mercredi 10 août 2016

Narcisse sauvé des eaux



Narcisse a mauvaise presse dans la société contemporaine. Le nom de ce beau jeune homme de la mythologie, qui a mal fini, a donné naissance à un substantif couramment utilisé aujourd'hui pour condamner, en politique, un travers, un vice, quasiment une perversion : le narcissisme.

Ainsi, ces jours-ci, j'entends dire de Donald Trump que son principal défaut serait le narcissisme. Si ça pouvait être vrai ! il serait bien de n'avoir que cela à lui reprocher ... Hélas, le problème n'est pas dans la personnalité du candidat républicain, mais dans ses prises de position. Son narcissisme est simplement grossier, stupide et quasi comique, là où celui d'Hillary Clinton est élégant, intelligent et discret.

Surtout, le procès en narcissisme est le plus mauvais et le plus injuste qu'on puisse faire à la classe politique. Chez nous, on parle du "bal des egos" ou d'"ego surdimensionné", en faisant la grimace. Mais cette critique est surtout proférée par ceux qui souffrent d'un déficit de personnalité et enragent devant celle des autres, principalement des adversaires et des rivaux.

Dans toute activité publique, le narcissisme est nécessaire, et en politique, il est recommandable et indispensable. L'amour de soi, qui est sa définition, est inhérent à l'homme ou à la femme qui a l'immense prétention de diriger un pays tout entier (mais c'est déjà vrai à la petite échelle d'une collectivité locale). Je n'aimerais pas donner mes suffrages à un candidat complexé, pas sûr de lui, hésitant, modeste, faisant profil bas (et pourtant j'en ai connus, qui ont d'ailleurs perdu !). Le narcissisme est une qualité qui doit figurer dans tout CV politique.

La défaveur courante que provoque le narcissisme, qui devrait au contraire susciter notre satisfaction, provient à mon avis d'une confusion entre vertu publique et défaut privé. Autant j'exige d'un leader qu'il dispose d'un fort ego et qu'il pratique un narcissisme assumé, qui sont les moteurs du combat politique et les gages de la réussite, autant je déteste les narcissiques dans la vie privée, le m'as-tu vu qui fait son kéké, envahit l'espace personnel, nous pompe littéralement l'air, se pose en centre du monde, exhibe son nombril à défaut de son cerveau.

Le narcissisme individuel, cantonné à la vie ordinaire, sans autre objectif que se montrer, est insupportable. Là, j'apprécie l'humilité et la discrétion ; mais pas dans la vie politique ! Comme quoi une vertu publique peut devenir un vice privé, et inversement : quelqu'un qui serait humble et discret en politique ferait un très mauvais candidat et un très mauvais dirigeant (mais il serait tellement mauvais candidat qu'il ne deviendrait jamais dirigeant !).

Il faut sauver Narcisse des eaux, la mythologie lui ayant donné trop mauvaise réputation. A l'heure de la communication, mais c'était déjà vrai avant, à toutes les époques, l'homme public est quelqu'un qui ne vit pas qu'avec lui-même, mais avec l'image qu'il se forge ou que les autres lui imposent. Il se met forcément en scène, joue un personnage, qu'il a plutôt intérêt à aimer, s'il veut persévérer et gagner. Oui, Narcisse doit se pencher sur son reflet dans l'eau et l'aimer, et je ne le crois pas condamner à tomber et à se noyer.

Il faudrait sans doute aussi, pour être complet, distinguer comme le fait Jean-Jacques Rousseau l'amour de soi, stimulant de l'activité politique, et l'amour-propre, simple vanité, susceptibilité puérile. L'homme politique doit avoir beaucoup de narcissisme et aucune vanité (remarquez bien d'ailleurs qu'autour de nous, ce n'est jamais la vanité qui est attaquée, mais toujours le narcissisme). Le désamour de cet amour de soi qu'est le narcissisme est à mettre sur le compte, aujourd'hui, de la morale et de la psychologie. Au fond, ces deux-là n'aiment pas le narcissisme en politique, tout simplement parce qu'elles n'aiment pas la politique.

