dimanche 23 novembre 2014

Gueule de Bloy



Hier, en commençant ma conférence à la bibliothèque municipale sur l'écrivain Léon Bloy, je savais que ce serait raté. D'habitude, c'est plutôt réussi, je maîtrise bien et le public est satisfait. Pourquoi pas là ? Par ignorance du sujet ? Non, tout le contraire : je connais trop bien l'auteur, je sais que c'est une montagne qui vous écrase. Dès la préparation, ces jours derniers, j'ai senti le problème, j'ai regretté d'avoir proposé ce thème : on ne peut pas faire entrer un éléphant dans une boîte d'allumette (j'emploie l'image à bon escient : dans son "Journal", Léon Bloy dit de lui qu'il a la foi "comme un éléphant à une trompe" !).

Et puis, il y a le public. Qu'est-ce qui fait qu'une conférence est réussie (j'ai dû en faire des dizaines de dizaines) ? C'est lorsque que vous parlez de choses que l'auditoire connaît déjà, mais en développant, ce qui donne le sentiment au public d'être intelligent. Avec Bloy, pas de pot : presque personne ne connaît. En plus, c'est un fou furieux, divinement furieux : il se veut "catholique absolu", peut-être le seul en France, pense-t-il (à la charnière du 19e et du 20e siècle). Ce qui m'intéresse chez l'homme, c'est qu'il a choisi d'aller jusqu'au bout de ses idées, ce qui est une attitude très rare autour de nous.

Autre difficulté : l'image qu'il donne du chrétien n'est pas du tout celle à laquelle on s'attend. Son christianisme n'est pas de catéchisme, une morale gentillette que même les athées peuvent pratiquer. Quand on lui frappe la joue droite, il ne tend pas la joue gauche, mais vous balance l'Evangile dans la gueule. Il insulte volontiers, en des termes souvent scatologiques, auxquels j'ai dû avoir recours hier en pleine bibliothèque municipale ! Quelqu'un m'a dit que je ressemblais à Léon Bloy : la fureur et les yeux, peut-être (voir vignette). Du coup, ma conférence tournait étonnement au prêche.

Bloy bouffe du bourgeois, j'ai donc dû à mon tour les dénoncer, les petits, les grands, les moyens, les vrais et les faux, surtout les pires, les bourgeois cathos. Il y a de quoi se faire des ennemis. Les Juifs, ensuite, dont Léon Bloy parle dans son génial petit livre "Le Salut par les Juifs". A l'époque, presque tout le monde est antisémite, catholiques en tête. Bloy, lui aussi, trouve que les Juifs sont des salauds, puisqu'ils ont tué le Christ, les Romains n'étant dans l'affaire que des auxiliaires, des exécutants. Mais il fallait, selon Bloy, que quelqu'un fasse le sale boulot. C'était prévu dans le plan de Dieu, en vue de racheter l'humanité. Et Il a choisi pour ça Son peuple élu, Israël. D'où il ressort que l'antisémitisme est une stupidité et un crime, et que les Juifs doivent être vénérés, comme on vénère les saints. L'argument est renversant, c'est le cas de le dire.

Sur la douleur, Bloy fait mal : il défend la vieille théorie de la souffrance réparatrice, et nous demande de prier pour souffrir à la place de quelqu'un d'autre, étant donné que la plupart de nos propres peines sont superficielles. Quant à notre plaisir, il se fait toujours au détriment de quelqu'un. "Tout se paie" (remarquez bien que les psychanalystes disent à peu près la même chose aujourd'hui). C'est aussi ce qu'on appelle la communion des saints. Evidemment, il faut y croire ...

Pour la bonne bouche, je vous donne l'avis de Léon Bloy sur Lourdes, alors en plein boom. Il y croit moins que La Salette, il y croira vraiment le jour où il aura assisté à deux miracles : un bien portant revenant en mauvaise santé, pour souffrir et assurer ainsi le salut de quelqu'un d'autre ; un riche sortant de la grotte et distribuant tous ses biens aux pauvres. Il faut vraiment s'appeler Léon Bloy pour écrire ça !

