dimanche 28 août 2016

Rencontre avec un ex



C'était il y a quelques jours, en descendant du train, sur un quai de la gare du Nord. D'abord, je ne l'ai pas reconnu, je n'étais pas sûr que c'était lui. De son côté, je crois bien qu'il a eu la même incertitude. Et puis, nous nous sommes rapprochés et je l'ai remis, sans hésitation. Allions-nous nous parler ? J'ai bien cru que non. Quelqu'un qu'on n'a pas vu depuis longtemps, qu'est-ce qu'on a à lui dire ? Mais surtout, c'est un ex : il était au Parti, il n'y est plus. Son courant n'était pas le mien. Un camarade n'est pas un ami, un ex-camarade n'est plus rien du tout. Je ne sais même pas pourquoi il est parti. En politique, quand la page est tournée, on n'y revient pas, on ne se connaît plus, on change même parfois de trottoir pour éviter la gêne de se croiser.

Je suis quand même allé vers lui, et lui vers moi : on s'est un peu souris. Salut, comment ça va ? Des banalités de ce genre-là, de la surprise quand même, de se retrouver ici, par hasard, au milieu des voyageurs. Alors, mon esprit a remonté le temps, très facilement (c'est fou comme on oublie certaines choses et comme d'autres sont gravées à vie). C'est en 1999 que je l'ai vu pour la première fois. Il représentait un courant de l'aile gauche, Dray à l'époque. Dans l'Aisne, le créneau était occupé par les poperénistes. A ce moment-là, ce sont les majoritaires qui dominaient et qui souhaitaient tout de même ouvrir le bureau fédéral aux minoritaires, mais pas aux poppys, jugés trop sectaires, que les rockys ne supportaient pas, à moins que ce ne soit l'inverse (que mes lecteurs qui s'étonnent de ce vocabulaire énigmatique et désuet fassent une petite recherche sur internet, la vie politique interne au Parti socialiste dans les années 70 et 80 du siècle dernier). C'est à mon ex qu'ils se sont adressés : "il est gentil", m'a confié alors un chef. Traduction : inoffensif. En tout cas, lui était content : à la table du bureau fédéral, on s'étaient poussés, on lui avaient fait une petite place, tout au bout. Désormais, tout mino qu'il était, il faisait partie des dirigeants.

Quand j'y repense, mais aujourd'hui seulement, je comprends que l'essence de la politique est là-dedans : vouloir, accepter et conserver une place, n'importe laquelle, un strapontin inconfortable ou une chaise en bout de table. Ce jour-là, c'était physiquement, visuellement flagrant. Mais une déformation professionnelle me rendait aveugle, encore un peu maintenant : j'ai, à tort, la faiblesse de croire au primat des idées. C'est un miroir déformant, qui ne correspond pas à la réalité. Sans une place, qu'est-ce qu'on fait en politique ? On ne fait rien, on ne fait pas de politique. Il faut avoir beaucoup d'humilité intéressé pour se soumettre à cette loi. Avoir une place, c'est faire son trou, être reconnu, accepté, peut-être même estimé. Mais il ne faut pas trop non plus en demander : l'essentiel est d'inspirer confiance, même une fausse confiance. Celui qui accepte une place montre qu'il est comme les autres, qu'il partage le même langage, celui du pouvoir, et aussi qu'on a prise sur lui.

Etre au bureau fédéral, ce n'est bien sûr pas grand-chose, mais c'est quand même un petit quelque chose. Il n'y a pas de petit pouvoir comme il n'y a pas de petit profit. On ne crache pas sur une place qu'on vous propose ; en politique, c'est discourtois, offensant, pire : incompréhensible. C'est comme certains titres aristocratiques ou maçonniques : ça ne renvoie pas à grand-chose, mais ça en impose. L'ex n'en est pas resté à ce niveau. Quand on cherche une place, qu'on en obtient une, on continue de monter à l'échelle, il n'y a pas de raison de s'arrêter. Mon ex est devenu conseiller régional, dans une majorité de gauche, donc élu à un assez haut niveau. Là, ça devenait sérieux, du lourd, comme disent nos jeunes. A ce moment-là, je ne l'ai plus trop suivi. J'ai donc profité de cette rencontre inopinée pour lui demander comment ça s'était passé. Au point de notre conversation, je le trouvais désabusé, fatigué du Parti. Mais là, dans l'exercice d'un mandat, n'avait-il pas obtenu satisfaction ?

Eh bien non ! Comme quoi on croit atteindre un sommet et on est finalement déçu. Nous n'avons pas discuté très longtemps, mais j'ai cru comprendre qu'il s'était senti petit Axonais perdu au milieu des Amiennois. Je crois surtout que mon ancien camarade a fait en politique l'expérience la plus étrange et la plus désagréable qui soit : être au pouvoir et ne pas avoir le pouvoir ! Ce qui représente beaucoup d'inconvénients pour bien peu de dédommagements. Seuls quelques vice-présidents relèvent la tête. Son amertume vient essentiellement de là, pas tant de la social-démocratisation du PS, même si elle n'est pas à son goût.

