vendredi 15 avril 2016

Hollande et les braves gens



On les appelle "les vrais gens". Brassens les appelait "les braves gens". Eux-mêmes se qualifient de "simples citoyens". Les médias en sont très friands, surtout pour les confronter à quelqu'un qui n'est ni "vrai", ni "brave", ni "simple" : un homme politique. Et quand celui-ci est le premier d'entre eux, le président de la République, l'échange est très attendu. C'était hier soir, à la télévision, beau comme un titre de film de Claude Lelouch : François Hollande et les braves gens.

J'ai écouté, j'ai noté, j'ai jugé. Ces braves gens, ce sont des allégories vivantes : la cupidité, l'arrogance, le fanatisme et le mensonge, puisque les invités étaient au nombre de quatre, face à l'auguste personnage. C'était plus qu'une émission politique : une fable de La Fontaine, une leçon de vie. Car les braves gens sont la pure expression de la vraie vie, alors que le chef de l'Etat est dans les hauteurs célestes de la grandeur nationale. Passons-les en revue :

La cupidité : elle a pris la figure avenante et souriante d'une jeune femme, chef d'une petite entreprise, qui reproche à François Hollande d'utiliser le mot de "patron", "par idéologie" dit-elle. Après le registre lexical, la dame, toujours souriante, sûr d'elle-même, de son bon droit, accuse Hollande de ne rien faire pour faciliter l'embauche. Elle, femme vertueuse, est prête à recruter, des dizaines de gens, mais on ne l'aide pas, soutient-elle, sans se départir de ce sourire qui retient à peine son sentiment de supériorité. Mais pourquoi ? Parce qu'elle ne veut que des CDD et des stagiaires, à tire-larigot, au mépris de la législation sociale. L'intérêt des salariés ? Ce n'est pas son problème. La loi El Khomri ? Ca ne lui convient pas du tout, puisqu'elle facilite les CDI. Quand on entend ça, on comprend soudain pourquoi on est de gauche, et pourquoi Hollande l'est aussi.

L'arrogance : là aussi, le sourire est présent, qui fait mieux passer le sentiment qu'on porte en soi, le mépris qu'on éprouve envers l'Etat et son représentant. Cette femme pourtant souffre d'un grand malheur, dont elle devrait faire le deuil en privé, dans la douloureuse pudeur, sans l'exposer à des millions de personnes : son fils est mort au djihad. Sa tragédie est rare : quelques centaines de Français seulement partent en Syrie. Le sujet ne méritait absolument pas d'être abordé dans ce type d'émission. Mais il est émotif, dramatique, médiatique. Que fait cette femme ? Elle accuse les autorités publiques de n'avoir rien fait, mais on est très loin de Zola. A aucun moment, dans sa tragédie personnelle, elle ne se remet en cause, elle ne se sent, rien qu'un peu, responsable de quoi que ce soit. Pourtant, cet enfant, elle l'a mis au monde, elle l'a éduqué. Par quel outrecuidance vient-elle demander des comptes au chef de l'Etat ? Et puis, ce fils, cet homme qui a rejoint une armée de tueurs, qui est lui-même devenu un tueur, qu'elle ne compte pas sur moi pour que je le considère comme une victime, à la mode d'aujourd'hui. Ma compassion, je la réserve à des gens plus méritants, et je n'oublie pas Charlie et le Bataclan. La donneuse de leçons n'a aucun effet sur moi.

Le fanatisme : les braves gens qui sortent du peuple sont encore plus braves que les autres. C'est leur impunité spécifique, c'est le cas pour ce chauffeur de bus, qui travaille dans notre région et dont l'intervention aura fait chaud au cœur de Jean-Jacques Thomas, le maire d'Hirson, dont la petite ville aura été citée par deux fois dans cette grande émission nationale. Pour le reste, le gaillard n'est que le facho de service. Est-il de la gauche déçue et cocue ? On le présente ainsi, parce que ça fait bien, parce que c'est prévu au casting. En réalité, quelqu'un qui a voté Sarkozy en 2007 et Le Pen en 2012 ne répond pas exactement à l'idée que je me fais d'un homme de gauche. Que veut-il, celui-là ? Que l'on renvoie les migrants de Calais, qu'on arrête de les soigner, de les loger et surtout qu'on ne leur verse plus les 11 euros et quelques, journaliers. Cette somme-là, qui va aux malheureux, il l'a au travers de la gorge, elle ne passe pas, il la répète, il la voudrait pour lui, dans sa poche. Et comme si ça ne suffisait pas, il tente de nous faire pleurer sur sa pauvre mère, dont la situation exacte nous est inconnue, et qu'il garde bien de nous détailler. Pour finir, le facho prend la précaution d'usage : qu'on ne croit pas qu'il est raciste, il ne l'est pas, ab-so-lu-ment pas.

Le mensonge : c'est un jeune homme dans l'air du temps, un "Nuit Debout". Et lui, quelle est sa charge contre le président ? La jeunesse, forcément. François Hollande l'aurait trahie, en ne tenant pas ses promesses de campagne. On a beau être jeune, on peut parler comme un vieux, comme un disque rayé. Car c'est faux, entièrement faux. Hollande a eu raison de le dire, à la face de ses procureurs, de ses inquisiteurs : "La France va mieux", y compris pour la jeunesse. Et le chef de l'Etat a détaillé la liste des mesures et des premiers résultats qui confirment cette reprise. Et lui, le "Nuit Debout", si malin à faire des remontrances, que veut-il, que propose-t-il ? Rien. Plus tard, quand une journaliste lui demandera son vote pour l'an prochain, il répondra qu'il hésite entre le vote blanc et l'abstention, avec une légère préférence pour l'abstention. Ok, j'ai compris : c'est un mécontent intégral, qui ne se satisfait d'aucun candidat, qui ne prend pas ses responsabilités de citoyen, qui n'a même pas le courage d'aller au bout de sa révolte en se déclarant par exemple anarchiste.

