vendredi 13 novembre 2015

Droite, gauche, tous ensemble ?



Manuel Valls souhaite que les listes PS et Les Républicains (ex-UMP) fusionnent, au second tour des élections régionales, pour faire échec au Front national, notamment dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Il a raison sur deux points : tout faire pour battre l'extrême droite et dire par avance à quoi l'on s'engage (ne pas attendre, ne pas laisser l'électorat dans l'incertitude). Mais je ne partage pas sa conclusion (voir mon billet du 15 septembre, Fusion et confusion). Plusieurs raisons m'amènent à refuser ce mélange des genres :

La principale, c'est qu'une collectivité, quelle qu'elle soit, tout comme un pays, a besoin d'une majorité homogène et cohérente pour gouverner. On n'imagine pas Bertrand (droite) et Saintignon (gauche) diriger ensemble la grande région Nord-Picardie alors qu'ils se sont affrontés durant la campagne du premier tour, avec des projets différents. Car battre l'extrême droite, qui est un objectif nécessaire, ne peut pas être non plus une fin en soi.

Bien sûr, on pourrait concevoir un accord technique, pas politique, entre gauche et droite, en vue d'écarter le FN : par exemple, laisser la présidence et les vice-présidences au parti arrivé en tête, réservant un certain nombre de sièges de simples conseillers régionaux au parti en deuxième position. Bonjour l'image ! Nous reviendrions à une sorte de IVe République, à l'échelle régionale. Pour les opportunistes qui tiennent à tout prix à un strapontin, ce pourrait être séduisant, quel que soit le nom et la couleur du président. Ce serait le scénario le plus catastrophique : on chasserait ainsi les antirépublicains au profit des mauvais républicains. C'est la vieille histoire de la peste et du choléra. Mais, au final, c'est la classe politique entière qui se trouverait contaminée.

La question de fond que soulève Manuel Valls, c'est celle du bipartisme gauche/droite qui est, en France, inhérent à notre vie politique, qui structure le débat démocratique depuis deux siècles. Il n'y a que dans les scrutins très locaux, dans les villages, où il s'estompe, la dimension personnelle étant privilégiée. Pour le reste, le bipartisme est essentiel au fonctionnement de la République. On ne peut pas y toucher, y compris et surtout au niveau des grandes régions, qui sont destinées, à terme, à devenir de véritables puissances économiques et politiques.

Valls pose une bonne question, mais apporte une mauvaise réponse. A la fusion des listes, je préfère le front républicain, que je pratique sans hésitation depuis 2002 : quand, au second tour, il y a à choisir entre un candidat républicain, quelle que soit son étiquette, et un candidat d'extrême droite, je vote systématiquement pour le premier. L'embarras, c'est s'il y a trois candidats, comme il pourrait se passer le 13 décembre prochain. Alors, au lieu de la fusion des listes républicaines, il faut demander le retrait de celle arrivé en deuxième position, au profit de la première.

La précédente position est la seule possible, purement stratégique, républicaine, simple, claire, ponctuelle, sans confusion. Elle exige certes le sacrifice d'une liste, et ce n'est pas facile : ceux qui recherchent le pouvoir, pour des raisons légitimes et honorables, ne sont pas prêts d'y renoncer volontairement. Mais il faut savoir ce que l'on veut : extrême droite ou pas ? Ceux qui prendraient la responsabilité de faire gagner Marine Le Pen auraient à subir le jugement de l'Histoire et ne s'en remettraient pas. Je crois que c'est surtout cette peur que le Premier ministre a en tête, et qu'il essaie de conjurer par une solution qui me semble erronée.

Evidemment, rien ne garantit avec certitude que la stratégie du retrait fasse barrage au Front national. Valls a aussi à l'esprit qu'une liste commune à la droite et à la gauche serait plus mobilisatrice : peut-être, mais nous n'en savons rien du tout. De toute façon, si on attend des certitudes, on ne fait pas de politique, on ne fait même rien du tout. Comme toujours, l'essentiel demeure dans les convictions qu'on défend : si on estime que le FN est en danger pour la République, il faut tout faire pour qu'il échoue. Perdre la bataille des régionales en Nord-Picardie, ce serait grave, mais perdre l'honneur, ce serait pire.

Dernier contre-argument : la droite ne veut pas entendre parler de front républicain, Xavier Bertrand n'appellera pas à voter PS si celui-ci arrive en tête. Oui, je sais cela. Mais c'est son problème et sa responsabilité, pas les miens, pas les nôtres. Je sais aussi qu'en politique, les hommes changent d'avis lorsqu'ils sont poussés par des circonstances historiques. Enfin, ne soyons pas comme ces enfants qui se croient autorisés à faire quelque chose de mal puisque le petit copain a commencé. Soyons exemplaires, partons de nos convictions, ignorons les réactions de l'adversaire, même si nous voterons, le cas échéant, pour lui au second tour, lorsque le salut de la République sera en jeu.

2 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Plus aucun parti, écrivain ou intellectuel ne prend de façon audible la cause du peuple, si ce n'est à ma connaissance dans la BD, par la voix de Tardi, lui-même héritier lointain de Céline, grand chantre du peuple. Le peuple n'est plus représenté, je parle d'un peuple ayant connaissance de son histoire, d'un peuple éduqué, héritier de son histoire. Les réformes successives de l'éducation vident peu à peu la connaissance du passé, de toute substance historique ; au profit du respect de la différence, du vivre ensemble, et du projet de l'élève "acteur de son propre savoir". La notion de peuple elle-même est vidée de sa substance, puisqu'on appelle quartiers "populaires", les quartiers issus de la diversité ; qui se fichent par définition comme d'un guigne de l'histoire de France, quand ils ne la rejettent pas pour des raisons historiques bien compréhensibles. Mais peut-on faire cohabiter sous le même toit si ce n'est des cultures et des traditions différents, des histoires en conflit les unes avec les autres, des histoires en concurrence victimaire le plus souvent, où le "souchien" finit par servir de bourreau bouc-émissaire, sur l'autel de la concorde. De ce hiatus entre le peuple encore majoritairement "souchien" en perte d'identité, et ses élites, se trouve l'explication du succès du FN. Quand à l'histoire, elle jugera, oui, mais sait-on avec les catégories du passé, le jugement qu'elle rendra au futur ?
L'important n'est pas l'appartenance ethnique, mais l'histoire commune, donc la culture commune et la mémoire commune, le danger que représente la multiplicité des histoires, n'est pas un problème de racisme, mais un problème culturel, qui met en danger l'héritage historique et culturel du peuple et de la nation, et donc "in fine" le destin de la république.

Anonyme a dit…

Ce commentaire (de 17h03) est bien senti, pertinent. Sauf que ce n'est jamais l'histoire qui juge... Ce sont les hommes d'ici ou ceux de là qui se permettent de porter jugement. Il y a belle lurette qu'il n'existe plus de peuple français, il y a une population de la France bigarrée, composite, extrêmement diversifiée qui ne se résoudra pas à se souder par une simple volonté venue d'en haut ou par l'opération du Saint-Esprit. Fini tout ça !