dimanche 2 décembre 2012

Sardou, chanteur populaire



Avant de mourir, j'ai trois voeux que j'aimerai voir se réaliser : que l'homme retourne sur la Lune, que la municipalité de Saint-Quentin devienne socialiste et que j'assiste à un spectacle de Michel Sardou. Le troisième, c'est fait, c'était hier soir, au Zénith d'Amiens. Aller voir Sardou ! Mes amis de gauche, enseignants ou pas, ont fait une drôle de tête quand je leur ai dit ça : ce ringard, ce réac, ce facho , ce macho ! Tout doux, tout doux : paix et liberté à l'artiste, c'est son art qui compte, pas ses convictions politiques. Oui, j'aime depuis toujours les chansons de Michel Sardou. Et alors ?

D'abord, un spectacle de Sardou, ça commence sur le parking : pas de quoi se garer, la foule des grands jours, des bagnoles partout, même là où il ne faut pas. Sardou, c'est aussi une salle, un public : populaire, qui rit, qui gueule, qui chante, un peuple immense (voir vignette). Et le spectacle ? Michel Sardou arrive en scène à l'heure pile, 20h30. Il ne cherche pas à se faire désirer par un délai d'attente. Le chanteur terminera à 22h30 pile, faisant la bise aux filles qui accompagnent son orchestre (rien pour les mecs), puis disparait par une porte sur le côté, sans rappel.

Avec Sardou, quand c'est fini c'est fini : il vient à Amiens pour faire le job, chanter, pas pour rencontrer un public, à l'égard duquel il restera deux heures durant froid, distant, sans empathie. A l'exception de quelques "merci, merci beaucoup" après la plupart de ses chansons. Quand une fan lui lance un "Michel, t'es trop beau !", il répond mécaniquement : "Merci, t'es trop gentille" et puis il continue comme si de rien n'était. Des bras se tendent pour lui offrir des fleurs, il prend, répète son inusable "merci" de politesse obligée et dépose les bouquets sur un tabouret. Il est comme ça, Sardou, il est là, devant des milliers de personnes, mais il s'en fout. Et je crois qu'on l'aime comme ça, le Michel.

Ce n'est pas vraiment un showman, une bête de scène. Ses chansons sont des "tubes" pour transistor, pas fait pour une salle de spectacle. Micro en main, Sardou se déplace paresseusement. Les effets ne sont pas géniaux, des lumières de toutes les couleurs en veux-tu en voilà, une zik si forte que les paroles de l'interprète sont parfois pas très audibles. Le timbre de voix est toujours là, mais le souffle un peu court : on sent l'âge qui vient. Mais Sardou s'en fout, il en plaisante, il est comme nous, et c'est aussi pour ça qu'on l'aime. Une fois, il se plante dans les paroles ; à la fin, descendant un escalier, il manque de trébucher. T'inquiète Mimi, on est avec toi !

Le spectacle s'intitule : "Les grands moments". Michel Sardou ne s'est pas embêté : il a repris ses plus grands succès, qu'il enfile à la queue leu-leu. Le déroulé est sans surprise : ouverture avec "la maladie d'amour" (qui m'a éveillé aux sens dans ma pré-adolescence !), conclusion avec son carton, "le Conémara". Sardou est-il un bon chanteur ? Un grand chanteur ? Je n'en sais rien, je pourrai presque en douter un peu. Mais je suis comme lui, je m'en fous. La certitude, l'évidence, c'est que Michel Sardou est un chanteur populaire et qu'il ne sont que deux en France à prétendre à ce titre, Johnny et lui.

Hier soir, avec tout le public, dans les premières minutes, j'ai senti l'émotion monter en moi : Sardou, là, devant nous, un mythe vivant, un monument de la culture populaire française ! Et ce qui me plaît par dessus tout chez cet homme-là, c'est qu'il ne cherche pas à plaire ! Johnny se construit un personnage, qui évolue au fil des modes. Pas Sardou, qui est le même qu'il y a trente ans ! Sa force, c'est d'être toujours là, depuis quarante-cinq ans de chansons à succès. Avant d'entrer dans le Zénith, j'observais les alentours, pensif : où sont-ils donc, les gauchistes et les féministes qui manifestaient contre Mimi dans les années 70 ? S'ils avaient sans doute à l'époque de bonnes raisons d'être présents, ils ont tort aujourd'hui d'être absents. Sardou, lui, n'a pas changé, et il est toujours là.