8 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

C'est pourtant bien moralement que l'on s'interdit de voter pour les partis populistes, de Trump à Le Pen, dont l'arrière fond idéologique est de pure perversion narcissique. C'est bien cela qui nous fait peur dans ces partis : leur aspect pulsionnel et sans morale.

Emmanuel Mousset a dit…

Désolé, Erwan : je ne fais QUE de la politique, pas de morale ni de psychologie. Pour le coup, c'est moi qui suis modeste ! Mais certains, nombreux aujourd'hui, ne font QUE de la psychologie (qui est devenue la morale de notre temps).

Erwan Blesbois a dit…

Je ne pense pas que le narcissisme soit de l'ordre de l'amour de soi, le narcissisme est une perversion qui nie l'altérité est vise la destruction de l'autre, pour mieux s'affirmer soi-même. L'amour de soi est de l'ordre de l'amour, le narcissisme est du côté de la haine. Dans la perversion la haine de l'autre l'emporte sur l'amour de soi : c'est d'ailleurs la définition malheureusement du libéralisme économique, où d'une conception religieuse du salut protestante, nous sommes passés à une perversion mondialisée, du narcissisme généralisé.

Emmanuel Mousset a dit…

Ok, mais j'emploie le mot "narcissisme" dans son sens le plus commun, non pathologique. Je fais de la politique, tu fais de la psychologie. Chacun son truc.

Erwan Blesbois a dit…

Oui mais l'hitlérisme est bien un délire collectif d'origine pathogène, dont les partis populistes actuels, sont les petits enfants dans l'ordre de la déraison et de la pulsion, par opposition à la raison et la morale. L'éducation à la morale et la raison, ne peut se faire selon moi que par le dogme et la croyance, qu'ils soient religieux ou républicains laïcs, peu importe. Ce qui compte c'est la force de l'exemple dans l'imaginaire de l'enfant, contre actuellement la loi du fric, d'origine perverse et narcissique, de négation de l'altérité. La perversion islamiste n'est qu'un effet de réaction, à une perversion bien plus globale, d'origine libérale.

Erwan Blesbois a dit…

C'est pour cela que d'un point de vue politique, et dans l'ordre des raisons, la perversion populiste me paraît être subordonnée et conséquence de la perversion libérale, matrice de toutes les autres, y compris islamiste. Le mal fondamental à combattre est effectivement le modèle du profit pour le profit, sans aucune autre alternative, si ce n'est les réactions populistes et islamistes, explicables finalement, par le narcissisme radical du libéralisme, négateur de toute forme d'altérité. Système totalitaire, sous des airs bonasses et pacifiques, oligarchique dans son principe, et non démocratique. Il suffit pour s'en rendre compte, par exemple, de regarder la télévision pendant quelques heures en zappant.

Anonyme a dit…

ça se voit que trump est narcissique (avis personnel mais pas besoin d'etre psy pour le reconnaître). Peu importe qu'on donne un sens pathologique ou commun à ce mot. Ces gens la sont des catastrophes et encore plus quand ils sont aux pouvoir. Avoir une image de soi grandiloquente et aucune empathie ne présage rien de bon pour le pays qui en a un à sa tête (idem au niveau local). Je sais que mes arguments sont un peu faibles en apparence mais c'est plus mon expérience personnelle qui parle dans ce cas précis...

SGDG a dit…

"Ok, mais j'emploie le mot "narcissisme" dans son sens le plus commun, non pathologique. Je fais de la politique, tu fais de la psychologie. Chacun son truc."
C'est bien pourquoi je continue malgré moult déceptions vous concernant à venir sur votre blog : "vous faîtes de la politique mais vous n'en vivez pas"...
Ce qui est à reprocher à pas mal des hommes et femmes qui croient faire de la politique mais qui tout simplement en vivent en sorte de fond de commerce...
Dont plusieurs (au moins deux) saint-quentinois...