mercredi 23 avril 2014

Permis de tuer



Manuel Valls veut abaisser la vitesse sur les routes secondaires à 80 km/h. Bravo, car ce sont de vrais mouroirs ! Surtout les départementales : fréquentées par des habitués qui s'y croient seuls et roulent comme des fous. Cette mesure tombe à pic : un excellent documentaire de Coline Serreau ("Tout est permis", voir vignette), que j'ai vu dimanche à Paris, est allé enquêter du côté des stages de rachat de points de permis, pour celles et ceux qui ont perdu leur crédit. Le film pourrait être très ennuyeux, il est passionnant ! C'est un véritable cours pratique de philosophie, de morale et de politique qui en dit très long sur la nature humaine.

Chez certains de nos concitoyens, le permis de conduire est plutôt un permis de chasse, un permis de tuer ! Ces stagiaires nous montrent une humanité irresponsable, hypocrite, mensongère, bête et dangereuse. Le pire, c'est de les entendre rire, du début à la fin du documentaire : ils n'ont plus leurs 12 points, ils ont donc menacé la vie d'autrui, mais ils s'en moquent, ils s'en amusent. Ces stagiaires éprouvent la fierté du voyou à ses méfaits, le plaisir de transgression du délinquant. Ils sont à la fois très bêtes et très malins. Sur certains visages, on sent que l'alcool a favorisé leurs comportements délictueux. Ce sont des criminels en puissance, et ils n'en ont que faire : pour eux, le coupable c'est l'autre, jamais eux. Le comble : ce sont des chauffards qui se considèrent bons conducteurs et victimes du système ! A les entendre, ces inconscients aimeraient qu'on les plaigne ... Ce n'est pas un permis de conduire qu'il faudrait leur faire passer, mais un permis de conduite.

Ils sont retors, vicieux, intellectuellement malhonnêtes, la bouche pleine de sophismes et de contre-vérités. Les radars ne sont, pour eux, que "des pompes à fric" : ils adorent cette expression, qu'ils emploient très souvent, avec arrogance et mépris, comme si elle était une évidence. Elle leur évite de réfléchir plus longtemps. Il ne leur vient pas à l'esprit que les radars sont faits pour protéger des vies et sanctionner les hors-la-loi. Ou plutôt ils le savent, mais ils font semblant de penser autre chose : d'où leur minable mythologie des "pompes à fric".

Leur courroux se porte contre les légers dépassements de vitesse : se faire flasher pour seulement quelques kilomètres les rend littéralement fous. Mais c'est pour faire oublier qu'ils sont très cons : un règlement est un règlement, après l'heure c'est plus l'heure, un km en plus c'est un km de trop. A eux de prendre leur précaution pour ne pas franchir la limite. Mais ils s'en foutent, ce sont fondamentalement des transgressifs.

Ils pestent contre les radars inutiles, installés sur des lignes droites où l'on ne risque aucun accident, où la conduite ne peut qu'être tranquille. Ces imbéciles cachent la vérité ou ne l'ont jamais su : les lignes droites, les routes tranquilles sont les plus dangereuses, celles où les accidents sont les plus nombreux, justement parce que les chauffards s'y sentent à l'aise et y prennent leurs aises, s'y trouvent suffisamment en sécurité pour menacer la sécurité d'autrui. Si les radars n'étaient pas là, ce serait l'hécatombe.

Pensent-ils que la vitesse est à montrer du doigt ? Non, surtout pas, puisqu'ils roulent vite ! En revanche, ils s'en prennent volontiers à la ... lenteur des autres véhicules, qui serait cause d'accident. On croit rêver, mais c'est un cauchemar. Les stagiaires accusent celui qui respectent trop bien la loi, ils renversent odieusement la situation, ils retournent la preuve qui les accable : cet argument-là, il fallait oser le faire. Les cons, ça osent tout, comme disait Michel Audiard.

Quel est leur motif de rouler vite ? Gagner du temps, prétendent-ils. C'est-à-dire gagner presque rien, quelques minutes, mais faire perdre la vie à d'autres : raisonnement d'assassin. Certains trouvent injustes que les usagers de la route pour raisons professionnelles n'aient pas plus de points que d'autres qui l'empruntent beaucoup moins : comme si les entorses à la loi étaient dues à la plus ou moins grande fréquentation des routes ! Raisonnement d'idiot : en réalité, un danger public l'est quel que soit le temps qu'il passe à conduire.