Au moment des interventions du public, une dame m'a dit : "Léon Bloy, c'est effrayant". Elle a reçu des applaudissements d'approbation de la salle. Sans le savoir, on rendait ainsi à l'écrivain le plus bel hommage. Bloy, en effet, nous délivre une vérité effrayante, mais aussi prometteuse. J'ai dû saouler mon public, en restituant son ivresse spirituelle. Ils ont dû en ressortir avec une sacrée gueule ... de Bloy. Une autre personne m'a demandé si je mettais sur le même plan Bloy, Bernanos et Péguy : oui, si l'on veut, mais Bloy, c'est de la pure cocaïne, alors que Bernanos et Péguy, c'est du cannabis coupé. Pour poursuivre les analogies : Bloy est à la religion ce que Nietzsche est à la philosophie. Et tous les deux avaient en commun une superbe moustache !

Qu'importe la conférence ratée : si une seule personne, dans la salle, a été touchée par le message, c'est gagné ! Léon Bloy en était persuadé : ce n'est pas le groupe qui compte, c'est la personne. Il savait de quoi il parlait : c'est la vieille histoire de la brebis égarée au milieu d'un troupeau de cent. C'est elle qui doit être sauvée. Lisez Bloy : malgré les apparences, il ne vous mordra pas. C'est tout simplement un homme du moyen âge, un patriarche des temps bibliques, un Diogène catholique, un écrivain comme on n'en fait plus aujourd'hui. Raison de plus.

7 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

L'individu aujourd'hui et de tout temps n'est pas celui qu'on sauve mais celui qu'on condamne, le Christ en a fait les frais en tant que personne, ceci dit débarrassé de toute notion théologique (comme celle absurde de "peuple élu"), Jésus était une personne contingente avec rien de divin, tout comme le peuple juif est un peuple contingent avec rien de divin. Nietzsche a établi la psychologie de Jésus : c'était sans doute physiologiquement quelqu'un de très faible, sans doute immature sexuellement, voire impuissant. Les responsabilités ne sont jamais individuelles mais collectives lorsqu'il s'agit du traitement de la différence. A l'époque de choisir si elle décide d'être humaine ou inhumaine : comment traite-t-elle ses marginaux, ses exclus, ses criminels c'est-à-dire ses brebis égarées, c'est-à-dire au fond on peut le dire aussi comme ça aujourd'hui, tout ce qui ne relève pas de la définition du bourgeois, grand ou petit, ou encore tout ce qui ne relève pas de la classe moyenne ?
Hitler à l'instar de Jésus avait un profil de bouc émissaire, car différent des autres individus qui composaient le groupe que formait la société allemande, son génie a été de dire au peuple allemand ce qu'il voulait entendre, ainsi il a retourné la force du groupe à son avantage ; mais Hitler n'est pas l'inventeur de sa doctrine monstrueuse, c'est le groupe qui l'est. Groupe qui devant la monstruosité du résultat (monstruosité que les nazis cherchaient à cacher), et par fausse pudeur (alors que c'était au fond ce que le groupe désirait dans ses tripes) et aussi face à la défaite, s'est empressé de renier son guide, par instinct de conservation, comme Pierre a renié Jésus pour sauver sa peau. Evidemment la comparaison est glauque, mais c'est que Jésus et Hitler appartiennent à un type humain similaire, celui du bouc émissaire.
Quant à aller jusqu'au bout de ses idées, ou mourir pour ses idées, c'est la définition du fanatisme, et là on rejoint le théologique : non je pense que cela n'en vaut pas la peine, car cela impliquerait l'existence d'une transcendance, ce que je nie fermement : il n'y a rien, et c'est cette idée qu'il faut accepter et qui plonge la plupart des hommes dans le désespoir, voire des groupes entiers, des nations entières, des religions qui se plongent dans la guerre avec fanatisme.

