samedi 29 décembre 2012

Les dieux dans la cuisine



Pour le réveillon, nous allons tous bien manger. Pas seulement pour cette occasion : depuis quelques années, notre société est obsédée par la cuisine. Avant, on s'en fichait : les fourneaux, c'était une préoccupation de grand-mère. Dans les années 60 et 70, il y a eu les conserves, le surgelé, le fast food. La bouffe, dont Marco Ferreri s'était moqué dans un film fameux, c'était ringard et réac, autant qu'un cuistot avec sa toque, autant que Maïté et Jean-Pierre Coffe à la télé. Aujourd'hui, la cuisine est tendance, les bobos en raffolent. Radios, télévisions, magazines, bouquins, tous s'y mettent ; il y a un peu partout des ateliers cuisine et, sur l'internet, des blogs culinaires.

Je vous donne mon point de vue : j'ai horreur de faire la cuisine et les plaisirs de la table m'indiffèrent. Je pense même que cette passion des Français pour la cuisine, sous son apparente convivialité, est une nouvelle preuve de la crise de société que nous traversons. Pour plusieurs raisons :

1- La France a presque tout perdu : son industrie, son influence à travers le monde, sa création artistique. Que lui reste-t-il ? Ce qui est le plus emblématique de notre pays, sa gastronomie, dernier sursaut nationaliste face au reste de la planète qui nous écrase.

2- Pendant des siècles, les familles se transmettaient naturellement les savoir faire culinaires. Réapprendre la cuisine par la télé ou les livres, c'est le signe d'une rupture dans les traditions, d'une crise de transmission entre les générations.

3- L'art de la table, c'est le repli sur soi, la pratique de l'entre soi, la survalorisation de la vie privée, le recours à ce qu'il y a de plus basique dans l'existence : le manger ! La civilisation autrefois se développait dans les domaines de la politique, de l'art, de la spiritualité, de la science, de l'aventure mais aujourd'hui c'est au milieu des poêles et des casseroles, des légumes et des viandes : on mesure la chute ...

4- La gastronomie est devenue la valeur-refuge des autres valeurs : on lui attribue une dimension esthétique (la déco compte beaucoup), technique (son vocabulaire est sophistiqué, spécialisé) et même morale (faire la cuisine est associé à la bonté, à la générosité, au bonheur). Le philosophe grec Héraclite disait que les dieux étaient dans la cuisine et pas forcément dans les temples ; ça se confirme aujourd'hui, où les dieux ont quitté les églises pour inspirer les fourneaux.

Bien sûr, comme toute idéologie, celle autour de la cuisine a ses contradictions, dont trois principales :

a- Notre société veut vivre rapidement, dans l'urgence, elle déteste perdre son temps et attendre. Or, la cuisine prend énormément de temps, que nous ne sommes pas près à lui sacrifier, tous très affairés.

b- Nos contemporains sont avides de confort, de loisirs et de liberté. Or, la cuisine est une discipline contraignante, un exercice laborieux, une corvée à quoi bien peu sont disposés à s'astreindre, sauf à pratiquer une cuisine de dînette.

c- Le souci d'un corps fin, svelte, la peur des graisses, l'ascèse des régimes diététiques entrent en contradiction avec le fond bon vivant de la cuisine, son épicurisme foncier. Manger, c'est forcément épaissir le corps, et la revendication d'un bien manger n'y change pas grand chose.

Bref, l'idéologie culinaire qui envahit l'espace public a pour but de faire oublier les réalités sociales, économiques et existentielles : bien au chaud dans notre cuisine, le nez plongé dans un livre de recettes, nous ne pensons plus au monde immense et dangereux qui nous entoure, jusqu'au moment où il frappera à notre porte, car il n'attend pas d'être invité pour mettre les pieds sous la table et la renverser.

Bon appétit, bon réveillon !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

la cuisine, les bisous , les prenoms, en ce moment sur votre blog vous critiquez a fond les tendances et les modes.
rien ne vous séduit, tout vous dérange.
Lire ce blog en période de fêtes c'est vraiment pas la joie.
je suppose qu en plus vous n'aimez pas faire la fête ?

Emmanuel Mousset a dit…

J'ai toujours critiqué les tendances et les modes, parce qu'elles sont superficielles et aléatoires. A part ça, beaucoup de choses me séduisent et ne me dérangent absolument pas. Quant à faire la fête, je laisse en effet cette activité aux gens tristes qui ont besoin de se distraire. Car la joie n'est pas là où l'on vous dit qu'elle est.

Anonyme a dit…

vous n'aimez pas les plaisirs de la table ? c'est-à-dire que vous passez votre temps à manger du surgelé et des boites ? Si c'est le cas, c'est bien triste....... pourtant vous êtes un amateur de bonnes patisseries il me semble......

Emmanuel Mousset a dit…

Ce n'est pas contradictoire : un surgelé de poisson, du cassoulet en boîte et une bonne pâtisserie, ce n'est pas triste du tout ! Et puis, la joie est dans la tête, pas dans l'assiette.