mercredi 6 avril 2016

La maladie infantile de la gauche



Profession oblige, j'ai plusieurs ouvrages de Marx dans ma bibliothèque, mais un seul de Lénine : "Le gauchisme, maladie infantile du communisme", que je relis régulièrement, surtout quand l'actualité m'y pousse. Tout n'est pas bon à prendre dans ce court livre paru en 1920, mais l'inspiration générale est intéressante, à condition de la retranscrire dans le contexte contemporain. Le communisme en particulier, mais aussi la gauche en général, sont victimes d'une maladie régressive et dégénérative : le gauchisme, qui conduit à l'impuissance et à la mort, parvenu à son stade final. La thèse s'applique parfaitement au mouvement qui se déploie en ce moment sur la place de la République à Paris, appelé "Nuit debout", et amplifié par le succès du film "Merci patron".

Qu'est-ce que le gauchisme ? Un état d'esprit, une forme de culture, à distinguer de l'extrême gauche organisée et idéologique. Il présente trois caractéristiques :

- Le spontanéisme : rien n'est prévu, anticipé, finalisé, rationalisé. Ce sont les réactions de la foule qui prévale. Le gauchisme fonctionne au sentiment, au coup de gueule. D'où le succès de l'indignation dans ses rangs. Ce primat de l'émotion colle complètement à notre époque.

- Le basisme : c'est le règne des simples citoyens. Les étiquettes partisanes ou syndicales sont mal vues. On est prié de les laisser au vestiaire. La colère est jugée ici bonne conseillère. Là encore, un élan qui est censé contester la société se trouve en réalité en phase avec son individualisme profond.

- L'autonomie : partis, organisations, élus, tous ne sont pas bien considérés. A peine accepte-t-on les associations. Le gauchisme campe aux marges de la République, qu'il ne considère pas comme démocratique. Il vit sa propre vie.

Face au gauchisme, un socialiste ordinaire, y compris social-démocrate, estime que ce mouvement est sympathique, parce qu'il y reconnaît des valeurs qui sont les siennes, mais surtout parce que ça ne mange pas de pain. C'est un léger tort : il faut se montrer plus critique, plus rigoureux. Lénine attaquait durement le gauchisme de son temps ; soyons à notre tour sévère avec le gauchisme de notre époque. Pour ma part, j'ai trois reproches à lui faire :

- Il n'est pas représentatif de la société, contrairement à l'expression du suffrage universel. Il se prétend populaire alors qu'il ne l'est pas. Si j'avais la méchanceté de Lénine, je le qualifierais de phénomène petit-bourgeois. En tout cas, les quelques centaines de débatteurs place de la République, c'est une tête d'épingle, comparées à la masse des citoyens électeurs.

- Le gauchisme n'est pas démocratique parce qu'il n'est pas contradictoire, malgré les apparences et les intentions. En gros, les membres de "Nuit debout" partagent les mêmes convictions, même s'ils peuvent diverger sur les solutions. Le vote à mains levés n'est pas lui non plus démocratique. Les choix qui résultent de ces pseudo-assemblées n'en sont pas véritablement. Contre ce semblant de démocratie, je défends mordicus le système parlementaire, les élections nationales, les campagnes pluralistes, les partis politiques qui constituent, seuls, la véritable démocratie.

- Enfin, et c'est peut-être le reproche le plus fort, le gauchisme ne débouche sur rien, n'accouche d'aucun projet, ne change pas la situation. O rage, ô désespoir : c'est son unique issue. C'est pourquoi le gouvernement aurait tort de s'en inquiéter. C'est tout au plus une force de nuisance à la marge, mais rien de révolutionnaire (c'est pourquoi Lénine et l'extrême gauche ne s'y retrouvent pas). Au pire, il ne peut que se terminer dans la violence.

Avec "Nuit debout", nous sommes très loin d'un soulèvement à l'image de Podemos en Espagne. Les médias lui donnent une certaine existence, qui ne durera pas. C'est une resucée qui n'a pas forcément bon goût. En même temps, c'est une maladie inévitable de la gauche, comme la varicelle ou les oreillons chez les enfants. Une partie de la gauche, déboussolée, retombe en enfance, est en quête de pureté, de virginité, d'innocence. L'histoire de la gauche est parsemée de ces séquences régressives, qui donnent l'occasion à certains d'un bain de jouvence pour leurs vieux os. Mais la gauche adulte, qui assume sa croissance et n'a pas peur de bien vieillir, s'en passe facilement.

5 commentaires:

Philippe a dit…

La maladie non pas infantile mais la maladie signe d’immaturité n'est ni de gauche ni de droite ni d'ailleurs.
C'est celle qui consiste à s'en remettre à un seul homme/femme.
C'est malheureusement la maladie devenue mortelle de la 5ème république !
Les humains adorent s'en remettre à …… et buller ! Mais le réveil peut être désagréable !

Maxime a dit…

Excellente analyse. Les indignés de la République disparaîtront je l'espère prochainement. Ce ne sont que des rêveurs qui se disent contre un système qui de toute façon ne peut pas être amélioré...

Bil36 a dit…

@maxime : je dirai plutôt contre un système qui ne DOIT pas être amélioré car çertains s'en mettent plein les fouilles ! Détrompez vous et ne sous estimez pas le fait qu' un soulèvement populaire a permis le départ du plus illustre gouvernant de la cinquième république. Les gens ne manifestent pas par plaisir et le mouvement est d'autan plus dangereuse que la contestation contre le système devient maintenant européenne (cf le référendum en Angleterre, Hollande, les manifestants belges...)

Anonyme a dit…

Comparaison n'est pas raison! C'est une facilité voire une paresse intellectuelle de comparer "Nuit Debout" avec un quelconque gauchisme en tant que maladie infantile du communisme à laquelle Monsieur Mousset se livre. Déjà il nous avait expliqué son incompréhension du phénomène espagnol" Podemos", pour lequel il devait lire le livre de Christophe Barret "Podemos, pour une autre Europe", fruit de son esprit très franco-français.
Il ne sait pas que les Français dont les aspirations démocratiques ont été bafouées par le traité de Lisbonne, clone d'un traité rejeté par le peuple Français le 29 mai 2005 et néerlandais le 1er juin suivant. Il serait mieux inspiré de réfléchir pour quoi à chaque fois qu'un peuple de l'UE est consulté à propos de celle-ci son vote est négatif comme celui qui vient d'avoir lieu, hier le 6 avril. Les peuples ont parfaitement et mieux compris que Monsieur Mousset que l'UE est rétrograde par son fonctionnement et par les politiques qu'elle impose. Son parti "socialiste" accepte cette Europe-là d'où tous ses échecs électoraux depuis 2012 et le probable l'an prochain comme dans tous les pays de l'UE. L'oligarque Emmanuel Macron peut toujours bien créer son particule qui n'intéresse que les médias dont il est la coqueluche mais pas les électeurs de gauche.

Anonyme a dit…

Pour se rassurer à bon compte Emmanuel Mousset ressort des vieilleries datant d'un siècle déjà ce qui lui permet d'éluder les causes réelles de "NuitDebout". Je l'invite à lire "Pour comprendre le malheur français" de Marcel Gauchet et "Malaise dans la démocratie de Jean-Pierre Le Goff. Ces 2 livres du XXIè siècle me semblent bien plus pertinents que les écrits d'un homme du XIXè siècle, fût-ce Lénine. Il y a des gens qui se croient modernes mais qui sont déjà vieux dans leur tête tel le titulaire de ce blog.