Emmanuel Mousset a dit…

La comparaison Hitler/Jésus n'est pas glauque mais fausse. Hitler n'est pas un bouc émissaire, son peuple ne lui a fait porter aucune faute. Hitler sacrifie son peuple, se sacrifie ensuite, mais n'est sacrifié par personne. Rien à voir avec Jésus. Et puis, c'est bien Hitler qui est l'inventeur de l'hitlérisme.

Anonyme a dit…

Hitler est un pur produit de l'économie qui de la récession va conduire à une effroyable projection hégémoniste de tout un peuple revanchard de 14 // 18 , plaise à l'honorable BLESBOIS de réviser un peu son discours , quant à Jésus , on peut y voir un visionnaire , un pacifiste dans une époque de forte domination romaine , mais cela est une autre histoire ...

Anonyme a dit…

Effectivement derrière ou devant enfin avec HITLER , coexistait une cohorte d'industriels , de savants , qui étaient un moteur de cette horreur totale , mais savants que les RUSSES et les AMÉRICAINS ont kidnappé pour faire des fusées et bien d'autres avancées technologiques que l’Allemagne NAZIE avait engendré à un niveau très inquiétant ...
Et dans un esprit de compétition guerrier employant aussi et surtout des esclaves déportés et des mercenaires soumis par ce régime ultra totalitaire qui était dirigé en façade par le dénommé HITLER mais en réalité par une caste de grands bourgeois et de militaires sans aucune moralité !!
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Erwan Blesbois a dit…

Je suis d'accord avec anonyme de 22 20 ; je pense simplement que Hitler et Jésus avaient des points communs sur le plan physiologique : extrême fragilité et sensibilité exacerbée, peut-être impuissance notoire, immaturité sexuelle pour Jésus selon Nietzsche. De plus je persiste à dire que le génie de Hitler a été de dire aux Allemands ce qu'ils voulaient entendre, et qu'il a fait cela au départ comme un mécanisme de défense d'enfant battu, qui ensuite s'est transformé en machine de domination, il ne les a pas forcé, c'est le groupe qui s'est donné à lui. Aujourd'hui aussi en France, il y a des gens qui disent aux Français ce qu'ils veulent entendre (j'en connais un particulièrement qui vend beaucoup de livres en ce moment et qui ne dit pas que des ânneries, car il y a eu quand même un max de manipulation de la gauche sur la jeunesse dans les années 80, je m'en estime même quelque peu la victime), alors que PS et UMP s'échinent à nous faire avaler la potion amère, toujours au nom du libéralisme, du libre échange, de la libre circulation des personnes ; et que cela s'accompagne toujours pour la gauche, d'un discours libertaire post soixante-huitard. Attention à ne pas trop tirer sur la corde de la globalisation de la part de ces deux grands partis démocratiques, car il est évident que ce seront alors les plus démagogues qui tireront les marrons du feu. Il faudrait effectivement une politique étatique plus volontariste, et protectionniste, en matière économique et concernant les flux migratoires ; à défaut de quoi on augmentera encore les déséquilibres qui mettent en danger la démocratie.

Anonyme a dit…

Merci cher Monsieur BLESBOIS , mais hélas vous n'êtes pas rassurant ,bientôt avec les nouvelles cantonales en vraies grandeurs on va mesurer tous les dégâts, actuellement il est impossible de comprendre les réformes territoriales , si on fait de la caricature, à l'extrême certains disent on va voter pour des départements qui vont être supprimés ?? Mais le plus triste c'est que la majorité va découvrir le regroupement des cantons au dernier moment et alors dépitée va s’abstenir et ça va profiter à qui vous savez ...

Erwan Blesbois a dit…

Je voudrais juste ajouter quand même que je ne pense pas que Jésus était un pacifiste, un "baba cool"; je le vois plutôt assez violent, belliqueux et avant tout révolté. Était-il révolutionnaire, peut-être pas, mais l'interprétation que l'on a fait de son histoire a abouti à la révolution de l'empire romain par une religion qui s'est voulue universelle, sous l'influence de Paul.