samedi 23 mai 2015

Les larbins de la République



Je ne fais pas partie de ceux, hélas nombreux, qui critiquent nos parlementaires, députés et sénateurs, à propos du montant de leurs indemnités, du régime de leur retraite, des avantages matériels afférant à leurs fonctions. Derrière des critiques qui se veulent moralisatrices se cache en réalité le plus pur et le plus détestable antiparlementarisme, un poison pour la démocratie. Au nom d'une soi-disant justice, on se livre alors sans vergogne à de terribles injustices, souvent dans l'ignorance la plus totale, quand ce n'est pas la désinformation ou la mauvaise foi. Je ne mange donc pas de ce pain-là, le plus mauvais qui soit. Au contraire, je défends l'idée que nos parlementaires, parce qu'ils sont les représentants du peuple, parce qu'ils exercent en République une tâche en quelque sorte sacrée, doivent être bien payés, dans les meilleures conditions de travail possibles et un honnête confort, à l'abri des pressions extérieures et des vicissitudes de l'existence.

Mais parce que cette tâche est sacrée, ses dépositaires doivent être exemplaires. J'aime beaucoup nos parlementaires, je reconnais leur entier dévouement à la chose publique, j'admire le sacrifice qu'ils font d'une partie de leur vie, car leur travail prend énormément de temps. Cependant, quelque chose me révulse, me scandalise chez eux (je parle d'un point de vue général, je n'entre pas dans les situations particulières, qu'il faudrait bien sûr distinguer) : c'est le traitement qu'ils font subir à leurs assistants parlementaires, une ombre sur le Parlement, qui reste bien souvent dans l'ombre, tellement les petits mains que constitue ce personnel ne semblent pas mériter l'attention. C'est un article dans le quotidien Le Monde, daté du vendredi 15 mai, qui me rappelle ce scandale dans la République, à la tête de la République.

La démocratie athénienne avait ses esclaves, le système féodal avait ses serfs, la monarchie avait ses laquais, la bourgeoisie avait ses domestiques, la République a ses larbins. Ils sont certes beaucoup moins nombreux que les corvéables à merci des temps jadis, 2 000 pour 557 députés. Mais c'est une question de principe, pas de quantité. D'abord les faits : les assistants parlementaires sont des salariés qui ne disposent d'aucune convention collective, ni de statuts. Connaissez-vous beaucoup de secteurs d'activité qui soient dans ce cas-là ? Spontanément, je n'ai pas d'exemples qui me viennent à l'esprit (dans un pays moderne comme la France, évidemment). Il faut attendre 2013 (2013 !) pour que soit créé le premier syndicat d'assistants parlementaires. Mais pas de délégués du personnel, pas d'élections professionnelles chez ceux qui travaillent pour les élus ! C'est un système à la limite de la légalité, dans l'enceinte d'où sont issues les lois ! Voilà le scandale absolu.

Un assistant parlementaire est une contradiction vivante : c'est souvent un militant bien formé, pris dans le vivier du parti, mais qui cesse de l'être dès qu'il est rémunéré. Il devient alors un obligé de l'élu, qui devient maître de son temps. Il doit lui être dévoué corps et âme, sans états d'âme, mettant fin à tout esprit critique, devant renoncer à ses convictions personnelles, si elles divergent, même faiblement, de celles de son patron. Le militant se transforme en militaire, simple soldat bien sûr, le petit doigt sur la couture du pantalon, avec un seul droit qui lui soit reconnu : celui de fermer sa gueule et d'obéir. C'est une moitié de citoyen, qui doit voter dans le même sens que son patron.

Dans un parti comme le PS, qui a toute une tradition de débats, on comprend la monstruosité de cette situation. Les assistants parlementaires n'ont pas de week-end (c'est le moment de la semaine où le député a le plus de travail dans sa circonscription), pas d'heures supplémentaires. Leur nuit, comme leur jour, peut être sollicitée. Ils ne peuvent compter que sur la bonté, l'indulgence et le sens de la justice de leur employeur, pour espérer ne pas s'en sortir trop mal. Mais la nature humaine, même socialiste, ne dispose pas forcément de ces vertus : c'est à la loi qu'il reviendrait d'y suppléer.

Lorsqu'un assistant parlementaire perd son boulot, parce qu'il ne convient plus à l'élu ou parce que celui-ci a été battu, bonjour pour retrouver un travail, une fois qu'on a été politiquement marqué ! Il existe, dans le milieu, une loi non écrite, une tradition de bon sens, une justice quand même élémentaire qui poussent le parlementaire à se démener pour recaser son assistant. Les plus honnêtes se plient à cette règle implicite, à quoi rien cependant ne les oblige. Et je ne parle même pas des assistants qui travaillent moins pour l'élu que pour le parti, au service de tel ou tel courant, emploi en quelque sorte fictif, pour la bonne cause bien sûr ...

Les choses à coup sûr changeront, elles ont déjà commencé. Les larbins de la République deviendront des salariés de droit commun, en quelque sorte, des citoyens à part entière, de libres militants, seulement soumis aux obligations professionnelles les plus ordinaires. Pour terminer, je vous pose une petite devinette : qu'y a-t-il de pire qu'un patron de droite ? Un patron de gauche ! Foi de socialiste !

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous auriez pu parler de ceux qui d'assistants sont devenus des élus forts connus dans nos contrées ... Ont ils été si malheureux que la tentation fut de rester dans ce milieu ??
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Emmanuel Mousset a dit…

Je pourrais parler de tant d'autres choses ! Heureusement que vous êtes là pour jouer les prolongations. Oui, assistant parlementaire mène à tout, à condition d'en sortir, pour devenir à son tour un élu qui aura à son tour des assistants parlementaires ...

Anonyme a dit…

Je suis d'accord sur l'injustice qu'il y a critiquer les revenus des parlementaires nationnaux.
Le problème réside plutôt à mon avis dans leur nombre, beaucoup trop.
Une partie non négligeable de leur travail consiste à adapter avec un délai confortable pour le faire à chaque fois les directives européennes.
Celles ci sont le fruit, elles, du travail de non élus de la Commission Européenne et des élus du Parlement Européen.
Bref le travail des "nationnaux" est déjà préparé en amont, ils n'ont donc plus besoin d'être aussi nombreux.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, vous avez une vision totalement fausse, partiale, anti-européenne. Les parlementaires adoptent les lois françaises, puisque notre pays au sein de l'Europe conserve sa souveraineté. Quant aux lois européennes, elles sont adoptées par les parlementaires européens, pas par la Commission.

Anonyme a dit…

complèment :
http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/union-europeenne/action/textes-juridiques/qu-est-ce-qu-directive.html