mercredi 11 novembre 2015

Le mérite est une valeur de gauche



Emmanuel Macron trace son chemin. Hier, il a défendu la notion de mérite dans la Fonction publique. J'applaudis cette nouvelle intervention du ministre. Ironie du sort : c'était le jour de mon inspection, la dernière fois remontant à cinq ans ! Car les enseignants eux aussi sont évalués, par un inspecteur dans leur discipline et par leur chef d'établissement, même si l'avancement à l'ancienneté représente la part principale de leur salaire. Faut-il augmenter chez les fonctionnaires la place accordée au mérite dans la rémunération ? Comme Macron, je pense que oui, sous des conditions techniques qui restent à déterminer.

Le débat fait polémique à gauche, où la notion de mérite n'est pas toujours bien vue, à mon étonnement, puisque c'est une authentique valeur de gauche. La Révolution de 1789 renverse un Ancien Régime fondé sur les privilèges innés pour instaurer une société nouvelle reposant sur les mérites acquis. La droite traditionnelle défendait l'hérédité, l'héritage, l'argent ; la gauche républicaine s'est battue pour la reconnaissance du mérite. L'école laïque toute entière est basée, dans ses principes et dans son fonctionnement, sur le mérite. Comment un homme de gauche pourrait-il être contre ou ne pas lui accorder d'importance ?

L'explication de cette réticence, sinon de cette hostilité, vient d'un malentendu ou d'une ignorance : on croit que la notion de mérite s'oppose à une autre notion fondatrice de la gauche, l'égalité. Or, non seulement il n'y a pas contradiction entre les deux, mais l'égalité est la condition du mérite : l'une ne va pas sans l'autre. Je prendrais l'image d'une course sportive : au départ, tout le monde est sur la même ligne (c'est l'égalité) ; à l'arrivée, chacun se distingue selon ses efforts (c'est le mérite).

Le mérite fait craindre aussi la compétition, la concurrence, la rivalité entre les hommes. Non, le vrai mérite n'est pas dans une lutte jalouse contre les autres, une volonté de les dépasser ou de les dominer : c'est un travail sur soi-même, un combat contre ses propres faiblesses, un développement de ses capacités. La recherche du mérite n'est donc pas une guerre de tous contre tous.

Autre malentendu à dissiper : la confusion entre mérite et excellence. Autant je suis favorable au mérite, autant je désapprouve l'excellence. Celle-ci en appelle à la perfection, à l'intelligence, à la performance : c'est un idéal inaccessible et déprimant pour tous ceux qui n'ont pas les qualités requises. Le mérite, en revanche, c'est l'effort, la volonté, le travail qui n'exigent pas de briller mais de progresser, aussi modestement soit-il, dans la mesure de ses moyens.

Je ne demande pas à mes élèves d'être excellents (s'ils le sont, tant mieux), mais d'être méritants. Les bons élèves ne m'intéressent pas beaucoup ; mais l'élève mauvais ou médiocre qui se bat pour avancer et qui se sort en partie de sa condition, oui, c'est beau à voir, c'est tout mon travail et c'est le mérite qui en est le moteur. Moralement parlant, je mets la notion de mérite au dessus de toutes les autres valeurs.

Si le mérite est une valeur de gauche, c'est parce qu'il est une dimension essentielle de la justice. Car je ne vois pas ce qu'il y a de juste à ignorer les mérites des personnes, à considérer tout le monde de façon indifférenciée. La justice, être juste, c'est juger : le mérite est une forme de jugement. Certains diront peut-être que le mérite ne s'évalue pas, ou difficilement, qu'on ne peut pas en donner une définition objective, qu'il ne se mesure pas ? Je ne suis pas d'accord : le mérite n'est pas la bonne intention (que je n'aime pas, qui est souvent un prétexte démenti par les faits) ; le mérite se révèle dans nos actes, il est donc tout à fait mesurable, j'ai presque envie de dire qu'il est objectivable, quantifiable.