L'exemple allemand est souvent cité : pas de limitation de vitesse, moins d'accidents ! Mensonge, mensonge, mensonge : la vitesse est libre que sur une part infime du réseau routier, pour laquelle les statistiques en matière d'accidents sont évidemment catastrophiques. Autre mythe, autre mensonge : la grosse voiture, type 4x4, sécurisée, protectrice. C'est faux : ce genre de véhicule est accidentogène, de vrais cercueils roulants, car ils n'absorbent pas le choc en cas d'accident. Mieux vaut se planter avec un véhicule léger, moins dangereux, moins vulnérable. La grosse bagnole, c'est le joujou des frimeurs, des vaniteux et des impuissants. Mais c'est aussi un engin de mort.

Moralité de ce documentaire : les chauffards s'en prennent aujourd'hui aux radars et au permis à points comme ils s'en prenaient avant à la ceinture de sécurité. Pourtant, il n'y a pas photo : en 40 ans, grâce à ces trois mesures et à quelques autres, la délinquance routière a diminué, le nombre de tués est passé de 18 000 par an à 4 000 aujourd'hui. C'est encore trop, c'est même scandaleux, il faut absolument y remédier, mais les progrès sont flagrants. Dans les années 70, les morts sur la route équivalaient au bilan d'un conflit armé ; disons qu'aujourd'hui c'est celui d'une grosse bataille. Dans l'un et l'autre cas, c'est inacceptable.

Sur le permis à points, l'Etat ne doit pas céder devant les lobbys de toute sorte, d'abord automobile, qui ont intérêt à ce que nos routes deviennent des jungles. Et puis, le permis à points a rendu beaucoup plus difficile le contournement des contraventions. Avec l'informatique qui gère les pénalités, on ne peut plus faire sauter son PV, dont se vantaient les petites têtes au bras long. Le permis à points est beaucoup plus égalitaire, beaucoup plus juste. Les chauffards regrettent le monde des passe-droit, des menus privilèges, des coquins et des copains, dont bénéficiaient ceux qui avaient des relations (mais pas les autres, pas la plupart des gens).

En matière de sécurité routière, il faut renoncer à toute pédagogie, inutile, moralisatrice, pour ne faire que de la répression, qui a historiquement prouvé son efficacité, sachant que les accidents n'ont que deux causes majeures : la vitesse et l'alcool. J'espère que Manuel Valls va poursuivre dans cette voie, pour laquelle j'ai 10 propositions :

1- Réduction des vitesses sur l'ensemble du réseau
2- Alcoolémie réduite au taux zéro
3- Suppression des radars pédagogiques, multiplication des radars mobiles
4- Suppression des panneaux d'avertissement pour les radars fixes
5- Interdiction de la vente de détecteurs de radar
6- Interdiction des kits mains libres (aussi dangereux que l'utilisation manuelle du téléphone portable)
7- Multiplication des contrôles policiers (notoirement insuffisants)
8- Hausse des tarifs de contravention
9- Pénalisation des trafics de points entre automobilistes
10- Refus de toute amnistie des infractions et délits routiers

Le Premier ministre s'est donné comme objectif de réduire à 2 000 le nombre de morts sur les routes. Je crois qu'on peut descendre encore plus bas, avec un arsenal répressif accentué. La majorité des Français n'en subiront aucun inconvénient, puisque 75% d'entre eux préservent sans problème leurs 12 points (c'est ce que j'ai appris dans le documentaire de Coline Serreau). Car ce qui est stupéfiant, c'est que toute cette mauvaise foi qui s'étale à propos des radars, des limitations de vitesse, etc, n'est que le fait d'une petit minorité, dont les pseudo-arguments se sont pourtant répandus dans tout le corps social. Ce sont ceux qui bafouent la loi qui font en quelque sorte la loi ! Contre eux, il faut sévir, sanctionner, pénaliser et, quand il le faut, emprisonner. Ma détermination dans cette affaire est motivée par un dernier argument : savez-vous quel est le parti politique le plus laxiste en matière de sécurité routière ? Le Front national, comme par hasard ! L'extrême droite est répressive à l'égard des pauvres, des immigrés, mais elle défend les chauffards. A méditer.

13 commentaires:

Anonyme a dit…

RIEN SUR les GROS excès , c'est ceux là qu'il faut arrêter , imaginez vous à 200 sur une départementale ... Et pourtant c'est TOUS les jours ... Enfin il faut certifier le réseau ... Et ça aussi on oublie ...

Emmanuel Mousset a dit…

Sur les "gros excès", comme vous dites, il y a évidemment un consensus et la loi passe. Ce sont les petits "excès" qui nourrissent les comportements laxistes et criminogènes.

