dimanche 12 février 2017

Onfray en pleine décadence



Je n'ai jamais aimé Michel Onfray, le philosophe à succès. Pas le bonhomme : il est intéressant, intelligent, passionnant même, et très pédagogue, et j'invite à le lire. Non, ce sont ses idées, ses méthodes, ses références que je ne partage pas. Pourtant, je me sens nietzschéen comme lui, mais pas de la même façon. Son dernier ouvrage, "Décadence", confirme mon hostilité. Sur cinq points de désaccords fondamentaux, que j'ai notés hier soir, en le regardant chez Ruquier :

1- La philosophie procède par constat. Onfray n'arrête pas de dire qu'il ne juge pas, mais qu'il constate. Non, la philosophie n'est pas une science de l'observation : elle juge, elle délibère, elle tranche. Sa dimension critique est essentielle. Onfray prend la posture d'un scientiste, d'un naturaliste qui se contente de décrire la civilisation, son évolution et sa décadence : je n'y crois pas, toute philosophie est engagée, partisane, militante, mercenaire. Il n'y a pas de point de vue qui soit extérieur à son objet (c'est d'ailleurs ce que pense Nietzsche, contrairement à Onfray). L'auteur de "Décadence" procède plus par recension de lectures que par pensée personnelle, théorie, concepts. Ses références sont parfois douteuses, quand il présente l'abbé Meslier comme un "philosophe" que les Lumières auraient pillé, ou comme le "premier athée" de notre histoire. Non, Meslier était un curé défroqué se vengeant sur son Eglise, comme les anticommunistes les plus caricaturaux viennent du Parti communiste. Ce n'était pas un philosophe digne de ce nom. Quant à l'athéisme, il remonte à l'Antiquité.

2- La civilisation est une expression du vivant. Onfray réduit l'humanité à la biologie, comme il réduit l'homme à une "poussière d'étoiles". Philosophiquement, c'est donc un matérialiste, choix que je ne partage pas, mais qu'il présente comme une évidence, alors qu'il est très discutable. Pour moi, il y a une singularité humaine qu'il faut penser en tant que telle, non la rabattre sur des métaphores biologisantes. La civilisation n'est pas comparable à un organisme vivant qui naît, croît et meurt. Une pensée métaphorique n'est pas une pensée philosophique. Elle ne fait pas son travail, en économisant le concept au profit de l'image ou de l'analogie.

3- Jésus n'a pas existé. C'est une vieille lune du XIXème siècle, que les historiens et même les athées les plus sérieux n'ont pas reprise. Bien sûr, nous ne savons quasiment rien du Jésus historique, et celui des Eglises résulte de la foi des croyants. Mais il est inconcevable de douter de l'existence du personnage, à l'origine des communautés qui ont très vite essaimé en Méditerranée. Onfray a cette étrange parole : "Jésus mange du symbole". Quand les Evangiles le décrivent dans sa vie ordinaire, tout ça n'est que de l'image, pour Onfray : c'est proprement invraisemblable. Ce n'est pas parce que notre philosophe pense par images que les premiers chrétiens font de même en rédigeant leurs témoignages (paraboles mises à part). On dirait que Onfray a besoin de tuer le Christ pour fonder son antichristianisme.

4- Saint Paul hait le corps. Là aussi, Onfray va chercher dans ce qu'il y a de moins solide : le père du christianisme, ce n'est pas Jésus, mais Paul, le méchant, le fanatique, le misogyne, qui n'aimait pas son corps, celui des femmes, celui des autres. La psychologie prime donc sur la philosophie : c'est très actuel, mais je conteste. Non, une lecture sérieuse des Epitres de Paul ne confirme pas cette approche, mais elle confirme que Michel Onfray a des comptes à régler avec le judéo-christianisme. En tant que religion de l'incarnation et de la résurrection, le christianisme défend le corps, certes pas n'importe lequel (celui du débauché est condamné). Notre corps est un membre du Christ et le temple du Saint Esprit, répète saint Paul. Comme haine du corps, on fait mieux ! Au contraire, l'apôtre divinise le corps, le transfigure.

5- Hitler était catholique. Là, Onfray met la gomme pour dégommer le christianisme ! Faire du führer un catho, il faut quand même oser. Tout ça parce que Mein Kampf cite l'épisode des marchands du Temple, où Hitler se réjouit que Jésus ait frappé des commerçants juifs ! Non, ça ne tient pas : Jésus était juif, ses partisans aussi. Ce n'est bien sûr pas aux juifs qu'ils s'en prennent, mais à un certain judaïsme, pharisien. D'ailleurs, Onfray est pris à son propre piège : ce judéo-christianisme qu'il ne cesse de critiquer, dont il annonce la disparition, mélange le judaïsme et le christianisme. Hitler n'a rien à voir avec tout ça : il n'allait pas à la messe, ne priait pas et ignorait le Nouveau Testament. Qu'il manipule le christianisme, oui ; qu'il y adhère, non, c'est gros comme une maison.

