manifestation religieuse ou pseudo-religieuse trouble, perturbe, inquiète. C'est à mon avis ce qui se passe pour le foulard dit islamique.

Mais à qui la faute ? Beaucoup de Français ont perdu la foi : qu'ils s'en prennent à eux-mêmes si aujourd'hui de nouvelles formes de spiritualité viennent leur rappeler qu'ils n'ont pas été fidèles à leur baptême (pour parler comme les catholiques) ! Victor Hugo disait : "Quand on ferme une école, on ouvre une prison". Dans la même logique de cause à effet, je dirais que lorsque les églises se meurent, les mosquées renaissent. Ce qu'il faudrait enlever, c'est le voile qui est tombé sur nos yeux et qui nous empêche de voir ces vérités.

Pour revenir et en terminer avec la proposition de loi sur le voile dans l'enseignement supérieur, ce serait catastrophique pour une autre raison, purement universitaire : la France se priverait d'un certain nombre d'étudiants étrangers, son rayonnement à travers le monde en prendrait un sérieux coup. Veut-on en arriver là, dans le seul but de régler des phobies franco-françaises, qui ne feront d'ailleurs que s'aggraver ? Et quand j'entends parler de "communautarisme", qu'on répète comme le font les perroquets, je rappelle que la République française, toute une et indivisible qu'elle est, se constitue de communautés, et que la musulmane est l'une des plus importante et des plus éminente qui soit. Inch'Allah !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La lecture de la page 7 du "Monde" de mardi donne un autre éclairage que le votre .
Au fait, dans les services publics, c'est avant-hier pas demain.

Emmanuel Mousset a dit…

L'éclairage qui m'intéresse, c'est le mien. Quant aux services publics, il est encore loisible de s'y rendre sans interdit vestimentaire.