Pour finir, il y a eu l'intervention de Léa Salamé, l'animatrice de chez Ruquier. Elle ne fait pas partie des vrais gens, mais elle est une brave fille, nous fait-elle comprendre, en se lançant dans une incroyable attaque envers le chef de l'Etat, au sujet du débat sur la déchéance de nationalité, qu'elle a osé qualifiée de "tache morale" sur son bilan, tentant de lui arracher un mea culpa, à la mode d'aujourd'hui. Il n'a rien cédé, il a bien fait. Je serais lui, je me serais calmement levé pour la gifler, comme on l'aurait fait au XVIIème, où l'honneur avait encore un sens et où les impudents n'en menaient pas large. La déchéance de nationalité, j'étais contre, mais je me souviens que le Parlement unanime l'a applaudie au Congrès de Versailles et que l'opinion publique très majoritairement la souhaitait. C'est la droite, par ses votes dans les deux Assemblées, qui l'a rendu impossible. Qu'on ne vienne pas faire grief à Hollande d'avoir vouloir répondre par un symbole fort à un massacre commis en plein Paris. Ne l'aurait-il pas fait qu'on l'aurait identiquement critiqué.

Savez-vous comment je suis sorti de l'émission d'hier soir ? Plus hollandiste que jamais, avec la rage de voir le président se porter à nouveau candidat et de l'emporter. Pourquoi, moi qui ai quand même quelques reproches à lui faire ? Parce que devant ce quarteron de braves gens, préoccupés par eux-mêmes, englués dans leur mauvaise foi, François Hollande apparaissait comme un modèle de vertu, de maîtrise de soi, de dévouement à la cause publique et, par dessus tout, de probité intellectuelle et de bonne volonté. Les braves gens voulaient le faire passer pour un pauvre type. Eh bien moi, je soutiens le pauvre type.

8 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Soit tu fais preuve de mauvaise foi et au fond tu sais que j'ai raison, soit tu es aveugle. La jeunesse est effectivement globalement la grande victime de notre société, je dis bien globalement, pour ceux qui sont abandonnés par leurs parents, physiquement ou moralement et qui sont de plus en plus nombreux, on peut assimiler cela à un "génocide" (cf "Salo" Pasolini). Car il n'y a pour l'enfant abandonné plus aucune institution ou dogme capable d'effectuer sur le jeune, un travail de résilience et de construction ou de reconstruction de soi, comme la religion ou le communisme étaient capables de le faire. On parie combien que la jeunesse ne gagnera pas ce combat, une seule jeunesse a gagné c'est celle de mai 68, parce que les conditions socio-économiques de sa victoire étaient réunies, et elle a gardé pour elle-même ses acquis sans soucis de partage avec les générations d'après.

C a dit…

Qui a déterminé la composition de cette bande de quatre pieds nickelés ?
Qui en refusé deux autres qui étaient pressentis ?
Qui a choisi Léa Salomé ?
Le "château" comme on dit...
Alors il n'y a guère à s'étonner qu'à la fin d'un tel combat, l'opinion soit plutôt pour le président sortant qui, c'est sûr au vu de ce tableau, va se représenter avec les chances indéniables du fin manoeuvrier qu'il est de repasser.

D. a dit…

Un quarteron se compose non de quatre personnes mais de vingt-cinq...
Il n'est pas obligatoire de se ranger derrière le général de Gaulle lorsqu'il se trompait !

Anonyme a dit…

Est- ce une manière de faire que de frapper les journalistes qui ne partagent pas votre avis ? Léa Salamé n'est pas là pour servir la soupe à Hollande ! Quand bien même vous l'auriez perçu comme arrogante, c'est son rôle de journaliste que de se montrer parfois critiqué avec le pouvoir.

Emmanuel Mousset a dit…


1- Pieds nickelés : si c'est Hollande qui les a sélectionnés, c'est qu'il est masochiste, ce que je ne crois pas.

2- Quarteron : peu importe le mot, l'essentiel est que De Gaulle et moi soyons compris.

3- Salamé : le problème, c'est qu'elle n'est pas journaliste, mais chroniqueuse et animatrice, qu'à ce titre elle n'avait pas sa place dans cette émission.

Anonyme a dit…

"si c'est Hollande qui les a sélectionnés" ?
Pas forcément lui-même, mais les gens de son entourage à son service.
Mais ça ne change rien au fond.
Salamé ? C'est le choix de votre collègue philosophe Field...
Mais pas récusé par le château...
Et ça encore, ça ne modifie en rien le fond du projet...
La réélection !

Emmanuel Mousset a dit…

Hollande, et tous les hommes politiques, ne devraient pas participer à ce genre d'émission.

Philippe a dit…

Les politiciens ne sont jamais que des humains donc de "braves gens" simplement un peu plus (en moyenne) pervers que les autres, c'est à dire désireux d'avoir du pouvoir sur les autres.
En se faisant de la pub ils pensent distancer leurs concurrents .... dans ce commerce ...