mercredi 20 avril 2016

L'affiche rouge



Sur l'affiche de la CGT dénonçant les violences policières, que dire qui n'ait été dit ? Consternant, accablant, irresponsable, condamnable ... Le rejet a été quasiment unanime. Même le NPA n'aurait pas osé cette affiche-là, qui est violente dans sa dénonciation de la violence. Qu'est-ce qui a pris la CGT de faire ça ? Car le plus étonnant est là : cette affiche ne lui ressemble pas du tout. Ce grand et respectable syndicat a toujours pris soin de se démarquer, avec raison, de toute forme de gauchisme, se montrant souvent intraitable avec ses représentants. Alors, que se passe-t-il ? La CGT nous joue un très mauvais CRS-SS, qui n'est plus de notre temps.

L'explication est sans doute dans la radicalisation de la scène politique. Tout propos modéré aujourd'hui passe mal. De ce point de vue, la montée de l'extrême droite a radicalisé plus ou moins toutes les familles politiques. Nuit Debout est une illustration de cette radicalité. A l'intérieur même du PS, les frondeurs surfent sur la surenchère. Emmanuel Macron, qui n'est pourtant pas un jusqu'au-boutiste, a martelé plusieurs fois dans le discours de lancement de son mouvement qu'il était favorable à des réformes radicales. La CGT n'échappe pas à ce phénomène de radicalisation, d'autant qu'elle est concurrencée sur sa droite par la CFDT et sur sa gauche par SUD et qu'elle pourrait bien perdre son titre de premier syndicat de France aux prochaines élections professionnelles. Que l'affaire de l'affiche surgisse à l'ouverture de son congrès n'est pas indifférent.

Ce petit scandale l'est d'autant plus qu'il contraste avec l'image qu'on se fait de la police depuis les attentats de l'an dernier. Les temps ont bien changé : l'anarchiste Renaud chante qu'il a embrassé un flic et les manifestants du 11 janvier 2015 applaudissaient la police, du jamais vu dans notre histoire. Ce nouveau rapport à la police est d'ailleurs étrange et ambigu : pour ma part, présent dans le défilé parisien, je n'ai pas applaudi au passage des cars de CRS. Outre le fait que les applaudissements ont tendance à se généraliser dans notre société (on applaudit dans les églises, dans les cimetières, après les minutes de silence et à tout moment dans les émissions de télévision), je ne vois pas pourquoi on applaudirait des fonctionnaires qui ne font que leur métier. Est-ce que j'attends des élèves ou de leurs parents qu'ils m'applaudissent à la fin d'un cours ? L'applaudissement en faveur d'une police qui accomplit ses missions me semble inapproprié. A ce compte-là, qui ne va-t-on pas applaudir ?

Qu'est-ce qui explique ce comportement inédit de la part de nos concitoyens, maintenant si prompts à battre des mains ? Je crois que c'est ce sentiment de peur, d'un peu toute chose, qui a gagné l'opinion publique depuis quelques années, obsédée par sa propre sécurité. Nos nouveaux anges gardiens, ce sont les CRS et les flics ! Cette évolution de leur image est ambivalente. Nous aimons les policiers pour ce qu'ils ne sont pas : des protecteurs. Or, leur métier, c'est la répression. Et ça, nous avons du mal à l'accepter. Lors des récentes manifestations lycéennes, les réseaux sociaux se sont indignés d'images de CRS frappant des jeunes gens. Le maintien de l'ordre est à ce prix. Un CRS ne sera jamais ce que nous rêvons de lui, infirmier, éducateur ou assistante sociale. Comme un enseignant doit gueuler et punir si nécessaire, un CRS doit charger et matraquer quand il le faut.

A bien y réfléchir, l'affiche polémique de la CGT doit moins à un gauchisme passé de mode qu'à une sensibilité très actuelle : l'injonction au respect, qui interdit de crier ou de lever la main sur quiconque, sauf à provoquer un scandale. Si cette affiche est excessive, outrancière, hyperbolique, c'est qu'elle nous dit qu'on ne peut aujourd'hui toucher à personne, et surtout pas à nos chers petits. Total respect, comme disent les jeunes. Mais le respect n'est pas la vie, et encore moins la justice. Pour ma part, j'estime qu'on ne peut respecter que les gens respectables : aux autres le mépris, la paire de claques ou la matraque.

