mercredi 22 février 2017

Une démocratie sans convictions



Nous avons appris hier une innovation dans la campagne présidentielle, jamais vue sous la Vème République : l'organisation de deux débats télévisés entre tous les candidats, avant le premier tour de l'élection. A première vue, on ne peut que se réjouir de cette extension de la démocratie. Après réflexion, on ne peut que le déplorer. D'abord, posons-nous la question : pourquoi, jusqu'à présent, depuis bientôt 60 ans, notre République et ses postulants n'avaient-ils pas ressenti le besoin d'un tel débat, préalable au premier tour ? Ce n'est pas un oubli ou un hasard : il y a une raison profonde, liée à la nature de la démocratie, aujourd'hui altérée par cette innovation.

En démocratie, un vote politique repose sur quoi ? Sur des convictions politiques. Il en est le produit, le résultat. Que sont nos convictions politiques ? Des idées, des intuitions, des rencontres, une éducation, une histoire personnelle, différentes d'un individu à un autre. En ce qui me concerne, j'ai toujours été socialiste, même si je n'ai pas toujours voté socialiste, même s'il m'arrive de critiquer certains socialistes, même si je peux apprécier d'autres personnes que des socialistes. Les convictions sont intérieures : c'est une affaire de conscience.

Les convictions politiques, c'est aussi une question de fidélité. Je sais bien que le socialisme n'est pas parfait, que la vérité ne se résume pas à lui, qu'on peut lui reprocher bien des choses. Mais je reste, envers et contre tout, socialiste, tendance réformiste, social-démocrate, "progressiste" comme dirait Macron. Je crois que tout individu à des convictions, à des degrés différents. Même celui qui rejette la politique et ne va pas voter, même celui-là a des convictions, qui consistent à condamner le système politique et à refuser d'y participer (au profit de rien du tout ou d'une utopie). On n'échappe pas à ses convictions.

Mais je veux en venir où, et quel rapport avec ma désapprobation des deux débats avant le premier tour ? C'est que lorsqu'on a des convictions, on ne choisit pas ! Car le choix est fait, depuis longtemps, depuis toujours ! En tant que social-démocrate, je n'ai jamais hésité sur mes votes et mes soutiens : Rocard, Delors, Jospin, DSK, Hollande, aujourd'hui Macron. On ne vote bien que les yeux fermés, avec seulement sa tête, et surtout pas en trainant des pieds. Je n'attends rien d'un débat, puisque je sais déjà. Je ne suis jamais déçu, puisque mes convictions sont inaltérables. Je suis sûr que quelqu'un de droite, convaincu, ressent et raisonne comme moi.

Les débats avant le premier tour dénaturent la démocratie, qui devient une sorte de foire à la farfouille, où chacun va faire son marché en recherchant le mieux-disant. C'est rabaisser la politique à une sorte de consumérisme. D'ailleurs, il est fréquent de parler maintenant d' "offre politique", comme en économie. L'esprit citoyen, c'est la décision, l'engagement, pas la comparaison. Ce qui doit nous préoccuper, nous plaire ou nous rebuter, c'est ce que dit tel candidat de notre choix ou tel autre que nous rejetons : pas la concurrence entre eux. La logique de marché, avec sa nécessaire compétition, ne s'applique pas au débat politique.

Les primaires de gauche et de droite nous ont offert un triste spectacle : des candidats en rang d'oignons, dans un décor de jeu télévisé, où il ne manquait plus que le buzeur sur les pupitres. Ces candidats se regardent rarement entre eux : le point focal, le maître du jeu, c'est le journaliste-animateur. Et le petit jeu comparatif peut commencer, dans lequel les nuances deviennent énormes et les précisions techniques déterminantes, au détriment des convictions générales. Résultat des courses : les électeurs sont encore plus indécis, et quand ils ne le sont pas, c'est que la forme de l'intervention l'a emporté sur le fond.

J'ai connu des gens qui hésitaient entre Bayrou et Besancenot, entre Le Pen et Mélenchon, ce qui est aberrant. Un centriste de convictions n'est nullement attiré par un trotskiste, un communiste de convictions ne confond pas le discours social du FN avec la tradition révolutionnaire. Qu'il y ait un débat entre les deux tours, confrontant les finalistes, c'est habituel et légitime, car si "au premier tour on choisit, au second on élimine", selon l'adage bien connu. Mais lorsqu'il faut choisir, c'est toujours par rapport à soi, ses intérêts, ses aspirations, ses convictions, pas en passant en revue les opinions de tous les candidats, dans une mise à égalité qui n'a aucun sens.

