mercredi 21 août 2013

L'esbroufe et la menace



Le Courrier picard de lundi annonçait une édition du lendemain assez prometteuse pour quiconque s'intéresse à la politique locale : A sept mois des municipales, où en sont les politiques ? Les vacances estivales ne sont pas terminées pour tout le monde. A sept mois des élections municipales, qui s'agite, qui prend son temps, qui réfléchit ? Des éléments de réponse. J'étais tout émoustillé. Mine de rien, il s'est passé à Saint-Quentin des choses en politique cet été, que je connais et sûrement que je ne connais pas. Je m'attendais à un tour d'horizon des forces en présence, savoir où en sont les listes, les projets et les équipes de campagne.

Le lendemain, c'est-à-dire hier, je ne peux pas dire que j'ai été déçu, puisque tout ce qui est politique me concerne, mais j'ai été surpris. Une pleine page, un gros titre, une belle photo, oui, mais pas ce que je croyais, uniquement sur le Front national, "déjà en ordre de bataille", que vous prenez comme une claque quand vous êtes de gauche et anti-FN. Mais je me suis calmé, j'ai lu attentivement, j'en suis sorti perplexe et inquiet.

Ainsi, l'extrême droite serait la première force politique saint-quentinoise à entrer en fanfare dans la campagne des municipales, avec sa liste "bouclée", fin prête, alors même que les vacances ne sont pas terminées, que la rentrée (politique) n'est pas faite. Les partisans du FN vont applaudir, mais ses adversaires vont s'inquiéter, mais aussi s'interroger. Monter une liste de 45 noms, ce n'est facile pour personne, y compris les grandes formations politiques : il faut les trouver, les choisir, les convaincre, s'assurer de leur éligibilité. L'exercice est délicat.

Les lepénistes en ont plus qu'il ne faut, une soixantaine, prétendent-ils. C'est à voir, je doute beaucoup. La présence frontiste dans notre ville est récente en termes de militantisme. Leurs bons scores électoraux ne préjugent pas de la capacité à entraîner des personnes dans un affichage public qui, quoi qu'on dise, reste lourd à assumer et ne rapporte individuellement pas grand chose. L'être humain est ce qu'il est : du côté du manche, on se dispute les places ; dans l'opposition, il faut être très militant, très ambitieux ou très inconscient.

Les responsables du FN affirment que leur liste rassemblera "des hommes et des femmes de tous horizons", pour reprendre les termes mêmes de l'article. Quels horizons ? Je ne vois, en ce qui les concerne, que la ligne bleue de l'extrême droite, et aucune autre. Ou alors, qu'ils s'expliquent, qu'ils lèvent le voile sur ces "horizons" que pour ma part j'ai du mal à percevoir.

Des noms de professions libérales figureraient, paraît-il, sur la fameuse liste. Professions libérales, on pense à commerçant, petit patron, avocat, médecin, architecte, ça fait sérieux, crédible, honorable, et quand on est ni sérieux, ni crédible, ni honorable, on en a bien besoin. Pourquoi pas des notables ? Sauf qu'aucun nom ne sort du chapeau. Sur une soixantaine, les responsables du FN devraient être capables d'en citer au moins un, puisqu'ils sont certains d'avoir "bouclé" leur liste. Mais non, rien.

Ah si, une précision, la seule sur la composition de la liste : "il y aura même des blacks", déclare la tête de liste, Yannick Lejeune. Il se croit peut-être drôle, mais ça ne me fait pas rire. Il emploie le langage tendance, mais ça reste un facho. Mais je suis bien obligé de reconnaître que l'extrême droite, en doublant tout le monde, réalise un joli coup médiatique. D'autant que, par contraste, la situation de la gauche paraît peu enviable : les "autres partis en sont à phosphorer sur leurs partenaires futurs pour mars 2014" (c'est bien sûr le PS qui est visé), il est "loin d'être exclu" que la gauche parte "ultra-divisée", avec pour conséquence de possibles élus FN, pour la première fois à Saint-Quentin.

L'article termine en se demandant si les propos des frontistes locaux relèvent de "l'esbroufe" ou représentent "une véritable menace". Il n'y a pas selon moi alternative : les deux réponses sont valables. L'extrême droite exagère ses capacités, qui en même temps sont réelles et inquiétantes. Le signal d'alarme a été tiré aux dernières élections cantonales, quand les candidats socialistes ont été battus dès le premier tour par le FN, résultat extravagant et anormal.

Que peut faire la gauche, que doit faire la gauche ? D'abord, prendre conscience que la situation est grave : la cote d'alerte a été dépassée, l'extrême droite à Saint-Quentin est sortie de son lit, il y a péril en la demeure pour la gauche, qui ne doit pas croire, calcul cynique et erroné, qu'un fort score du FN fera battre Xavier Bertrand. Non, c'est tout le contraire : ce parti prospère dans l'électorat populaire, celui qui revient historiquement au parti socialiste. Il faut bien intégrer cette équation : une voix en plus pour le FN, c'est une voix en moins pour le PS.

Ensuite, la gauche doit mener la bataille de la communication, ne laisser rien passer, n'accorder aucun répit à ses adversaires. Si la campagne est pépère, conventionnelle, le PS ne passera pas le premier tour, comme les deux fois précédentes. Il faut agir au coup de sang, mettre du nerf et de la passion (je parle de la forme bien sûr : le fond doit demeurer maîtrisé et rationnel, avec des arguments et pas des invectives). Surtout, il ne faut pas tarder : le sort d'une élection se joue très en amont, d'autant qu'à Saint-Quentin les socialistes ne partent pas favorables. Raison de plus pour appuyer sur le champignon, avec cette motivation dans les têtes : après 19 ans dans l'opposition, les socialistes n'ont plus le droit de perdre.

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