jeudi 28 août 2014

Banquier, socialiste et philosophe



La nouveauté du gouvernement, c'est lui, dont tout le monde parle aujourd'hui. A ma grande honte, je ne connaissais pas son nom il y a deux jours. A star is born, c'est sûr. Jacques Attali le voit même en futur président de la République ! C'est Emmanuel Macron, ministre de l'économie et inspirateur, depuis le début du quinquennat, de la politique Hollande. Moi aussi, je suis emballé par le personnage, qui pourrait bien devenir le mentor, l'intello de la social-démocratie (ou du social-libéralisme, appelez ça comme vous voulez, je m'en moque).

C'est un charmant petit monstre, comme Mauriac le disait de Françoise Sagan (rien à voir, mais l'expression me plaît) : banquier, socialiste et philosophe, ne cherchez pas l'erreur, il n'y en a pas. Sauf pour Marie-Noëlle Lienemann, qui va tourner en bourrique avec cette nomination. Il y a quelques mois, l'égérie de l'aile gauche socialiste disait de Macron et de ses semblables : "Ils font tous leur passage par la banque Rothschild. Ces gens-là n'aiment pas la tradition française, ils n'aiment pas l'Etat". Macron, mauvais Français, faux socialiste, grande finance internationale, famille Rothschild ? C'est une sale petite musique, que celle-là.

Emmanuel Macron est un trentenaire, comme la nouvelle ministre de l'Education nationale, comme la nouvelle ministre de la Culture. C'est une génération qui ringardise Arnaud Montebourg et les fameux quinqua ou quadra. Question style, l'ancien maître de Bercy est has been : lyrisme ampoulé, gesticulations d'avocaillon, marinière ridicule, playboy des supermarchés chanté par Jacques Dutronc, antimondialisme décalées dans un gouvernement réformiste. Il va falloir nous habituer, avec Macron, à un nouveau style.

A la différence de Pierre Moscovici ou d'autres sociaux-démocrates, Emmanuel Macron n'est pas un sévère technocrate. Il y a une part romanesque en lui : tomber amoureux de sa prof de lettres, de 20 ans son aînée, et l'épouser, ce n'est pas banal. Et puis, Macron est de chez nous, un Picard d'Amiens, qui est entré par alliance dans l'emblématique famille Trogneux. Il a passé sa scolarité à La Providence, chez les Jésuites, là où nos bons bourgeois de Saint-Quentin envoient leurs gamins. Les Jèzes, ça forge un homme.

Mais j'en viens à ma partie, la philo. Banquier et philosophe, il y a quelque chose qui cloche ? Mais non, préjugé ! J'en appelle à mon maître, mon philosophe de chevet, Frédéric Nietzsche : "Un banquier qui a fait fortune a une partie du caractère requis pour faire des découvertes en philosophie, c'est-à-dire pour voir clair dans ce qui est". C'est dans son fameux ouvrage "Par-delà le bien et le mal" (partie 39). Mais cette formule est reprise à Stendhal. "Voir clair dans ce qui est" : quelle belle définition de la philosophie et de l'action politique ! Finance ou philosophie, dans les deux cas, c'est de la spéculation. Le réel, c'est le pouvoir et le fric : le reste, c'est du discours, de l'illusion, de la littérature.

Le parcours philosophique d'Emmanuel Macron mérite qu'on s'y arrête, pour en deviner le sens. Il a fait sa maîtrise sur Machiavel : on est en plein coeur du pouvoir, du politique et du réalisme ! Mais en même temps, le philosophe italien est un grand républicain, ce qui est assez rare au XVe siècle.

Ensuite, Macron a consacré sa thèse de DEA (Diplôme d'études approfondies)au "fait politique et la représentation de l'histoire chez Hegel". Politique et histoire vont ensemble, et ce sont les préoccupations intellectuelles de notre jeune ministre de l'économie. Il s'est choisi comme directeur de travail Etienne Balibar, que j'ai eu comme prof, en épistémologie, à la Sorbonne, et qui a été, dans les années 60, le jeune assistant à Ulm du philosophe marxiste pur et dur Louis Althusser. Macron, dans sa formation philosophique et ses rencontres intellectuelles, évolue à gauche.

Il deviendra lui-même assistant de Paul Ricoeur, une référence dans le métier, un penseur contemporain, chrétien, protestant (un christianisme qui, on le sait, à la différence du catholicisme, ne stigmatise pas l'argent et le profit). Il collaborera à son ouvrage "La Mémoire, l'oubli et l'histoire", où l'on retrouve donc le souci historique d'Emmanuel Macron.

Décidément, Macron, ce camarade qui m'était inconnu jusqu'à présent, a tout pour me plaîre. Jusqu'à son prénom, qui est le plus beau du monde ... Delors et Rocard sont à la retraite, DSK et Cahuzac ont été disqualifiés : allons-y donc pour Emmanuel Macron, nouvelle référence de la pensée social-démocrate ! Et puis, avec un philosophe, un sage, nous ne devrions pas avoir de mauvaises surprises, pulsion effrénée ou compte secret : il est normalement au-delà du sexe et de l'argent, comme Nietzsche se voulait "par-delà le bien et le mal".

4 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Oui, le réel c'est le pouvoir et le fric, mais tu oublies... le sexe, la troisième dimension qui donne au réel son relief, sa vie. Le sexe sans lequel la logique de domination ne pourrait pas s'établir, sans lequel argent et pouvoir, coupés de leur stimulant, en deviendraient absurdes, et n'auraient plus assez d'effet sur les imaginations les plus crédules. Il faut se méfier des hommes puritains, pour lesquels ne comptent que l'argent et le pouvoir, ou pire encore, seulement le pouvoir, ils sont encore plus méchants. Montebourg le libertin, contre Macron le puritain.

Emmanuel Mousset a dit…


Je ne vois pas en quoi Macron est puritain, ni ce qui fait de Montebourg un libertin. Ce sont des affirmations pour le seul besoin de ta démonstration.

Erwan Blesbois a dit…

Dans Montebourg, il y a "monter" et "bourrer", si avec ça on n'est pas libertin! Dans Macron, il y a "marre" des "cons"(vagins), si avec ça on n'est pas puritain ! C'est un peu tiré par les cheveux, je le reconnais.

Emmanuel Mousset a dit…

Je suis ni libertin, ni puritain, mais très tolérant, mon cher Erwan, pour publier ce genre de commentaire.