Je tiens donc à défendre le mérite, à me féliciter de la déclaration d'Emmanuel Macron, parce que c'est une valeur de gauche, républicaine et laïque (qui n'empêche pas d'être partagée aussi par des hommes de droite, bien sûr). Pour être honnête et complet, je ne vois qu'un seul argument sérieux contre ma démonstration : le mérite doit-il être forcément récompensé et, dans la perspective du ministre de l'Economie et des Finances, rémunéré chez les fonctionnaires ?

D'un point de vue purement moral, le mérite n'a rien à voir avec la gratification ou l'argent. Il est lié au contraire à la gratuité : c'est la beauté du geste qui compte, qui n'attend ou n'exige aucune récompense. C'est pourquoi, dans le cadre de mon métier, je suis réticent à l'égard des notes, que les élèves réclament comme des bonbons à distribuer.

Politiquement, c'est tout différent. Dans une société, l'effort doit être rétribué d'une manière ou d'une autre. Le salaire des fonctionnaires est injustement bloqué depuis plusieurs années. En même temps, je comprends, j'approuve et je soutiens la politique d'économies budgétaires du gouvernement de gauche. Mais il faut la justice, autant que possible. Augmenter l'ensemble des rémunérations des agents de l'Etat, ce n'est pas possible. Mais revoir la rétribution au mérite ou instaurer des primes qui vont dans ce sens, c'est à réfléchir.

14 commentaires:

C a dit…

Alors là, c'est une blague ? Une provocation ?
Au départ, c'est l'égalité ?
Parce que tous les partants en seraient au même point ?
D'abord, il faudrait pouvoir réunir tout le monde au même endroit et au même moment.
Ensuite, savoir si tous les présumés partants ainsi réunis ont bien l'intention de se mesurer les uns aux autres...
Ensuite, ont-ils les mêmes capacités ?
Ont-ils enfin eu les moyens identiques de préparation, d'entraînement ?
Sur une compétition, il n'est pas prouvé que les derniers arrivés aient fait moins d'efforts que les autres.
Alors le mérite en fonction du classement, laissez moi rire ou pleurer...
Il est décevant de lire un tel article de la part d'un professionnel de l'enseignement.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce qui serait décevant, stupide et absurde, ce serait un professionnel de l'enseignement qui ignore la notion de mérite, qui n'en fasse aucun cas. Quant aux multiples questions qui vous tourmentent, elles reviennent à ne rien faire du tout, ce qui est sûrement la meilleure façon de n'être jamais critiqué.

V a dit…

Les cimetières (sous le soleil ou les clartés lunaires) sont remplis de corps tous plus méritants les uns que les autres comme l'enfer est pavé de bonnes intentions...
Est méritant quiconque est digne d'estime suffisante pour en obtenir récompense...
Cela signifie que quand on veut faire intervenir le mérite, on fasse référence non seulement à l'être dont il est question d'estimer le potentiel ou le niveau acquis mais en sus à quelqu'un d'extérieur qui fournira la récompense...
Une sorte de juge...
JC a résolu cette problématique ainsi : "Les premiers seront les derniers" à entrer en paradis.

Anonyme a dit…

Cela se voit que vous n'avez pas encore été privatisé, mis en concurrence libre et non faussée, par votre chère gauche! Le Mammouth scolaire n'a pas bien été dégraissé selon l'abjecte expression du ministre de Jospin Claude Allègre entre 1997-2002 ce qui a bien contribué à distendre les liens entre le monde enseignant autrefois bien acquis à la gauche, et de plus en plus avec la politique désastreuse de Najat Vallaud Belkacem et son nivèlement par le bas. Déjà qu'ils sont si mal payés et la reconnaissance sociale en moins.

Emmanuel Mousset a dit…

Quel rapport entre votre commentaire et ma réflexion sur le mérite ?