Anonyme a dit…

votre expression " les routes sont de vrais mouroirs " est exagérée près de 12000 tués par an sur les routes en 1985 , à peine4000 depuis 2010.
ce sont 4000 de trop mais il faut savoir reconnaitre la formidable avancée en matière de sécurité routière surtout que depuis 1985 la circulation a fortement augmentée en France. que vous soyez irrité par les voyous de la route je le comprends mais je pense également à ceux qui conduisent en état de fatigue 30% des accidents mortels sur autoroute , sans compter la dangereusité des camions dont le trafic ne faiblit pas.
il faut savoir également que les départementales sont limités à 90 km/h mais que les accidents se produisent le plus souvent là ou elles sont limitées à 70 ou même 50 ( virages, villages, intersections) je ne suis pas persuadé que la baisse à 80 km/h fera chuter significativement le nombre de tués.

Emmanuel Mousset a dit…

1- A 4 000 morts, le mot de "mouroir" est justifié. La route n'est pas faite pour y perdre la vie ou en sortir lourdement handicapé.

2- La fatigue et les camions sont des causes secondaires par rapport à la vitesse et à l'alcool, causes premières des accidents.

3- Les accidents ont lieu là où la vitesse est limitée à 70 ou 50, précisément parce que ce sont des passages dangereux, où les automobilistes ne respectent pas les limitations.

4- Plus on réduit la cause des accidents (la vitesse), plus on réduit les accidents : c'est mécanique, et historiquement prouvé.

Anonyme a dit…

<< Suppression des radars pédagogiques,>>

ATTENTION ils ne sont pas TOUS liés à un radar fixe et sont très utile en agglomération comme rappel , je pense que vous n' avez pas tout compris .....

Anonyme a dit…

Votre étude est lyrique mais vous auriez pu parler des milliers de blessés et handicapés à vie ... C'est aussi une chose horrible et sans fin ...

Emmanuel Mousset a dit…

1- J'ai parfaitement compris que ces rappels sont inutiles : la loi est facilement intégrable par chacun.

2- J'aurais pu parler de bien d'autres choses, mais je me suis concentré sur le plus grave : l'accident meurtrier.

Anonyme a dit…

Le pédagogique peut permettre aux maires , conseillers et population de voir en " live " les performances dans leur commune , c'est une forme moderne de vigilance , à partir de là ils peuvent demander des contrôles répressifs !! Are you ok ??

Emmanuel Mousset a dit…

La pédagogie consiste à transmettre aisément des connaissances. En matière de sécurité routière, les automobilistes savent tout, n'ont rien de nouveau à apprendre. La pédagogie est donc inutile. C'est beaucoup d'argent, de campagnes d'information pour rien. La répression est donc la seule solution.

Anonyme a dit…

Votre charge est accablante mais quand même un peu caricaturale:
Voyous, bêtes,criminels,retors, vicieux, malhonnêtes, cons,imbéciles, assassins,idiots, menteurs, frimeurs, vaniteux, impuissants, etc...

Par ailleurs stigmatiser toute une population en disant: "sur certains visages on sent que l'alcool...etc" c'est une forme de racisme qui m'étonne de vous.

Enfin "il faut renoncer à toute forme de pédagogie..." c'est monstrueux de dire cela. Faut-il renoncer à la pédagogie en matière d'alcoolisme, de drogue etc etc .
Les campagnes de publicité, très bien faites d'ailleurs,en matiére de prévention des accidents ont toutes leur utilité et sont approuvées par toutes les associations de prévention et le gouvernement.
J'ai tendance à penser que ce qui est excessif est un peu dérisoire et contre-productif. Pour qu'une loi soit bonne il faut au contraire qu'elle soit comprise,expliquée, acceptée, démontrée et l'on ne fait jamais trop de pédagogie.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce n'est pas être raciste que de critiquer les alcooliques au volant. Ma charge n'est absolument pas caricaturale : allez voir le documentaire et vous y verrez les trognes en question (vous échapperez seulement à leur haleine alcoolisée). Quant à la pédagogie, elle ne sert qu'à se donner bonne conscience, sans aucun résultat.

Anonyme a dit…

Evidemment vous avez raison Emmanuel, ce n'est pas être raciste que de critiquer les alcooliques mais stigmatiser une catégorie de personnes au facies, oui peut être.
Il y a par exemple des gens dont on peut penser qu'ils ont une tête d'abruti mais le sont-ils vraiment?
Quant à la pédagogie qui n'aurait aucun résultat je ne sais pas si vous êtes très pédagogue en disant cela.
Enfin j'ai vu le documentaire et c'est la raison pour laquelle je dis cela.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Le pédagogue que je suis est bien placé pour vous dire que la pédagogie a des limites, qu'elle n'est pas la panacée, contrairement à ce que prétend notre société.

1- La gueule de l'emploi, ça existe, et généralement les alcooliques ont la tête qui va avec. N'attendez pas de moi d'excuser ou de plaindre les tueurs avinés.