Ce que j'écris-là allait de soi il y a 20 ou 30 ans. Plus maintenant, et depuis quelques années. Les causes sont profondes, sociologiques : l'individualisme a brisé l'esprit collectif, l'infidélité s'est transformée en vertu, l'insatisfaction est devenue un mode de vie, la rumeur l'emporte sur la vérité, la psychologie prime sur la politique, les sentiments, d'enthousiasme ou d'animosité, se substituent aux convictions, les médias remplacent les partis. Pour moi, nous assistons à un naufrage de la démocratie. Mais je me trompe peut-être : une nouvelle démocratie, qui n'est pas la mienne, émerge et nous devons apprendre à vivre avec.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Faudrait savoir ; MACRON dit je ne suis pas socialiste .................
et vous , vous dites , je suis socialiste ... Cela mérite plus d'explications ...

Anonyme a dit…

C'est la rançon du progrès , nos grands parents , nos parents lisaient attentivement les professions de foi , lisaient les éditoriaux succincts des journaux locaux ,écoutaient attentivement les radios et se faisaient ainsi à froid une opinion raisonnée ... Nous , nous sommes en temps réel au cœur du débat et avec un renfort de sondages devons en permanence conforter notre jugement , c'est de la voltige politique avec ses conséquences ... bonnes ou mauvaises ...........

R a dit…

C'est la conséquence de la politique montée en spectacle (avec ou sans hologrammes), c'est la suite logique de la part des politiciens de privilégier la communication (et donc les formes) à l'information (le fond), c'est le prolongement des émissions télévisuelles où la dérision et le rire ou la rigolade s'imbriquent intimement aux faits politiques et aux hommes et femmes actifs en politique.
Convaincre dans la facilité, c'est un parti pris.
Se forger une opinion ou des opinions, c'est un véritable travail sur soi-même.
Et travailler nécessite l'effort.
La majorité des candidats actuels agissent comme des bateleurs ou les joueurs de bonneteau de coin de rue.
Navrant pour celles et ceux qui placent la politique un peu plus haut qu'à celui où ils essaient de nous entraîner.
Résistance !

Emmanuel Mousset a dit…

Réponse au premier commentaire : rappelez-vous de Lionel Jospin, en 2002. Ce n'était pas Macron, et pourtant, lui aussi disait : "Mon projet n'est pas socialiste". Pourquoi ? Parce que, lorsqu'on veut gagner et rassembler une majorité de Français, il faut, tout en restant soi-même, déborder très largement les frontières de son propre camp. Autour de Macron se regroupent des centristes, des écologistes, des républicains, des progressistes ... et même des socialistes. Quand on ne veut pas gagner, quand on fait de la politique seulement pour "témoigner", la question ne se pose pas.

Anonyme a dit…

Comme on peut le constater depuis plus de 30 ans les sociaux-démocrates ne sont que les gestionnaires du capitalisme financier globalisé et d'une mondialisation néolibérale dont l'UE n'est qu'un cache-sexe à peine déguisé. S'ils étaient réformistes cela se serait vu: il n'y aurait pas cette montée inexorable du chômage et de la pauvreté dans les pays développés. C'est bien pourquoi partout la sociale-démocratie est en crise, perd ses électeurs durablement, et corollaire on voit la montée des mouvements populistes à mesure que les sociaux-démocrates n'ont plus le souci du peuple. A cet égard Macron en est un parfait exemple comme le parti socialiste.

Anonyme a dit…

Comme votre propre expression Macron fait une campagne de second tour où l'on élargit sa base électorale, après l'avoir bien rassemblée au premier tour. C'est pour cela qu'il va perdre sauf s'il arrive en deuxième position et se retrouve face à Marine Le Pen, votre adversaire préférée, au second tour.

Anonyme a dit…

Vous êtes sérieux ou vous dites tout et son contraire , les écolos et centristes mais aussi les progressistes et les socialistes ne sont pas des républicains puisque vous mettez à part ... Ceux ci avec quels critéres ... Pas facile de vous suivre avec en MARCHE ...................

P a dit…

rappelez-vous de Lionel Jospin, en 2002. Ce n'était pas Macron, et pourtant, lui aussi disait : "Mon projet n'est pas socialiste".
Rappelez-le vous bien : il a perdu !
Et votre marcheur le rejoindra là où il s'est perdu !

S a dit…

"S'ils étaient réformistes cela se serait vu: ?"
Eh bien on a pu voir et ça depuis pas mal de temps : ces réformistes réforment toujours dans le même sens : vers la droite et vers la primauté des capitaux sur le travail.
Pas besoin de qualificatif !
C'est comme en amour !
"Je t'aime" c'est le summum.
"Je t'aime, tu sais" ou "Je t'aime énormément" voire "Je t'aime beaucoup" ou aussi "Je t'aime vraiment", ça restera toujours moins probant comme marque que "Je t'aime"...
Alors, idem pour les socialistes...
Socialiste, ça veut tout dire !
Pas besoin de se dire "socialiste démocrate" ni "socialiste autonome" voire "socialiste unitaire" et autres circonlocutions du genre "socialiste républicain" pour diminuer le sens initial du concept "socialiste", celui qui sortit des événements de 1848 !