dimanche 23 décembre 2012

Ha, ha ! bip, bip !



Si vous souhaitez offrir pour les fêtes un livre politique agréable, je vous conseille "Rien ne se passe comme prévu", de Laurent Binet, chez Grasset, qui raconte la campagne présidentielle de François Hollande, dans un style simple et vif. On y apprend plein de choses sur la vie politique en général, qui sont souvent pour moi des confirmations. Quelques morceaux d'anthologie :

Pp 34-37 : Binet décrit avec vérité et drôlerie la réunion de préparation du grand meeting du Bourget, qui est pour Hollande fondamental, qui doit effacer le discours de Versailles de Sarkozy en 2007. Les "échanges" sont constamment interrompus par les bips des téléphones mobiles, les propos des uns et des autres sont complètement décousus, chacun semble d'abord parler pour lui-même.

Pp 62-63 : François Hollande visite un lycée professionnel, s'arrête au stand de la filière bois, discute avec les élèves et les enseignants. Binet sent qu'il "fait semblant", que l'avenir de la filière bois est un sujet technique qui ne fait pas partie des fondamentaux de sa campagne, et on comprend bien pourquoi. Mais voilà : la politique, c'est "faire semblant" ; pas pour mentir, mais pour écouter et quand même répondre à des questions qu'on ne maîtrise pas forcément et qui ne concerne pas forcément le champ strictement politique.

Pp 274-282 : Hollande s'entraîne au grand débat d'entre les deux tours, en faisant appel à un fabiusien, Guillaume Bachelay, qui a balancé dans un passé récent pas mal de vacheries contre lui, qui là joue le rôle de Sarkozy. Scène stupéfiante, où le futur président retourne un adversaire de gauche et lui demande d'interpréter, sans qu'il ait beaucoup à se forcer, un adversaire de droite ! Une constante que Laurent Binet souligne souvent : les renversements permanents d'alliance au sein du PS, qui font du rival d'aujourd'hui l'alliée de demain (et inversement !).

Le milieu politico-journalistique tel que le décrit Binet se distingue également par sa capacité à blaguer sans arrêt (des "ha ha !" scandent fréquemment les conversations, avec des plaisanteries qui sont souvent de potaches). François Hollande, plus que "l'homme normal", c'est "l'homme ironique", lâchant des bons mots. Il en ressort, au sein même de ce stress qu'est l'activité politique, une forme de décontraction, de distance, presque d'insouciance qui est sûrement une réaction de défense. Finalement, une réunion politique, ce sont des gens qui, entre deux interventions, se marrent ou répondent à leur téléphone : ha ha ! bip, bip !

J'avoue que la lecture de "Rien ne se passe comme prévu" ne donne pas trop envie de s'engager en politique, même si je trouve le regard de Binet assez juste, pas démago et plutôt respectueux. Car voir la dimension personnelle l'emporter souvent sur la dimension idéologique dans les choix des uns et des autres n'est pas à mes yeux très emballant. Il est amusant aussi d'entendre ces hommes politiques, qui ne peuvent pas s'empêcher de faire des pronostics, de tirer des plans sur la comète, se planter le plus souvent, être démentis par la suite des évènements. C'est ce qui justifie le titre, c'est la grande leçon de la politique : rien ne se passe comme prévu. Mais cette conclusion, vraie, est néanmoins dangereuse : elle conforte les mauvais, qui sont aussi nombreux en politique qu'ailleurs, dans leur paresse, leur inaction, leur croyance en une possible victoire qui tomberait du ciel, en ne faisant rien, en pensant même qu'une action malheureuse pourrait contrarier leur destin. Ceux-là confondent ne pas pouvoir prévoir et ne rien vouloir préparer.

Pp 267-268, il est question de Saint-Quentin ! Au lendemain du premier tour, François Hollande veut visiter un territoire populaire, ouvrier, pas trop loin de Paris. Son équipe pense assez vite à l'Aisne, et à sa principale ville. Mais Julien Dray met le holà : "Attention au chahut ! Saint-Quentin, il y a un risque". Nous n'en saurons pas plus, et Hollande se rendra en définitive à Hirson.

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