mercredi 30 avril 2014

41 manquements



Le vote d'hier soir à l'Assemblée nationale, portant sur le pacte de stabilité et de solidarité, était plus qu'important : fondateur, c'est le mot du Premier ministre, qui s'est engagé sur ce texte. Résultat ? Il obtient la majorité des voix, et c'est l'essentiel en démocratie. Et c'est une majorité de gauche, socialiste, sans besoin d'apports extérieurs, qui soutient cette politique. Politiquement, c'est l'essentiel. Mais d'autres leçons sont à tirer de ce vote :

D'abord, une confirmation et une clarification : le Front de gauche et, dans une moindre mesure, les écologistes, sont hostiles. Ensuite, une évolution et une ouverture : les centristes, l'UDI, se sont majoritairement abstenus. Ce n'est pas une mince nouvelle, eux qui sont des alliés habituels de l'UMP (celle-ci a massivement voté contre) : les centristes s'abstiennent parce qu'ils ne peuvent pas dire qu'ils sont pour (contrairement aux socialistes qui s'abstiennent parce qu'ils ne peuvent pas dire qu'ils sont contre !).

Il faudra bien que le président, le gouvernement et le parti fassent avec cette donnée, rappelée par le vote d'hier : on ne peut plus rien faire avec la gauche de la gauche (sauf localement, ce sont les alliances à géométrie variable des dernières élections municipales), il faut désormais songer à composer avec le centre (l'occasion s'est déjà présentée en 2012, lorsque François Bayrou a choisi de voter Hollande, mais elle n'a pas été alors saisie).

Il reste maintenant à interpréter et à gérer les 41 abstentions socialistes, nombre élevé, comme je le craignais dans mon billet d'hier. Le mot de trahison ne fait pas partie de mon vocabulaire, qui est politique, et pas moral. En revanche, je parlerais de manquements, et même de graves manquements, de trois ordres :

1- Manquement au devoir de parlementaire. Quand on est dans un groupe parlementaire, on en respecte la discipline collective. Certes, un député n'est pas un soldat qui obéit à des consignes militaires. Sur certains sujets, ponctuels ou qui relèvent de l'intime conviction (les questions de société), je peux comprendre qu'il y ait des votes personnels. Mais sur un texte général, qui engage toute la politique économique et sociale du gouvernement, le vote doit être rigoureusement unanime. Ou alors je me demande ce que les abstentionnistes font encore dans le groupe socialiste ? Sur un choix qui engage la France pour les trois prochaines années, il était inconcevable et irresponsable de s'abstenir.

2- Manquement au parti socialiste et à la gauche. S'abstenir, c'est prendre le risque énorme de voir son propre parti, son propre camp mis en minorité. C'est inacceptable. Aucun élu consciencieux ne peut jouer avec ça. Qu'on ne me dise pas que ce n'était pas possible, étant donnée l'importance du groupe socialiste : on ne sait jamais ce que peut donner un vote ; et puis c'est une question de principe. Les abstentionnistes hier soir ont joué avec le feu, au risque d'incendier la maison. Qu'on ne me dise pas non plus que le vote étant seulement consultatif, le texte de toute façon était acquis d'avance : le Premier ministre aurait été mis en minorité, le fait aurait été politiquement très grave, il aurait eu forcément des conséquences négatives. Non, rien ne peut alléger la responsabilité, ou plutôt l'irresponsabilité des abstentionnistes socialistes, aucunes circonstances atténuantes.

3- Manquement à la cohérence personnelle. Les parlementaires socialistes se sont fait élire en 2012 sur une ligne social-démocrate, que le pacte de stabilité et de solidarité ne fait qu'accentuer (il n'y a pas changement de politique comme en 1983, lorsque la gauche avait adopté la rigueur). Maintenant, certains se dédisent. Ces parlementaires doivent leur siège à François Hollande. Maintenant, parce qu'il y a un coup de vent, parce qu'il faut affronter la tempête, ils se retirent, s'abstiennent, critiquent. Trop facile, pas normal, inacceptable.

Je comprends qu'on puisse changer d'avis : d'autres l'ont fait avant eux, dans l'histoire récente et ancienne du parti socialiste. Mais qu'ils aient le courage d'en tirer toutes les conséquences, qu'ils ne restent pas dans l'ambiguïté. "J'assume", a répété le Premier ministre en présentant et en défendant son texte. Que ceux qui sont contre assument aussi : il n'y a rien de pire en politique, pour soi et pour les autres, que de ne pas assumer ses choix.

Ces 41 abstentions ne doivent pas être prises à la légère. D'abord parce qu'elles peuvent se répéter, s'élargir et, un jour, faire tomber un projet du gouvernement. Surtout, il faut précisément analyser leur sens, qui est profond : nous ne sommes pas dans une nouvelle volte-face de l'aile gauche, qui ne serait en soi pas bien grave. Le phénomène abstentionniste dépasse largement ses frontières. Je n'aime pas le mot de frondeurs, qui me semble trop superficiel et pas assez exact. Non, il s'agit d'autre chose : une véritable césure au sein du parti socialiste entre les adeptes de la social-démocratie et les partisans du socialisme traditionnel.

Ce n'est pas seulement un désaccord politique : c'est une différence idéologique et culturelle, d'ailleurs parfaitement compréhensible, même si elle est inadmissible. Rappelons-nous qu'aux primaires citoyennes de 2011, Manuel Valls n'a recueilli que 5% des voix, sur une ligne politique pas très éloignée de celle d'aujourd'hui. Rappelons-nous aussi que François Hollande a longtemps hésité à se dire social-démocrate (même si ses idées et son programme ne laissaient aucun doute sur son identité politique).

Quoi qu'il en soit, une seule chose compte désormais : qu'une majorité de Français soutiennent le Premier ministre, comme les sondages le laissent entendre ; que surtout la politique sur laquelle il s'est engagé hier soir porte ses fruits. Ce ne sont ni les parlementaires, ni les militants qui en jugeront : ce seront les électeurs, lors de la prochaine échéance présidentielle.

Aucun commentaire: