vendredi 28 décembre 2012

Un monde de bisous



Dans quelques jours, pour la nouvelle année, on va se faire plein de bisous. Mais non, c'est maintenant tous les jours, partout, qu'on se fait ou plutôt qu'on se dit, qu'on s'écrit : "bisou !" Certains en rajoutent avec un redondant "bisou bisou". Cette mode du bisou trahit une dégradation progressive du langage : on parlait autrefois du "baiser", qui avait quelque chose d'intense, on est passé ensuite à la "bise", qui déjà perdait en force, on arrive aujourd'hui au "bisou", qui fait petit, sans conséquence.

D'ailleurs, c'est le plus souvent un mot, "bisou", qu'on prononce sans passer à l'acte (attitude un peu étrange qui consiste à dire sans faire, mais bien dans l'esprit de l'époque). Le bisou est très conventionnel ; c'est presque une marque de politesse, sous une apparence affective (la politesse est le monde des apparences) : on dit "bisou" pour saluer, à la place de "bonjour", ou pour partir, pour signifier "au revoir".

La généralisation du bisou est enfantine, peut-être même infantile, régressive, puisque c'est aux enfants, habituellement, qu'on fait des bisous, c'est avec eux, pour eux qu'on emploie ce mot. Ce n'est pas la seule occurrence qui prouve que notre société traite les adultes, qui en sont ravis, qui en redemandent, comme de grands enfants. A l'époque, que j'ai connue, où l'on s'embrassait éventuellement mais où l'on ne se disait pas "bisou" entre grandes personnes, il y avait une chanson de Carlos, "Big bisou", qui interdisait de prendre le bisou trop au sérieux. On comprenait alors que c'était un truc d'enfant, amusant. Aujourd'hui, on se dit très sérieusement "bisou".

Bon, le bisou, ce n'est pas uniquement un mot, ça peut être aussi un acte, "se faire la bise". Autour de moi, je remarque que les vieux messieurs en sont friands quand ils approchent de jeunes dames : ça leur permet de roucouler, de claquer une bise à défaut d'autre chose, de se faire des illusions de séduction ... Il n'y a pas de mal à ça, me direz-vous. Oui, mais mettez-vous à la place des dames ... et même des hommes, puisque c'est semble-t-il, là aussi, la mode de se faire la bise parmi la gent masculine (quand un barbu vient vers moi, c'est l'horreur ; quand c'est un camarade socialiste, je suis bien obligé de tendre l'autre joue).

On devrait pourtant se méfier du baiser : celui de Judas au Christ est de sinistre réputation. Quand les invités s'exclament "le bisou ! le bisou !" devant les jeunes mariés, on perçoit la charge conventionnelle de l'invitation. Un bisou ou une bise, appelez ça comme vous voudrez, a quelque chose de compromettant. C'est une petite frime, une fausse intimité, avec quelque chose de baveux qui ne me plaît pas trop. Je lui préfère la poignée de main, plus honnête, plus égalitaire (hommes et femmes sont alors logés à la même enseigne). Mieux, j'incline au signe, au geste sans contact des épidermes, appuyé par le regard et le hochement de la tête, sauf bien sûr en famille ou entre amis.

Quoique, allez savoir, mes affaires s'arrangeraient peut-être si je faisais localement la bise à Xavier Bertrand, Jean-Pierre Lançon, Freddy Grzeziczak (un peu grand) et même, en me forçant, Antonio Ribeiro.


Bisou à tous (désolé, je n'ai pas pu m'empêcher, moi aussi).

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