vendredi 5 août 2016

Chevènement toujours vivant



Le gouvernement a pensé à Jean-Pierre Chevènement pour présider la Fondation pour l'islam de France, qui doit réfléchir au financement du culte musulman. C'est un choix qui peut paraître surprenant : sans remettre en cause les capacités de l'ancien ministre, on pouvait sûrement trouver, pour ce poste, quelqu'un de plus jeune, de plus connu, de plus représentatif, un spécialiste de l'islam par exemple.

Qui se souvient de Jean-Pierre Chevènement ? Tout passe si vite aujourd'hui, la mémoire ne remonte plus très loin dans le temps. Qui se souvient que dans les années 70, au Parti socialiste, Chevènement incarnait l'aile gauche, qui se disait alors marxiste ? Qui se souvient qu'il a été, dans les années 80, l'un des premiers socialistes à se lever contre François Mitterrand, en se faisant le défenseur de "l'autre politique" ? Qui se souvient qu'il est parti du gouvernement, qu'il est revenu, qu'il a été plusieurs fois ministre ? Qui se souvient qu'après un grave accident, à la fin des années 90, Chevènement a fait figure de "miraculé" ? Qui se souvient qu'en 2002 il a sérieusement menacé Lionel Jospin lors de l'élection présidentielle ?

Jean-Pierre Chevènement, c'est toute une riche histoire politique, qui ne dit peut-être plus grand chose aujourd'hui. Alors pourquoi lui, et pas un autre ? Je crois que ce choix vérifie trois constantes dans une existence politique :

1- Il n'y a pas d'âge pour faire de la politique, pas de retraite. Michel Rocard donnait un long d'entretien à la presse, prenait encore position à quelques jours de sa mort. Jean-Pierre Chevènement a 77 ans, mais il pourrait en avoir 57 ou 37 : ça ne changerait rien. La politique est une activité dans laquelle on a le sentiment d'être immortel, où la vieillesse n'a pas prise. Je pense à ce roman de Simenon, "Le Président", dont Henri Verneuil a tiré un film, avec Jean Gabin : un ancien président, retiré des affaires depuis longtemps, tente d'exercer encore une influence, de jouer un rôle dans l'actualité politique et y parvient. Il n'y a que la mort qui fasse cesser l'action politique. Et encore ! L'homme politique fait parler de lui longtemps après son décès, sert de référence ou de repoussoir.

2- La politique est une question d'image, de représentation. Chevènement, aujourd'hui, n'a plus de parti, n'exerce aucune influence apparente. Mais il a derrière lui tout un passé et il incarne encore aujourd'hui quelque chose, on retient de lui la figure du républicain (sans doute plus que du socialiste). Se forger une image, une notoriété, une réputation, aussi limitées soient-elles, ce n'est pas rien : Chevènement, à sa façon, y est parvenu. Ce n'est pas tant lui que le gouvernement a choisi mais ce qu'il représente. Faire de la politique, c'est laisser une marque, une trace : c'est ce que Chevènement a réussi. Son sillon a été creusé, en 50 ans de vie publique.

3- On peut être d'accord ou pas avec Jean-Pierre Chevènement, on ne peut pas nier qu'il est un homme d'idées, d'actions et de décisions. Qu'est-ce que c'est, finalement, que la politique ? Avoir des idées et tenter de les mettre en œuvre, d'une façon ou d'une autre. Ca ne réussit pas toujours, peut-être même rarement, mais l'intention et la volonté sont là. Je crois que faire de la politique, c'est tout simplement faire, prouver qu'on est capable de réaliser quelque chose, d'être utile. Le drame en politique n'est pas d'échouer, mais d'être inutile. A ce nouveau poste, s'il est confirmé, je suis persuadé que Jean-Pierre Chevènement apportera, une fois de plus, toute son énergie et toute son intelligence.

La politique, c'est aussi de la tactique. Je ne peux pas m'empêcher de voir une forme de malice dans le choix de François Hollande : mettre à la tête d'un organisme chargé de réfléchir au financement d'un culte un républicain et un laïque sourcilleux, c'est-à-dire quelqu'un qui est plutôt hostile, en vertu de la loi de 1905, à ce genre d'initiative ! Le cas de figure n'est pas nouveau pour Jean-Pierre Chevènement : en 1984, alors que le gouvernement socialiste renonce à unifier l'Ecole et plie devant la protestation massive de l'enseignement privé, qui est nommé ministre de l'Education nationale pour gérer les conséquences de cet abandon ? Le très laïque et très républicain Chevènement, qui revient au gouvernement juste un an après l'avoir quitté. François Mitterrand était très fort dans les nominations à contretemps et à contre-emploi. A cette époque, un de ses conseillers à l'Elysée s'appelait François Hollande, qui s'en souvient peut-être encore aujourd'hui. Nous oublions tout ; il n'y a que les hommes politiques qui n'oublient pas.

3 commentaires:

citoyen a dit…

ce choix du "Che"est en effet une surprise et pour les plus jeunes on peut rappeler que c'est à lui qu'on doit le fameux: un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne.( ce qu'il a fait mettant en accord ses paroles et ses actes..ce qui n'a pas manqué à l'époque de faire jaser sur le "Ché"' et son éternel retour)
Dans le gouvernement actuel quelques uns devraient parfois s'en inspirer non? je ne serai pas un délateur et je ne donnerai pas de nom ( au singulier volontairement)

T a dit…

Que ce soit JPC ou un autre qui soit en responsabilité de ce nouveau comité "Théodule", pas question que l'état finance une religion. C'est déjà un scandale que ce soit le cas sur certains territoires de notre République.

Anonyme a dit…

Sinon pour l'organisation de l'Islam en France on peut demander l'avis aux musulmans ? (C'est juste une idée, comme ça).