vendredi 22 août 2014

L'échec d'une stratégie



Le départ de Jean-Luc Mélenchon de la direction du Front de gauche n'est pas à mettre sur le compte d'un tourment psychologique (stress, déception, lassitude), mais il signe l'échec d'une stratégie : celle de faire exister à la gauche du parti socialiste une alternative politique, une gauche de la gauche ou une gauche radicale, selon les termes habituels. La leçon à en tirer, c'est qu'il n'y a pas pour Mélenchon de vie possible à l'extérieur du PS, encore moins contre le PS, sauf à rejoindre l'extrême gauche pure et dure. 5 raisons peuvent être invoquées :

1- Le PCF, principal parti du Front de gauche, est lié électoralement au PS, aux réformistes, à ceux qu'on appelle aujourd'hui les sociaux-démocrates. On l'a vu aux dernières élections municipales, au grand dam de Jean-Luc Mélenchon, mais c'est de l'histoire ancienne : si le PCF était un parti révolutionnaire, voulant rompre avec le système, on l'aurait su et vu en 1945 et en 1968. A chacun de ces rendez-vous avec l'Histoire, le PCF n'a pas couru l'aventure révolutionnaire. Ce n'est pas avec Mélenchon qu'il s'y engagera en renonçant à son parlementarisme et à ses alliances électorales.

2- Les écologistes, malgré un discours parfois radical et un antisocialisme de façade (dernier épisode, le livre de Cécile Duflot, voir le billet d'hier), sont portés vers le pouvoir et vers le PS, même si ce sont des partenaires inconstants, pusillanimes, velléitaires. Les places à occuper, les responsabilités à prendre les ramènent au principe de réalité, qui veut en politique qu'en dehors du pouvoir, on ne fait rien et on n'est rien. Jean-Luc Mélenchon a toujours eu du mal à rallier les écologistes à sa cause.

3- L'aile gauche du PS, critique et turbulente, pouvait laisser espérer une implosion du parti, une fraction venant renforcer la gauche de la gauche. Mais là encore, c'est une illusion : l'aile gauche aboie mais elle ne mord pas, et le moment venu, elle retourne à la niche. C'est l'histoire du parti depuis toujours : jamais l'aile gauche n'a été en capacité d'influer sur sa ligne politique, sauf à la marge, dans les ajustements qui ne changent pas grand chose. L'aile gauche ne remporte que des victoires de congrès, lorsqu'il s'agit de se partager les postes ou d'obtenir les investitures. Pour le reste, c'est rien, seulement le gentil alibi au débat démocratique.

4- L'extrême gauche reste fondamentalement indépendante et hostile à la gauche parlementaire. A ses yeux, Jean-Luc Mélenchon, avec son long passé de socialiste, n'est qu'un électoraliste, un opportuniste, un réformiste comme les autres, pas très différent des "solfériniens" que Méluche pourtant dénonce. L'extrême gauche ne se lie à la gauche que pour des raisons tactiques, très ponctuelles et provisoires, à des fins d'instrumentalisation (on l'a vu, à un petit niveau local, à Saint-Quentin, lors de la précédent mandature municipale).

5- L'extrême droite et ses succès électoraux marquent l'échec le plus grave de la stratégie du Front de gauche, qui n'a pas réussi à arracher les milieux populaires, son électorat naturel, de l'influence du Front national. En matière identitaire, c'est une catastrophe : comment peut-on se réclamer du peuple en souffrance quand ce peuple vote Le Pen ?

Ce matin, rue des Glatiniers, je suis tombé sur cette belle affiche du PCF-Front de gauche, Jaurès tout en rouge, qui traduit bien les incertitudes idéologiques de sa stratégie. D'abord, Jaurès aurait été surpris de voir son nom associé au communisme, alors qu'il était fondamentalement réformiste, républicain, et pas révolutionnaire.

Ensuite, il y a le slogan du haut : "Quand on est de gauche ... on est du côté des salariés", qui sonne comme une évidence, qui ressemble à une tautologie : oui, et alors ? Le parti socialiste, le gouvernement sont du côté des salariés. Que le Front de gauche en reste au sous-entendu, sans effort de démonstration ni de preuve, est éloquent : on est implicite, allusif quand on est incapable d'argumenter, d'expliciter.

Enfin, cerise sur le gâteau, le slogan en bas de l'affiche : "Jaurès, réveille-toi, ils sont devenus fous". C'est qui, ce "ils" ? Décidément, le Front de gauche n'arrive pas à s'extraire de l'inconscient. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la conscience politique et historique : cette formule est reprise du soulèvement de Prague, contre les chars soviétiques, "Lénine, réveille-t-on, ils sont devenus fous". Prague 1968, c'est l'impossibilité d'un "socialisme à visage humain" comme on disait à l'époque, c'est l'échec du communisme à vouloir émanciper les peuples. Cette affiche, en vignette, relève donc d'un magnifique lapsus, s'accusant elle-même. Voilà ce qui arrive lorsqu'on joue avec l'inconscient, qu'on se refuse à s'exprimer directement et explicitement.

André Malraux disait, dans les années 60, à propos des gaullistes dont il était : entre les communistes et nous, il n'y a rien. Aujourd'hui, un socialiste peut dire, à juste titre : entre l'extrême gauche et nous, il n'y a rien. En tout cas, il n'y a plus Jean-Luc Mélenchon. Entre la social-démocratie et la révolution, il y a des rêves, des illusions, des postures, mais pas d'alternative.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous complexifiez TOUT , et faites des plans sur la comète alors que il faut laisser du temps au temps , et attendre la fin de ces universités et autres congrès d'été ... Après on devrait y voir plus clair ... Enfin un peu ...

Anonyme a dit…

très intéressant cours d'histoire politique de la gauche
cours d'histoire sur la gauche ...des extrémités... du milieu...
la gauche du passé ...
quand les hommes font de la politique ,la sociale démocratie oui à la Francaise ..'le SPD allemand '...très intéressant sujet à approfondir...

Anonyme a dit…

et la social démocratie
le SPD allemand

Anonyme a dit…

Tant qu'une majorité à GAUCHE restera obnubilée par des calculs électoraux , la GAUCHE toute entière ira dans le mur ; MITTERRAND l'avait bien compris avec le programme commun et le PC au gouvernement ; depuis on oublie et c'est de nouveau la cata ... DUFLOT et MELENCHON sont des poseurs de mines et pas des bâtisseurs de cathédrales pour un long terme solide ...
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Anonyme a dit…

"Entre la social-démocratie et la révolution, il y a des rêves, des illusions, des postures, mais pas d'alternative."
c est très inquiétant ce que vous affirmez car cela signifie que si la social démocratie échoue, alors on a plus tous qu'à se convertir au libéralisme, seule politique compatible avec le capitalisme.je vous trouve très pessimiste et volontairement effrayant pour mieux soutenir l'action du gouvernement.
Pourtant il y a une évidence, ce n'est pas la social démocratie qui est en cause et rejetée, c'est François Hollande qui depuis le début n'a jamais réussi à endosser le costume de président
tout le monde est irrité par son attitude et à gauche par son manque de fermeté pour mener les reformes.
ce n'est pas l'homme de la situation, et le portrait que nous nous aviez fait de lui avant la chute de dsk se révèle exact. Vous aviez pointé ses défauts , ils nous sont devenus maintenant insupportable.