samedi 28 mai 2011

Voyage à Djibouti.

Des dizaines de milliers de postes ferment dans l'Education nationale, des milliers d'enseignants vacataires sont embauchés par Pôle emploi pour effectuer des remplacements. C'est la nouvelle de la semaine qui a frappé par son irrationalité, presque son absurdité. Ne faut-il pas y voir au contraire une implacable logique ? Celle d'un service public qui "dégraisse" pour s'ouvrir à des contrats plus souples que l'emploi statutaire.

Cette actualité me conduit à une anecdote assez étonnante que j'ai vécue il y a quelques jours, concernant là aussi un problème de remplacement, mais d'un genre particulier. Dimanche dernier, un message de mon inspecteur s'affiche sur mon écran d'ordinateur. C'est inhabituel : l'inspecteur vient pour inspecter et ne s'annonce pas un week-end par courriel. D'autant que mon inspection est récente et qu'il faut plusieurs années avant qu'elle ne se répète. Que se passe-t-il donc ? Ceci : un remplacement pour le bac m'est proposé ... à Djibouti.

D'abord j'ai du mal à y croire, je relis le texte mais c'est bien ça : la demande est URGENTE (c'est écrit ainsi, en majuscules), je peux appeler l'inspecteur sur son portable, dès ce dimanche après-midi. Djibouti ! Aller faire passer le bac là-bas ! J'ai déjà corrigé des copies qui provenaient du Liban, mais en restant assis dans ma cuisine à Saint-Quentin. J'ai deux réactions : ouvrir un atlas (je ne suis pas très bon en géographie) puis mon agenda. Le premier geste me fait rêver, le second me désespère.

Djibouti, c'est pour trois semaines, du 11 juin au 4 juillet, et j'ai précisément dix engagements de tous ordres dans ce laps de temps : conférences, animations, réunions, ... dont deux quasi incontournables, l'assemblée générale de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne qu'il me revient de présider et une journée de formation à Ribemont pour les bibliothécaires du département.

Je fais quoi ? J'annule tout ? C'est possible. Tout est toujours possible. Mais ce ne serait pas sérieux, ni très honnête. Je n'ai même pas le prétexte d'un ordre de mission, qu'un fonctionnaire ne peut pas refuser. Mon inspecteur ne m'ordonne pas, il propose.

Mais Djibouti, trois semaines, une autre vie, une expérience qui ne se renouvellera sans doute pas de ma carrière professionnelle ? J'hésite, j'ai envie, je réfléchis. Je n'aurais eu que quelques engagements à annuler, c'était faisable. Mais dix ! Et deux sur lesquels je peux difficilement faire l'impasse ...

J'appelle sur le champ mon inspecteur, je décline l'offre, je lui explique pourquoi. Il comprend et tente de me consoler en disant qu'à Djibouti il fait très chaud en cette saison, qu'il y a beaucoup de taf (il n'emploie pas ce mot-là mais l'idée est là) et donc que sa proposition n'est pas si séduisante qu'il y paraît. Ça ne me console bien sûr pas.

Le lendemain, de retour au lycée, je me suis fait à l'idée que je ne verrai jamais Djibouti de ma vie. Mais je me dis que j'ai la morale pour moi. Si j'avais répondu oui, j'aurais sans doute eu mauvaise conscience. Et puis, je n'ai pas l'esprit touriste. Les vacances, ce n'est pas mon truc ; Saint-Quentin ou le Berry, ça me suffit. Pourquoi vouloir aller à Djibouti ? Le voyage est une illusion : en philosophant un peu, on comprend vite ça.

Sauf que, dans l'après-midi de ce lundi très ensoleillé, j'ai vu passer très haut dans le ciel bleu, par la fenêtre de ma classe, un avion et sa traînée blanche. Et brusquement, tous les regrets me sont revenus, me sont littéralement tombés dessus : n'aurais-je pas dû quand même aller à Djibouti, acquiescer à mon inspecteur ? Mais il était trop tard. Je ne sais pas quelle est la morale de cette histoire, mais j'ai voulu vous la raconter.

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