samedi 26 avril 2014

Question d'autorité



La politique est essentiellement une question d'autorité. Les bonnes intentions et les meilleures idées sont inutiles si aucune autorité ne les met en oeuvre. Le pire qui puisse arriver à un élu, à un gouvernement, à un parti, c'est le manque d'autorité. De ce point de vue, la nomination de Manuel Valls est un atout, même si rien n'est jamais gagné en matière d'autorité. Je pense à trois exemples d'actualité :

1- La réforme territoriale. C'est un projet qui traîne, à droite et à gauche, depuis des années, que personne n'ose vraiment engager, de peur de se fâcher avec de nombreux élus, de perdre de précieux soutiens. Nicolas Sarkozy avait proposé une solution bâtarde, faisant du conseiller général un conseiller régional. Valls est allé au plus court et au plus clair : la suppression de l'assemblée départementale à l'horizon 2020. Pour prendre une telle décision qui va lui mettre beaucoup de monde sur le dos, il fallait de l'autorité et du courage.

Pareil pour la fusion entre régions : chacune veut rester telle qu'elle est, parce que la nature humaine, même de gauche, est conservatrice. Valls a fixé les règles, non négociables : projet de loi au Conseil des ministres le 14 mai prochain, propositions des régions jusqu'en juin 2015, nouvelle carte en 2016. L'autorité, c'est fondamentalement la maîtrise et l'organisation du temps : un calendrier est donné, et on s'y tient. Les régions qui jusqu'à présent étaient réticentes, dont la Picardie, commencent à discuter, réfléchir et finalement elles accepteront, j'en suis certain. L'autorité est faite pour qu'on s'y plie, et rares sont ceux qui dérogent à ce principe, quand l'autorité ose s'exercer. Elle a pour elle l'efficacité, elle fait avancer les choses.

2- Le plan de stabilité. Ce sont les 50 milliards d'économies prévus par le gouvernement, qui seront soumis au vote de l'Assemblée mardi prochain. C'est un engagement fondamental du gouvernement, qui confirme les engagements présidentiels de François Hollande : la réduction urgente et massive de nos déficits. Les parlementaires peuvent bien sûr, c'est leur métier, amender, corriger, compléter, améliorer ce plan de stabilité : un parlementaire, c'est celui qui parle et qui parlemente, en vue de faire les lois.

Mais il y a aussi une logique, une cohérence, une discipline politiques qui prévalent : tout député de la majorité vote dans le sens de la majorité, et n'a pas à exprimer un point de vue personnel (sinon, adieu la notion de majorité parlementaire !). Or, certains députés socialistes, parce qu'ils craignent visiblement les remontées du "terrain" (ah la peur en politique !), annoncent qu'ils ne voteront pas mardi le pacte de stabilité : c'est parfaitement inacceptable, scandaleux. J'espère, s'il en était besoin, que Bruno Le Roux, président du groupe, en tirera les conséquences et fera preuve d'autorité, en excluant les récalcitrants, qui doivent assumer leur choix ... ou leur non choix.

3- Les rythmes scolaires. Tout le monde est pour et personne n'en veut ! Les profs tiennent à leur mercredi matin libre, les parents tiennent à leur week-end complet, les élus tiennent à leur budget et ne veulent pas dépenser plus, les professionnels du tourisme tiennent à leurs profits, qui ne passent pas par les bancs de l'école. Bref, le pouvoir politique, d'une excellente idée, ne peut rien faire du tout. Discuter ? Non, on n'a que trop discuté : dans ce genre d'affaire, plus on discute et moins on avance, chacun restant replié sur ses intérêts personnels et catégoriels. Il n'y a que l'autorité qui puisse démêler ce sac de noeuds mouillés.

Il aurait fallu, dès le début, imposer à tous une règle générale, sans concertation. Les 4,5 jours étaient dans le programme présidentiel, validé par la majorité des Français : il n'y avait donc pas à hésiter à faire acte d'autorité, au demeurant républicaine. Benoît Hamon hérite d'une situation difficile, et même explosive. Il veut préserver les 5 matinées travaillées : très bien. Pour le reste, il parle d'assouplissements, d'expérimentations, de dérogations (réduction des vacances scolaires, activités périscolaires sur une seule demi-journée) : je suis beaucoup plus sceptique. La machine à palabres va repartir, chaque protagoniste va vouloir tirer son épingle du jeu, c'est-à-dire défendre ses intérêts particuliers, au détriment de l'intérêt général. On verra bien, je souhaite à Benoît du courage, car ce n'est pas gagné.

Depuis une vingtaine d'années, notre société souffre d'une perte d'autorité, mais pas forcément là où on croit. Je me réjouis que certaines formes d'autorité, héritées d'un très long passé, aient été remises en cause (par exemple l'autorité de l'homme sur la femme). Mais je déplore la perte de l'autorité politique, principalement sous sa forme la plus visible, la conception et l'application de la loi. Dura lex, sed lex : la loi est par nature dure, inflexible ; vouloir l'assouplir est un non sens. La loi est impérative, inconditionnelle ; vouloir l'expérimenter est une absurdité (la justice se proclame et s'impose, elle ne se teste pas au préalable). La loi est universelle, sans exception possible ; envisager des dérogations est une hérésie juridique (a posteriori, après usage, pourquoi pas, mais sûrement pas a priori).

Il est aussi beaucoup question, ces dernières années, à de nombreuses reprises, d'encadrer la loi, comme si celle-ci était en elle-même dangereuse, qu'il lui fallait des garde-fous. Nouveau non sens : la loi est bonne en soi, ou alors, s'il y a un doute, il ne faut pas en faire une loi. Bref, la perte d'autorité de la société contemporaine ne vient pas tant de l'évolution des moeurs (qu'il faut saluer parce qu'elle a introduit plus de liberté) que de la remise en cause du principe de la loi, qui est dénaturé, vidé de sa substance. Le jour n'est pas loin où aucune loi, proposée par la gauche ou par la droite, ne sera plus concevable ni applicable, à force d'assouplissement, d'expérimentation, de dérogation et d'encadrement ! Plus de loi, plus d'autorité, plus de politique, plus de République ! Ce n'est pas à souhaiter.

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