L'émotion que dégage cet homme si peu émotif et si peu émouvant vient uniquement de ses chansons : entendre "les Ricains" quarante-cinq ans après, ressentir la beauté et la vérité de cette chanson, voilà ce qu'a réussi Sardou, que très peu d'artistes de variétés parviennent à faire. Ses chansons ont gagné une part d'éternité, elles dépassent le chanteur, et il le sait. Et puis, il y a cette incroyable accumulation de succès énormes, à tel point qu'on se demande comme il fait, quel est son secret. Sardou touche quelque part l'âme du peuple (excusez la formule grandiloquente), je l'ai ressenti hier soir. Ses chansons lui "parlent", comme on dit aujourd'hui.

Il y a bien sûr les chansons d'amour ("La fille aux yeux clairs", mélancolique, est ma préférée dans le genre), mais aussi les chansons qui abordent les questions de société et qu'on peut à juste titre qualifier de politiques. Le génie de Michel Sardou, c'est qu'il a constamment su traiter les problèmes qui touchent les gens, à la différence de Claude François qui est resté bien souvent dans la mièvrerie. Pourtant, devenir populaire avec des thèmes politiques, ce n'est pas évident. Mais ça marche, parce que Sardou, quand il rend hommage aux soldats américains venus libérer notre pays, quand il dénonce (au nom de Lénine !) le mensonge du communisme soviétique, vise juste, fait vibrer en nous une fibre qui ne trompe pas, celle de la vérité.

Un homme de droite ? Dans ses opinions privées, oui sûrement, mais c'est son affaire et sa liberté, je ne juge pas là-dessus. Ses chansons sont-elles de droite ? Quelques-unes oui, quand il évoque le colonialisme ou la peine de mort, mais ce sont des prises de position assez distanciées, quand on a l'honnêteté de lire de près les textes, le plus souvent d'une grande qualité d'écriture (les références littéraires sont chez lui assez fréquentes). La plupart de ses chansons ne sont pas réactionnaires mais tout simplement, j'y reviens, populaires.

Prenez l'exemple du "France", qu'il affectionne tout particulièrement : rien de nationaliste, mais au plus profond de la mentalité ouvrière, la fierté blessée d'assister à la vente d'un fleuron issu de notre système de production. Au-delà du navire, c'est le symbole de l'industrie française qui est remis en question. Quand on est ouvrier, on comprend ces choses-là, et parfois on pleure, pendant que le petit-bourgeois ricane. C'est pourquoi les manifestants de la CGT ont pu défiler avec cette chanson, faisant écho à "Ma France", de Jean Ferrat.

Un regret hier soir : ni "les bals populaires", ni "j'habite en France", qui sont pourtant les deux chansons qui ont fait accéder Sardou à la popularité. En revanche, une satisfaction : "Le surveillant général", un peu oublié aujourd'hui, chanson ambigu, subtile, troublante. C'était mon premier spectacle Michel Sardou, après quarante ans d'écoute fidèle de ses chansons ; ce sera pour moi le dernier : un voeu ne se réalise qu'une seule fois. Il me reste maintenant la radio et l'internet pour retrouver Mimi. Quant à mes deux autres voeux, la reconquête de la Lune et la victoire socialiste à Saint-Quentin, je saurai attendre, j'ai la patience du Bouddha. J'ai bien attendu trente ans avant d'aller voir Sardou ...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Johnny, Sardou des monuments de la chanson francaise populaire, d'accord,
mais n'oubliez pas Aznavour! qui les surpasse en étant le seul à etre populaire dans plusieurs parties du monde.

Emmanuel Mousset a dit…

Certes, Sardou et même Johnny sont quasiment inconnus à l'étranger, à la différence d'Aznavour. Mais ça n'implique pas que celui-ci soit "populaire", au sens sociologique où je l'ai utilisé. Un public d'Aznavour est incomparablement moins populaire qu'un public de Sardou.

Anonyme a dit…

attendre encore 30a pour que la municipalité devienne socialiste,
moi ça me va.

Anonyme a dit…

chanteur populiste convient beaucoup mieux non?

Emmanuel Mousset a dit…

Je ne sais pas. "Populiste" est un terme polémique, au sens incertain. Je ne l'utilise jamais, ou très rarement. Et puis, on peut être "populiste" sans être forcément populaire.

anonyme bis a dit…

populiste sous-entend" démagogique",qui flatte ou entretient des "valeurs" pas trop humanistes uniquement pour sa "gloire" ou sa notoriété et non dans un but de convaincre;en ce qui concerne Sardou:
-"je suis pour" la peine de mort
-faut pas critiquer les Américains( nos sauveteurs-j'assume le terme- de 1944)
- faut sauver le France,
- admirer De Gaulle, ..etc..
Fils de Jacky Sardou,comédienne plus que vulgaire et heureusement de Sardou père,comédien fin et agréable,Michel Sardou a peut-être quelques excuses
Bref je ne l'ai jamais apprécié mais les lecteurs avaient deviné je pense