Un dernier mot sur Michel Onfray, politique cette fois-ci : je ne vois vraiment pas où il se situe. La "gauche libertaire" dont il se réclame est pour moi un mystère, un rêve, encore plus improbable que l'existence de Jésus. Amen.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Si "la gauche libertaire" dont se réclame Onfray est un mystère c'est que votre culture politique est bien incomplète.

Emmanuel Mousset a dit…

Il n'y a pas contradiction : pour les croyants, Dieu existe et c'est un total mystère. Idem pour la "gauche libertaire". Amen.

Anonyme a dit…

L'existence de la gauche libertaire n'est un mystère que pour votre ignorance crasse.

Emmanuel Mousset a dit…

Soyons clairs : je ne comprends pas qu'on puisse être aujourd'hui proudhonien. Voilà le mystère, qui n'a rien à voir avec l'ignorance, mais au contraire avec la connaissance précise de ce courant politique désuet ou utopique à mes yeux.

Denis.Mahaffey a dit…

Pour moi, le proudhonisme que j'appelle l'anarchisme reste un idéal lointain mais brûlant. Il m'a été immédiat dans la jeunesse ; il reste une référence. Dans l'absolu l'anarchisme paraît aussi inatteignable que le christianisme, mais que cela n'empêche personne de regarder vers la lumière plutôt que se satisfaire de, ou pire se complaire dans, l'obscurité quotidienne.

Emmanuel Mousset a dit…

L'anarchisme proudhonien ne me semble pas politiquement praticable. Ou alors d'une manière très limitée, à petite échelle, sans grand impact sur toute la société. La différence avec le christianisme, c'est que celui-ci est beaucoup plus réaliste : il ne prétend pas établir en ce monde son Royaume, il nous encourage plus simplement à devenir des saints dans notre vie quotidienne. J'insiste sur la référence religieuse, tant la philosophie de Michel Onfray me semble en prendre le contre-pied et bâtir toute sa pensée autour de cette opposition.

Anonyme a dit…

Pensez vous vraiment que la contribution de PROUDHON soit d'actualité surtout quand on voit comme sur BFM des journalistes pédants , incultes et intra périphérique de PARIS qui laissent dire au FN que on ne lit plus les noms des morts sur les monuments des communes , pour y être fidèle , on peut penser que 30000 au moins sur les 36000 lisent encore ces noms ... Dans les grandes villes , il y a eu tellement de morts que cela prendrait un temps beaucoup trop long ........... Donc conclusion le FN maintenant en permanence sur certaines antennes est largement sponsorisé car on spécule sur sa victoire prochaine aux élections ..........

Philippe a dit…

Dans les médias de ces dernières années on parle du FN en vociférant, on parle du Centre et des écolos avec un brin d’ironie ou de moquerie …. en résumé la ringardise de François Bayrou, la robe Cécile Duflot.
Pourquoi ? Parce qu’au plan politique ces sensibilités compte pour du beurre !!!!
Ces trois courants politiques n’ont quasi aucune représentation.
François Bayrou, dans « on n’est pas couché » la semaine dernière, faisait remarquer que les 2/3 de l’électorat n’a aucune (ou ridicule) représentation.
Des lois d’exception ont permis de construire une Vème République dans le cadre de ce qu’il faut appeler la guerre d’Algérie … à partir de 1962 cette « république » non démocratique n’avait plus sa raison d’être !
Dans ce contexte constitutionnel la démocratie est interdite à certaines sensibilités.
La seule façon de revitaliser la démocratie serait la proportionnelle comme celle utilisée pour les élections européenne… et dans plusieurs autres pays européens qui ne s’en portent pas plus mal !
Bien sûr l’effet est surtout psychologique et symbolique car se situant dans le ressenti des électeurs dont les représentants ont accès à tous les rouages de l’État.
Pourquoi l’effet reste symbolique plus que fonctionnel : parce que comme le disait Alain (le philosophe) : « qu'il y ait proportionnalité ou non dans la représentation, la majorité reste seule à emporter les décisions, ce qui ne change donc rien in fine. ».
Au fait que propose E.Macron, chausser les charentaises gaulliennes ?

Anonyme a dit…

La gauche libertaire a bien existé jusqu'au début du XXè siècle alors avec l'anarchosyndicalisme avant que le communisme ne vienne submerger cette tendance. La gauche libertaire existe encore depuis Mai 1968 mais elle a épousé le néolibéralisme économique dominant et en privilégiant les questions sociétales et non plus sociales. C'est ainsi qu'on la retrouve dans l'extrême gauche genre NPA et dans toute la mouvance verte genre Daniel Cohn-Bendit, Noêl Mamère elle a pour nom actuellement le nom de libéral-libertaire. Emmanuel Macron n'en est pas si éloigné que cela par ses choix néolibéraux en économie et sur les questions de société.
Michel Onfray est un authentique libertaire pour qui la question sociale donc un anticapitalisme reste fondamentale. Souvent en désaccord avec lui, je suis d'autant plus libre pour saluer sa constance et non son ralliement à l'idéologie néolibérale dominante.Tout le contraire de la "gauche raisonnable" et de sa presse "Libération" et les "Inroks"