J'ai souvent fait ce constat, assez surprenant : les ex-élus évoquent rarement leur mandat passé, leur travail, leur réalisation. Même quand on quitte le pouvoir, on peut être fier de ce qu'on a fait, en parler, défendre son bilan, non ? C'est rarement le cas, comme s'il n'y avait pas de bilan, d'action, comme si la politique était seulement un exercice de présence, de représentation, où l'on valide des choix faits par d'autres ou par l'administration.

J'en reviens à cette histoire de place, qui est fondatrice en politique : on finit par en trouver une qui est libre, vide, qu'on peut alors occuper. Mais je me demande si cette place vide ne le reste pas, même quand on s'y est installé, et si on la laisse aussi vide en partant qu'en arrivant. Voilà mes impressions spontanées, en écoutant l'ex. Ce n'est bien sûr pas très optimiste sur l'action politique. C'est pourquoi j'ai voulu le quitter en lui parlant d'autre chose, du soleil, du ciel et de la vie. Et puis, je me suis posé intérieurement une question : je lui dis, oui ou non, que je suis Macron ? C'aurait été retomber dans la politique, au moment de se séparer, et aussi le contrarier un peu, quoi qu'il connaisse mes idées depuis le début. Que croyez-vous que j'ai fait ? Je n'ai pas pu m'empêcher, alors qu'il aurait été mieux de conclure sur le soleil, le ciel et la vie ... Mais peut-être que lui et moi, on ne se reverra plus jamais, le monde n'étant pas si petit que ça.

12 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Je vais être un peu hors-sujet, désolé, mais je reviens à l'affaire du burkini, qui agite tant la société française en profondeur en ce moment. De Gaulle a protégé les Français tant qu'il a pu, d'abord contre les Allemands, puis contre le libéralisme anglo-saxon. Puis est venu mai 68, la révolte de la "chienlit" : "chienlit" libertaire et communiste ou anarchiste majoritairement d'abord, qui s'est installée, est devenue libérale économiquement, a fait son trou, est aujourd'hui la nouvelle "aristocratie" française, "aristocratie" d'argent, de culture, de politique : c'est à cette mouvance libertaire à laquelle appartient Emmanuel Mousset et dont il se revendique, au nom d'un état d'esprit nietzschéen. Il serait né quelques années plus tard, il aurait subi les dommages de mai 68, et il ne serait pas là où il est, il serait déculturé comme tous les post-soixante-huitards. Si Emmanuel Mousset savait d'où il vient, si seulement il savait quelles sont les causes de la construction de sa pensée et de sa carrière : c'est en réalité grâce à De Gaulle et aux trente glorieuses, mais plutôt mourir que de l'admettre ! Mais il se fout de la généalogie, tout comme il se fout d'une éventuelle prospérité des Français, il ne les aime pas, il préfère qu'ils souffrent, car sinon il estime que les Français exploitent les peuples opprimés pour s'enrichir (comme les immigrés portugais par exemple). En réalité mai 68 et son état d'esprit libertaire a fait le lit de l'anomie, c'est-à-dire d'une désorganisation sociale résultant de l'absence de normes communes, et donc par voie de conséquence, a ouvert une brèche énorme, où s'engouffre l'islam, qui ne mettra pas de limites à son appétit insatiable en France, demandant toujours plus de droits sans avoir aucune contrainte ni devoir ni de comptes à rendre en échange (le fameux "esprit de 68" : vivre sans aucune dettes envers la société, ni personne, enfants ou parents, ingratitude fondamentale). Donc ni les musulmans, ni l'islam, ne sont la cause de l'anomie qui règne dans la société française, mais l'esprit de 68, qui y règne encore, et au nom duquel on semble plus facilement tolérer les attentats islamistes (ils ont des excuses les pauvres : ce sont des victimes du colonialisme territorial ancien ou du néo-colonialisme économique), que l'interdiction du burkini. Et dans les faits, mai 68 (et à l'échelle mondiale les mouvement de la jeunesse occidentale, comparables), l'anomie qui en découle : un genre d'anarchie sociale et des mœurs en France, et d'autre part le libéralisme économique sans freins qui en découle aussi et qui s'est installé à l'échelle mondiale et qui est effectivement responsables du néo-colonialisme capitaliste moderne. Tout cela dénote d'un esprit inconséquent et d'irresponsabilité propre à "l'esprit de 68", qui est à la fois cause du mal islamiste (le libéralisme économique en tant que cause du néo-colonialisme économique, et donc cause du mal islamiste, est peut-être encore plus mauvais que l'islamisme lui-même), et qui lui trouve en même temps des excuses.

Anonyme a dit…

Dans la lignée de 68 en effet c'est la montée de la déresponsabilisation sans limite :

Responsable ??? Mais pas coupable ?? Belle formule antinomique ...

DEUX EXEMPLES :
Rendre l'impôt sur le revenu obligatoire ... Quitte à rembourser la somme modique demandée au indigents , mais quel avantage , tout le monde sera contrôlé et le gain sur la fraude pas négligeable ... Mais hélas nos politiques souvent les premiers à frauder ne seront pas ceux qui vont améliorer ces dispositions ..

