lundi 28 avril 2014

Aquilino Morelle



Je n'en ai pas parlé en son temps, j'ai attendu maintenant, que la caravane passe, et les chiens avec. Je suis tranquille : dans la société actuelle, une affaire d'Etat dure trois jours et un événement historique une semaine, à peine. Il suffit de laisser filer, pas très longtemps, et on peut reprendre l'affaire, plus sereinement. Dans quelques mois, quand la justice se prononcera, tout le monde aura oublié et s'en fichera. Le nom même de Morelle ne dira plus rien. Il faut s'appeler DSK et marquer la planète entière, pour qu'on se souvienne.

C'est comme l'affaire des sifflets contre François Hollande devant la statue de Jaurès à Carmaux : trop beau ! Mélenchon, qui bouffe du socialiste matin, midi et soir après avoir été socialiste la majeure partie de sa vie, et ministre, se jette sur l'occasion. Mensonge télévisuel, comme l'affaire Morelle est un lynchage médiatique : non pas un complot, mais une mise en spectacle dont on se délecte, au mépris de la vérité. Car quelle est la vérité ? Ce n'est pas à Hollande que s'adressaient les huées, mais aux policiers jugés trop nombreux, qui écartaient la foule. On a retenu l'image et le bruit, on a refoulé la réalité et la réflexion, comme dans l'affaire Aquilino Morelle.

D'ailleurs, à Carmaux, le président de la République s'est tranquillement entretenu avec le public nullement hostile. Non, Jaurès ne s'est pas vengé de Hollande, parce que Hollande aurait tué Jaurès ! comme l'ont laissé croire les antisocialistes. Mais la présence policière n'était-elle pas excessive ? Hey les gens, il faut savoir ce que vous voulez : se foutre de la gueule de Hollande à Paris parce qu'il se déplace imprudemment en scooter, à la merci de n'importe quel tireur fantasmé, ou bien se plaindre à Carmaux parce qu'il est trop protégé ? Jamais content !

Revenons à Aquilino Morelle : un inconnu a eu ses trois jours de sinistre gloire. Pas un ministre, pas un élu, pas un responsable du parti : non, un simple "conseiller politique" de l'Elysée, terme qui ne veut pas dire grand chose mais qui fait beaucoup fantasmer. Le premier des conseillers du président ? Oui, et alors, qu'est-ce que ça change ? Il faut bien qu'il y ait un premier : ça n'augmente pas vraiment son importance. En revanche, ça augmente la rancoeur, la jalousie, le ressentiment des envieux et des ambitieux, qui en ont profité pour lui faire la peau (pour certains, la politique se résume à cet adage : pousse-toi d'là que j'm'y mette !). L'affaire Morelle a montré une incroyable disproportion entre son impact, ses retombées et le statut du principal intéressé. Elle nous interpelle en trois domaines : la justice, la morale et, bien sûr, la politique.

1- La justice. Aquilino Morelle est accusé, par les justiciers du site Médiapart, de conflit d'intérêts, entre son poste dans l'administration et son travail pour l'industrie pharmaceutique. C'est en effet illégal, condamnable. Mais est-ce que ce sont les justiciers qui, en République, font la justice ? Non, ce sont les juges et les tribunaux. Les justiciers font leur travail de journalistes, très bien. Tant que la justice ne s'est pas prononcée, Aquilino Morelle est présumé innocent. Je me refuse donc à en faire un coupable. J'aurais aimé que tout le monde respecte la loi, surtout ceux qui prétendent d'exprimer en réclamant justice.

2- La morale. Je me demande si ce n'est pas la dimension la plus importante de l'affaire, avec cette extravagante histoire de chaussures et de cireur à domicile (je ne savais même pas que ça existait !). Mais qu'est-ce que ça vient faire là-dedans ? Expliquez-moi le rapport avec le conflit d'intérêts. Rien du tout : c'est pour charger la bête. Morelle a la peste, mais pour être bien sûr qu'il ne va pas se relever, on dit qu'il a aussi le choléra : juridiquement pas clair et moralement pas net, ce type ! La totale, pour être certain de l'abattre ! Sur Twitter, Facebook, on lance des vannes, on se moque du "petit marquis", ça flatte les instincts populistes (après la gauche caviar, la gauche croco) : c'est facile, tellement facile, beaucoup plus facile que rédiger un billet, que s'expliquer sérieusement, comme je suis en train de le faire. Quelques chiens enragés à l'intérieur du PS hurlent avec les loups à l'extérieur.

Qu'y a-t-il d'immoral à collectionner les belles chaussures et à employer quelqu'un pour les cirer ? J'ai beau chercher, je ne vois pas. Chacun d'entre nous est libre de sa vie, de ses goûts, de ses choix. Je n'aime pas beaucoup ces Pères la Pudeur qui se croient autorisés à donner des leçons de comportement, de bienséance, de tenue correcte (autrefois, c'était sur le sexe qu'il fallait poser un voile, aujourd'hui c'est sur l'argent). Quand nos petits-bourgeois emploient une femme de ménage pour quelques heures seulement, au plus bas tarif, est-ce que la vertu est de leur côté ? Non, alors taisons-nous sur Aquilino Morelle et son goût pour l'élégance, qui ne regarde que lui, qui ne devrait pas être un objet de débat public (il n'y a que l'extrême droite qui, historiquement, se laisse aller à ces penchants, l'attaque personnelle, les reproches sur la vie privée). Ceux qui accusent Aquilino Morelle d'être un "petit marquis" ne savent visiblement pas ce qu'est un vrai marquis (ou alors ils font semblant).

3- La politique. L'affaire Morelle prenant, François Hollande devait réagir, et il l'a fait excellemment, en se séparant de son conseiller. Je ne sais plus qui disait : "Il vaut mieux commettre une injustice qu'un désordre". Le président a choisi la cohérence, le respect de ses engagements en faveur d'une République irréprochable. Dans le doute, il ne pouvait pas s'abstenir, comme pourtant la prudence et la justice le recommandaient. La gauche n'en a pas fini avec le syndrome Cahuzac : la parole politique n'est hélas plus audible, les protestations de sincérité sont immédiatement disqualifiées. C'est injuste mais c'est ainsi. Hollande a bien fait, Morelle n'aura plus de comptes à rendre qu'aux juges et à sa conscience.

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