dimanche 21 août 2016

Et un, et deux, et trois, et quatre



A l'heure où je rédige ce billet, Arnaud Montebourg n'a pas annoncé sa candidature à la primaire socialiste. Mais sa décision ne fait aucun doute et sera officialisée ce dimanche. Vu de l'extérieur, la chose peut paraître étrange : quatre candidatures de ce qu'on peut appeler l'aile gauche du Parti socialiste, dans ce qu'on peut qualifier de primaire de la primaire ! Sans compter, sur le même créneau politique, la contestation de la social-démocratie, deux autres possibles candidates : Martine Aubry, qui dit non, mais dont la versatilité bien connue peut la conduire plus tard à dire oui ; Christiane Taubira, parce que son esprit poète et lyrique la rend imprévisible, parce que la gauche du Parti la porte dans son cœur.

Etrange, cette multiplication des candidatures : qu'est-ce qui distingue politiquement Gérard Filoche, Marie-Noëlle Lienemann et Benoît Hamon, les trois qui pour le moment ont fait acte officiel de candidature ? Autant que ce qui distingue François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron, c'est-à-dire pas grand-chose. Mais ces trois champions de la social-démocratie ne sont pas candidats et, à mon avis, ne le seront pas les uns contre les autres, à la différence des 3 ou 4 champions de l'aile gauche, du socialisme maintenu. D'où vient cette différence de comportement politique ?

Non pas des idées en elles-mêmes, mais de ce que j'appelle la culture minoritaire, qui est aussi une psychologie, une mentalité, une manière d'être. S'il y avait 10 courants à la gauche du Parti, il y aurait à coup sûr 10 candidats ! Pourquoi cette apparente absurdité, qui est comparable à ce qui se passe chez les trotskistes, qui ont trois candidats à la plupart des présidentielles (NPA, Lutte ouvrière et lambertiste) ? C'est que, dans la culture minoritaire, on ne songe pas vraiment à se présenter pour gagner, mais pour témoigner (trotskistes) ou pour peser (aile gauche du PS), quitte à se retirer quand on a obtenu ce qu'on souhaite. Qui peut croire que Gérard Filoche a envie et a la possibilité, même minime, de devenir président de la République ? Lui-même en rit sûrement ...

Mais peser en vue de quoi ? Hamon et Lienemann ont un faible poids, savent bien que leur influence est très restreinte. Une fois Hollande investi, ou tout autre candidature social-démocrate, le programme de campagne sera social-démocrate et ne bougera pas à gauche d'un millimètre, Hamon et Lienemann ont suffisamment d'expérience et d'intelligence pour le savoir. Et pourtant, ils se portent candidats ! La raison est vieille comme la culture minoritaire : c'est leur seule façon d'exister politiquement, ils n'ont pas d'autre choix, la candidature ou la mort.

Une autre raison, plus prosaïque, éclaire ce choix qui parait suicidaire, mais qui est motivé, rationnel : n'importe qui se présentant à n'importe quelle élection fera toujours des voix, qui peuvent toujours se monnayer le moment venu. C'est bien sûr de la petite monnaie, mais un sou est un sou. Et pour acheter quoi ? Des places. Où ça ? Là où il y a des places à prendre, et en politique, il y en a toujours. Et quand il en manque, on les invente. Des places dans l'organigramme du Parti, qui est touffu comme le feuillage d'un chêne ; des investitures pour les prochaines élections, et là nous parlons d'or ; d'éventuels portefeuilles ministériels en cas de victoire présidentielle, mais là, c'est le jackpot, le saint des saints, qu'il ne faut évoquer que dans un silence religieux.

Qu'on me comprenne bien : une candidature de l'aile gauche du Parti à la primaire de décembre est non seulement légitime, mais je la crois souhaitable. Le socialisme de Filoche, Lienemann, Hamon et Montebourg n'est pas du tout le mien, mais il est respectable et estimable, il apporte quelque chose de précieux et d'indispensable à gauche, il contribue au débat d'idées, qui est profitable à tous, y compris aux sociaux-démocrates, il permet de faire évoluer certaines positions, puisque nul ne peut prétendre à la vérité absolue.

Ce n'est donc pas contre ce socialisme historique, très différent et même opposé à la social-démocratie, que je rédige ce billet, c'est contre la culture minoritaire qui le porte, qui a recours au rapport de forces par faiblesse, qui se montre intransigeante pour finir dans l'opportunisme, la tactique interne et le calcul électoral (c'est Guy Mollet et la SFIO finissante). C'est aussi parce que j'ai vécu de près, à Saint-Quentin, les conséquences collectives de la culture minoritaire, de laquelle je me sens complètement étranger.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ça se bouscule à droite et à gauche et ça rappelle ce que disait De Gaulle quand il évoquait sa succession : après moi ce ne sera pas le vide mais le trop-plein

Emmanuel Mousset a dit…

La nature a horreur du vide, y compris en politique.