dimanche 17 août 2014

Les fortes personnalités



Parmi les nombreux facteurs qui permettent le succès en politique, il y a le fait de bénéficier de fortes personnalités à la tête d'un parti, comme candidats à une élection. A-t-on jamais vu une victoire durable remportée par une faible personnalité ? C'est presque une évidence. Pourtant, la notion de forte personnalité n'est pas facile à définir. Trop souvent, on la confond avec la grande gueule, qui, elle, n'est pas du tout une garantie de réussite, qui parfois même est une cause de défaite. Je dirais que la forte personnalité est un mélange d'esprit libre ayant des convictions marquées, un fond d'originalité et une grande volonté.

Le problème des partis politiques, c'est que bien souvent ils n'admettent pas les fortes personnalités, quoique, paradoxalement, ce sont elles qui les amènent à la victoire. François Mitterrand, forte personnalité s'il en était, n'aurait jamais pu s'imposer au sein de la vieille SFIO, modèle d'appareil complètement rétif aux fortes personnalités. Il n'a pu s'imposer que dans un parti créé par lui et pour lui, le nouveau parti socialiste, en 1971 à Epinay. Un appareil produit des hommes d'appareil, comme la machine à moudre le café : des individus formatés, castrés, obéissants, tous ressemblants, l'exact contraire de la forte personnalité.

François Hollande est-il une forte personnalité ? Non, je ne le pense pas. En tout cas, comparé à DSK, il n'y a pas photo (Strauss, trop forte personnalité, n'est-ce pas ?). Mais Hollande est en cas unique en son genre : il n'est pas une forte personnalité par choix, par tactique. C'est le fameux "candidat normal", qui lui a valu d'être élu président, par contraste avec un Nicolas Sarkozy, plus que forte personnalité, personnalité survolté, extravagante. Se revendiquer de la "normalité" quand on veut devenir chef de l'Etat, c'est renoncer à être une forte personnalité, celle-ci n'étant jamais quelqu'un de "normal", d'habituel, d'attendu. François Hollande, c'est, durant sa campagne présidentielle, la popularité de l'anti-héros, le Dustin Hoffman de la politique française. Le problème aujourd'hui, les sondages le révèlent, encore ce matin celui du Journal du Dimanche, c'est que les Français sont en quête de héros, y compris de héros idiots, odieux et dangereux, de mauvais Don Quichotte, de faux héros : je pense bien sûr à Marine Le Pen, au succès dramatiquement grandissant.

Je ne sais pas si nous sommes entrés dans l'après-Hollande : trois ans avant une présidentielle, il ne faut jurer de rien. Mais on sent bien que le redressement de l'image sera difficile (la forte personnalité, c'est une question d'image, pas de ligne politique, celle de François Hollande étant à mes yeux excellente). En tant que socialiste, je ne peux souhaiter qu'un socialiste succède à un socialiste. Avons-nous, au gouvernement, de fortes personnalités en stock ? Pas tellement, mais un petit stock quand même, et c'est mieux que rien, sachant que les fortes personnalités ne se trouvent pas sous les sabots d'un cheval. J'en vois trois, qui correspondent peu ou prou à ma définition : Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Ségolène Royal. L'un imprime à droite, l'autre imprime à gauche et la dernière, comme Michel Jobert en son temps, imprime "ailleurs", hume l'air du temps. Voilà, selon moi, trois successeurs possibles, à condition que la succession soit ouverte, ce qui n'est pas le cas.

Dans l'Aisne aussi, nous avons nos fortes personnalités. A gauche, Jean-Pierre Balligand en est le prototype : plus de 30 ans de vie politique, pas une seule défaite dans les dents ! Pas manchot, le camarade ! Jean-Jacques Thomas, Jacques Krabal sont aussi de fortes personnalités (ce qui explique qu'il leur arrive de s'entendre mal : deux fortes personnalités, c'est une de trop !) : tous les deux ont conservé leur mairie aux dernières municipales, alors que la gauche recevait en pleine poire un tsunami électoral.

A Saint-Quentin, si la droite depuis bientôt 20 ans gagne à presque tous les coups, c'est qu'elle bénéficie des fortes personnalités de Pierre André et Xavier Bertrand, tandis qu'à gauche, ce sont les basses eaux. Un espoir : Michel Garand, dont on ne sait pas encore très bien ce qu'il va donner, quel leader il sera. Dans le doute, tout est possible. Contrairement aux légendes, la forte personnalité ne l'est pas au berceau, dans les langes, en sortant du ventre de sa mère : une personnalité se construit, c'est un travail de forgeron. Après tout, avant 1995, Pierre André n'était pas la forte personnalité qui s'est révélée par la suite. Alors, pourquoi pas, dans l'opposition, en chef de guerre comme je l'avais souhaité, Michel Garand ? A la rentrée, jusqu'en décembre, il y aura, c'est, de mémoire, assez exceptionnel, quatre séances du conseil municipal, quatre occasions pour les quatre élus socialistes de faire leurs preuves, de se distinguer, de nous étonner, de nous enthousiasmer : bref, de faire surgir, dans le feu de l'opposition à Xavier Bertrand, de fortes personnalités.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"Un appareil produit des hommes d'appareil, comme la machine à moudre le café : des individus formatés, castrés, obéissants, tous ressemblants, l'exact contraire de la forte personnalité."
Personne n'aurait pu faire un aussi bel autoportrait de vous.

Emmanuel Mousset a dit…

J'aimerais que vous ayez raison, je n'en serais pas là où j'en suis ...