Il y a quelques semaines, j'ai accompagné mes classes au forum des carrières et des formations, au palais des Sports de Saint-Quentin. La police tenait un stand. Une de mes élèves s'est informée. La policière de service, pour connaître ses motivations, a demandé à l'élève quelle idée elle se faisait du travail de policier : "secourir les victimes", a-t-elle répondu. Non, a corrigé la policière : "pourchasser les coupables". Je n'ai pas applaudi, mais le cœur y était.

6 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Les policiers objectivement sont des prolétaires, mais ils sont au service du grand capital, ils en sont les chiens de garde. Les policiers sont des victimes que leurs maîtres n'hésitent pas à traîner dans la boue, à la moindre "bavure". Ils sont lâchés sans scrupules par leurs maîtres et mis en examen à la moindre peccadille, pour calmer la colère populaire qui se trompe de cible. Il ne faut pas se tromper d'ennemi, les flics sont de la même classe sociale que les classes laborieuses, et que les jeunes sans emplois ou en emplois précaires. Les flics servent de défouloir à toutes les frustrations sociales qui ne cessent de s'accroître. Retenons bien ce chiffre, les 62 personnes les plus riches du monde possèdent autant que 50% de la population mondiale, soit 62 personnes possédant autant que 3,5 milliards de personnes ; et les 1% des personnes les plus riches possèdent désormais plus que les 99 % restants. Plus qu'hier et moins que demain... Les plus riches de la planète le sont de plus en plus. Cela ne peut plus durer, car cela met en outre en péril l'équilibre écologique de la planète, car pour faire du profit les 1 % ne reculent devant aucun tabou, aucun respect de la nature, de l'environnement, aucun respect évidemment des êtres humains. C'est cet état de fait qui est responsable de la perversion à l'œuvre dans les rapports humains. Mais retenons que les policiers ne sont que des prolétaires qui jouent le rôle de chiens de garde, et pour qui leurs maîtres bien à l'abri, n'ont que mépris, comme pour tout le reste de l'humanité d'ailleurs, les maîtres se jouent du citoyen lambda, avec un ricanement de cynisme. C'est le libéralisme qui est criminel, le grand patron ou grand actionnaire lambda doit regarder les pauvres taper sur d'autres pauvres, alors qu'il est bien à l'abri, avec un grand ravissement dans son cœur, voire une petite pointe de sadisme et de jouissance perverse.

Philippe a dit…

«Comme un enseignant doit gueuler et punir si nécessaire, un CRS doit charger et matraquer quand il le faut. »
On parle de ci de là de droitisation de la société française (en général). Bien entendu notre pays n'est pas le seul atteint par cette évolution.
Finalement il n'y a que des parcours individuels plus ou moins rapides sur le chemin de la droitisation.
Une majorité de citoyens prend cette direction tout en jurant qu'il n'en est rien !
MLP sera bientôt de gauche et JMLP gauchiste, j'espère que cette tendance n'ira pas plus loin.
Simple constat dénué de toute considération morale, en politique il n'y a pas de morale.

A a dit…

"l'anarchiste Renaud" ?
Il est pourtant plutôt bien conformiste avec le pognon ce pseudo-anarchiste là...
On est loin, très très loin de Ravachol...

Anonyme a dit…

"Pourchasser les coupables", cette policière fait fi de la présomption d'innocence

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, mon con : les policiers vont arrêter de pourchasser les voleurs, parce qu'ils sont présumés innocents.

E a dit…

"Or, leur métier, c'est la répression" ?
Tiens, tiens, j'avais appris à l'école que la police, la gendarmerie, c'était l'auxiliaire de la justice en particulier et le bras armé du pouvoir en général.
Conception intéressante d'une justice répressive et d'un pouvoir tout autant répressif.
En espérant que cette conception ne soit pas exhaustive des attributions policières.