lundi 24 novembre 2014

La frite contre la trique



Au décès de Jean Giacalone, dit "Jeannot-la-Frite" parce que sa baraque près de la gare de Saint-Quentin était devenue célèbre, j'ai eu envie de lui consacrer un billet sur ce blog. Et puis, j'ai vu que la presse locale avait fait aussi bien, sans que je puisse apporter d'informations nouvelles. J'ai donc renoncé. Ce qui m'a amusé, c'est que j'avais eu en tête exactement le même titre que l'article du Courrier picard : "Jeannot n'a plus la frite", qui est en effet un bon titre. Mais en le lisant, je me suis dit : "ils vont avoir des ennuis".

Depuis plusieurs années, j'ai constaté qu'un climat d'intolérance monte tout doucement, une sorte de politiquement correct qui interdit d'écrire ce qu'on veut, qui contrôle sévèrement les traits d'humour, qui fait régner une sorte de police de la pensée, qu'on ne remarque pas toujours et qu'on ne songe pas à dénoncer, parce qu'elle s'exerce souvent de façon anecdotique, mais néanmoins inquiétante. J'ai vu juste pour le cas présent : dans son édition d'hier, à la rubrique "Décryptage", le Courrier picard révèle que "de nombreux lecteurs" lui ont reproché le titre "Jeannot n'a plus la frite", jugé honteux et irrespectueux. Le journal s'est défendu en rappelant la liberté de ton, au fondement du droit des journalistes. La situation est quand même grave pour qu'en République, on se sente obligé de rappeler des évidences (la liberté d'expression), qui devraient être connues de tous.

Comment expliquer cet esprit liberticide qui a tendance à se répandre ? Je vois trois possibilités :

1- La bêtise. Ces lecteurs outragés ne savent pas lire un article de presse, n'y comprennent rien, prennent tout au premier degré, confondent l'humour avec la moquerie. C'est une explication, néanmoins secondaire. Le style humoristique est déjà ancien, date des années 70 et du quotidien Libération, l'opinion s'est largement habituée à cette façon de traiter l'actualité. D'autre part, notre société est bien moins prude, moins retenue qu'avant, l'esprit de dérision est un peu partout : il faudrait avoir une sacrée couche de bêtise pour penser que l'article du Courrier était irrespectueux, alors qu'il était au contraire élogieux.

2- La malhonnêteté. Je crois que c'est un facteur beaucoup plus puissant, et paradoxal : on donne des leçons au journal, alors que les donneurs de leçons sont foncièrement malhonnêtes. Car il faut l'être pour faire dire à un article le contraire de ce qu'il veut dire. C'est même plus que de la malhonnêteté : c'est carrément du vice. N'importe quel lecteur comprenait que l'article du Courrier picard traitait avec émotion et sympathie le personnage de Jean Giacalone. Pourquoi alors s'ingénier à des mensonges, inventer un scandale qui n'existe pas, s'indigner artificiellement ?

3- Le moralisme. C'est l'un des traits de notre époque. Le moralisme consiste en un détournement de la morale, où ne comptent que les apparences, où les mots supplantent le sens. L'intention devient sans importance : on se fixe sur une phrase, on la détache du texte, on lui donne une tonalité odieuse que pourtant elle n'a pas. Le moralisme est une sorte de puritanisme du langage, qui nous intime à faire attention à tout ce que nous disons et écrivons. Les mots prennent une dimension magique, un ordre moral du vocabulaire s'installe, les censeurs veillent au bien parler. Aujourd'hui, ces manifestations d'humeur sont souvent dérisoires. Mais demain, qu'en sera-t-il, sur des sujets plus graves ?

Il est important de résister à cette poussée d'intolérance, à ce mélange de bêtise, de malhonnêteté et de moralisme. Ne pas en rester à une attitude défense, mais prendre l'offensive, dénoncer les dénonciateurs, ne rien laisser passer, en rire et argumenter sérieusement. A tous ceux qui agitent la trique de ce nouveau conformisme, assumons et répétons que "Jeannot n'a plus la frite" !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pas tout à fait d'accord ... Avec vous cher bloguiste , certes le titre est affectueux voire chargé d'émotion ... Mais dans de nombreux cas, nos chers journalistes pèsent par le titre et pèche par l'investigation ... L'affaire du MAG en est la dernière illustration ....

Anonyme a dit…

Ce "politiquement correct" est trop envahissant. Aujourd'hui, on "croit" voir du sexisme partout, mais aussi du gender, du racisme.
Le premier degré est devenu la norme, malheureusement