Pour l' abstention ; là aussi rendre le vote obligatoire ... Ou dans un premier temps l' inscription sur les listes ... Mais là aussi on va vers des voies pas favorisées par nos politiques qui préfèrent rester dans le vague et être élus par une faible minorité au risque de ne plus avoir du tout de légitimité !

Emmanuel Mousset a dit…

L'irresponsable, c'est vous, en tenant des propos démagogiques et antidémocratiques, qui conduisent tout droit à la culture d'extrême droite, si vous n'y êtes pas déjà ...

Erwan Blesbois a dit…

Je voulais dire pour souligner encore plus ma pensée, et il faut bien y prêter attention : l'esprit de 68, au nom duquel on semble plus facilement tolérer les attentats islamistes (ils ont des excuses les pauvres : ce sont des victimes du colonialisme territorial ancien ou du néo-colonialisme économique), que l'interdiction du burkini ("Il est interdit d'interdire" : et ça c'est le leitmotiv sacré, l'impératif catégorique de notre société anomique et en voie de décomposition). Mais on va aller jusqu'où comme ça ?

Emmanuel Mousset a dit…

Non, l'autorisation du burkini ne doit rien à l'esprit de 68 (qui serait plutôt bikini ou tout nu) mais à la loi de la République : défense d'une liberté fondamentale, rappelée par le Conseil d'Etat, qui n'est pas une instance soixante-huitarde.

Erwan Blesbois a dit…

Réponse typiquement kantienne, c'est-à-dire désincarnée et sans vie. Nietzsche dirait peut-être sans réflexion (sans esprit généalogique) ?

Emmanuel Mousset a dit…

La loi fait aussi partie de la vie.

Erwan Blesbois a dit…

Mai 68 ne fut pas seulement la gentille petite révolte de jeunes, presque une fête, que le folklore populaire, repris par Emmanuel Mousset, voudrait nous présenter ("tout nu et tout bronzé"). Mais une véritable Révolution, avec remplacement d'une idéologie par une autre, et remplacement des anciennes élites "coincées" par de nouvelles élites "décomplexées", aujourd'hui ultra libérales après avoir été maoïstes : une nouvelle "aristocratie" en somme. Il suffit de voir la puissance de frappe d'un BHL par exemple (mais si il n'est pas le seul exemple, il est certainement le plus caricatural et le plus nocif), dans les médias et en politique étrangère, pour s'en faire une idée. Et dont Emmanuel Mousset est le modeste mais fidèle serviteur, à son échelon local. La loi d'aujourd'hui découle de cette idéologie issue de 68, et de son esprit ("Il est interdit d'interdire").

Anonyme a dit…

Vous restez dans un flou qui n'est même pas artistique. Cela eût été plus crédible si vous citiez le nom de cet ex.
La révolte individualiste de la petite bourgeoisie, les étudiants du baby-boom, par la contestation de toutes les formes d'autorité ont permis et se sont ralliés à l'idéologie libérale-libertaire selon laquelle chacun fait ce qui lui plait, se fout des autres, et ne cesse de revendiquer plus de droits en tant que simple individu. Ces jeunes gens et leur idéologie détient le pouvoir économique, social, culturel et largement médiatique depuis près de 30 ans même lorsque la droite est au pouvoir. Ainsi Emmanuel Mousset enfonce une porte ouverte lorsqu'il découvre que la droite ne croit plus en Dieu parce qu'elle a largement entériné, fait sienne cette idéologie libérale-libertaire, Sarkozy puis NKM en sont les illustrations les plus marquantes. Les grands ténors de cette idéologie en sont DCB et BHL. Pour ma part j'ai une préférence pour le sérieux, la rigueur et le désenchantement, la lucidité d'un Régis Debray.
Le triomphe de cette idéologie est concomitante avec le triomphe du capitalisme financier dérégulé, le marché-roi, et la sacro-sainte "libre entreprise" à partir de 1979 avec l'élection de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne puis Ronald Reagan en 1980 aux US puis partout et à tout le monde même les forces de gauche dites progressistes. Ce qui explique qu'elles sont en crise partout, sur la défensive voire en déroute notamment en Europe notamment en Grèce, Espagne, Italie, GB, Allemagne, Pologne, Hongrie et l'an prochain en France.

Emmanuel Mousset a dit…

Citer le nom ne sert à rien ; ce n'est pas quelqu'un de très connu (la politique, quoique publique, est faite aussi par beaucoup d'anonymes). Et puis, la personne n'étant plus en activité (politique), je souhaite la laisser à sa vie privée.

yvesgerin a dit…

Mai 68
Juin 68 Mon père ouvrier reprenait le travail et moi profitais de 6 mois de vacances étudiantes.j ai compris l'enfumade politicienne(E.Faure) la démagogie,la lutte des classes.

yvesgerin a dit…

Je ne supporte pas la lâcheté de l ´anonymat