Anonyme a dit…

Avoir du mérite dans l'administration c'est donner satisfaction à son N+1.
Cela va donc dépendre uniquement de N+1, c'est à dire de tout ce qui a constitué sa personnalité.
Autant dire qu'il s'agit d'une loterie.
Mais tout cela est désué comme l'est notre immature Macron.
On va dégraisser le mammouth dans le cadre des cours dispensé par vidéos.
Une seule vidéo donc UN seul prof de philo suffira pour la France entière et pour la francophonie
Ce n'est pas de la science fiction la Corée du Sud semble déjà très avancée dans ce domaine.

et notre petit prof rejoindra ceux qu'il appelle aimablement dans ST Quentin Mag les Zombies.

T a dit…

Le salaire selon le mérite...
C'est de gauche ça ?
Les patrons aux parachutes dorés méritent-ils les sommes allouées...
Sommes prises où d'ailleurs ?
La faim des uns n'est-elle pas sensiblement la même que la faim des autres ?
Le salaire selon la faim...
On pourrait aussi en discuter peu ou prou...
Un tantinet aussi des folies accordées aux stars, stars de quoi, on peut se le demander...
Du sport, du petit écran, du grand écran...
Des salaires (et pensions) faméliques comme des salaires et retraites "chapeau" astronomiques, on pourrait aussi envisager cela un tant soit peu aussi...
Bref, je suis contre la rémunération selon un présumé mérite par essence indéfinissable.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Zombi, moi jamais !

2- Si le mérite était pris en compte, un type qui tape dans une balle ne percevrait pas un salaire aussi élevé.

T a dit…

Mais ce type là, qui tape dans une balle, ce n'est pas, à ce que je sache, un fonctionnaire...

Emmanuel Mousset a dit…

Le mérite vaut pour tout le monde.

Anonyme a dit…

Monsieur le professeur de philosophie je persiste à penser qu'il serait bon que vous soyez privatisé pour vous rendre compte que le mérite est une valeur de droite. Si vous aviez travaillé dans le secteur privé, et non dans un secteur bien protégé de la violence de l'économie libérale à laquelle vous et tous vos amis "socialistes" ont consenti. Dans le secteur privé le mérite est individualisé et à la tête du "client" selon que vous êtes docile ou pas. C'est bien une valeur de droite à laquelle les socialistes se sont rendus, capitulés, comme sur tant de choses depuis mars 1983. C'est bien une des raisons pour laquelle vous allez prendre une nouvelle raclée électorale dès le 6 décembre prochain.
Je pense que vous vous trouverez de bonnes excuses pour continuer à vivre, sur Sirius, dans votre tour d'ivoire, dans votre douillet cocon étranger au malheur des 5 millions de travailleurs sous-employés, sous-payés et de 10 millions de pauvres.

Emmanuel Mousset a dit…

Merci pour vos leçons de morale, mais je n'en ai pas besoin : j'ai travaillé dans le privé de longues années, payé au SMIC. Je ne suis devenu enseignant titulaire qu'à l'âge de 34 ans. Habituellement, je n'en fais pas état, mais avec les gens malhonnêtes, c'est nécessaire.

Anonyme a dit…

Des gens malhonnêtes, dites-vous ? Parce que l'on ne vit pas dans votre monde de bisounours? Parce que la réalité est moins rose que vous vous plaisez à la dépeindre?
Non, le mérite est une valeur de droite, portée et défendue par un homme, un ministre, un ex et futur banquier après 2017 qui vivra toujours confortablement après que ces études lui aient été payés par l'Etat en ne travaillant pour ce dernier que 6 et non 10 ans auxquels il s'était engagé. S'il était cohérent il devrait rembourser les 250 000 euros qu'ont coûté sa scolarité à la collectivité. Ce ministre et ses collègues vivent et vivront toujours confortablement, prêchent aux Français un effort sans cesse renouvelé depuis mars 1983 alors qu'ils sont loin d'être exemplaires.
Avant de me faire la morale, ayez donc une constante pensée envers les 5 millions de Français sous-employés et sous-payés, sans compter les 10 millions de pauvres dont les socialistes s'accommodent très bien. A mon modeste niveau je me fais la voix des sans-voix, leur porte-parole.

Emmanuel Mousset a dit…

Faites-moi voir votre fiche de paye, et on en reparlera.